Les résultats définitifs de la votation sur la libre circulation sont tombés hier après-midi ( ici ) : 59,6 % de ouis à la reconduction et à l'extension - à la Bulgarie et à la Roumanie -, et subséquemment
40,4% de nons. Les trois Conseillères fédérales (photo Keystone ci-contre) ont ri de bon coeur de ce succès.
C'est à la fois satisfaisant et, dans le même temps, cela me donne un haut-le-coeur. Je m'explique.
Je ne suis pas de ceux qui craignent ni la reconduction, ni l'extension de la libre circulation des personnes pour la Suisse. Sur ce plan-là je peux donc être satisfait. Je ne suis d'ailleurs pas
satisfait pour faire plaisir aux eurocrates. Je suis satisfait parce que c'est, je pense, une bonne chose pour la Suisse. Cependant la manière dont ce résultat a été obtenu ne me
satisfait pas du tout et me soulève le coeur. Car ce résultat a été obtenu de manière déloyale et mensongère.
Rien ne justifiait en effet de confondre les deux objets en un seul. Rien ne justifiait de brandir la clause guillotine pour faire peur à l'électeur : elle pouvait ne pas s'appliquer,
même en cas de victoire du non hier (voir mon article "Non" le 8 février : la clause guillotine ne devra pas s'appliquer ). C'était mensonger et il est regrettable que le Président en exercice de la Confédération se soit prêté à pareil mensonge (voir mon article
Vote du 8 février : Hans-Rudolf Merz ment et se meut
en propagandiste ). Rien ne justifiait de dire qu'il n'y avait pas de plan B, alors qu'il existait
un moyen de revenir à un débat à la loyale (voir mon article Libre circulation: en cas de non, pas de plan B pour l'UE ! Et alors ? ). Rien ne justifiait tout cela sinon de gagner...
En confondant les deux objets toutes les analyses du scrutin ne peuvent qu'être fausses. Dans les 59,6% de ouis, qui peut prétendre que des citoyens, s'ils en avaient eu le
choix, n'auraient pas voté contre l'extension à la Bulgarie et à la Roumanie, et que ces citoyens n'ont pas été muselés ? Qui peut prétendre que le vote des citoyens n'aurait pas été
différent s'ils n'avaient pas cru, dans leur ensemble, au couperet de la guillotine qui devait s'appliquer inévitablement, sur leur cou selon tous les médias et la plupart des politiciens.
Il est étonnant que l'établissement ait le mot d'éthique à la bouche quand il s'agit des bonus des employés de banques et des hauts salaires des banquiers, et qu'il se taise quand il
s'agit d'entourloupettes et de mensonges d'Etat. La fin justifie-t-elle tous les moyens employés ? Encore une fois, je le dis avec d'autant plus de tranquillité que je ne suis pas après
tout mécontent du résultat.
Mais la forme est souvent aussi importante que le fond. Et vice-versa. De tous côtés, même des perdants, j'ai entendu dire hier que ce vote était une victoire de la démocratie. Je ne le crois pas
du tout. La démocratie d'apparence a été respectée. Tout le processus qui a abouti au résultat d'hier était parfaitement légal. Mais était-ce légitime et moral ? Quand on commence à ne
pas respecter ses propres principes, on finit par ne plus être estimable.
Cette dérive de la démocratie n'est pas la première. Elle est à mettre dans le même panier que celle qui a consisté
à faire croire qu'Eveline Widmer-Schlumpf et Samuel Schmid étaient représentatifs de l'UDC et à pousser des cris d'orfraie quand l'UDC ne voulait pas les reconnaître comme
leurs.
A propos d'UDC les commentateurs, à qui mieux mieux, mettent ce parti du côté des perdants (voir 20 Minutes ici ).
C'est là encore une simplification malhonnête. Une partie non négligeable des parlementaires UDC - on parle d'un tiers - ont recommandé de voter oui malgré le procédé douteux de confusion des deux
objets. Il est vraisemblable que sans ce renfort le résultat aurait été tout différent.
Il ne faut pas considérer les 40,4% qui ont voté non comme quantité négligeable, et parler de plébiscite pour le oui. En les attribuant aux seuls UDC, on ne se rend pas compte de deux choses
:
- l'étiage de l'UDC qui se situe autour des 30% a été largement dépassé alors qu'une partie de l'UDC - avec l'appui de la Lega - était seule contre tous. Ce qui veut dire qu'elle a
convaincu bien au-delà de ses rangs.
- c'est d'autant plus vrai que ce résultat a été obtenu tandis que précisément l'UDC avançait en ordre dispersé face à cette votation.
A la place de ceux qui se prétendent vainqueurs aujourd'hui et qui se réjouissent du pragmatisme du peuple suisse (voir 24 Heures ici ) et de son sang-froid (voir Le Matin ici ), je me ferais du souci et me demanderais même s'il ne s'agit pas d'une victoire à la Pyrrhus.
Francis Richard