A peine parlent-ils qu'ils régentent déjà toute l'organisation familiale. Ces enfants "rois" qui font la loi sont de plus en plus nombreux. A qui la faute ? Dolto, Mai 68, familles recomposées... Marie de Chambure, juriste et mère de deux enfants évoque les bouleversements à l'origine de ces nouveaux comportements.
Haut comme trois pommes, votre petit bonhomme vous mène la vie dure. Depuis maintenant plusieurs années, il n'est plus rare de voir les enfants faire la loi à la maison. Mais pourquoi les enfants rois ne cessent-ils de se multiplier ?
Pour Marie de Chambure, juriste, l'éducation infantile a subi une véritable métamorphose. L'enfant décide et évolue dans un monde sans contrainte ni limite, autant dire sans repère. En quarante ans, il est passé du statut d'être inférieur, de sous adulte, à celui de roi. Plusieurs causes ont initié ce phénomène.
Enfants roi, un héritage de mai 68 ?
Soulèvement contre la répression et l'autoritarisme de la société, Mai 68 a marqué toute une génération. Celle-ci ne connaissait alors qu'une éducation abusant d'autorité. Cette dernière n'était vue que comme un instrument destiné à soumettre l'enfant au pouvoir des adultes.
Puis les barrières tombent et les grands principes volent en éclats. Et beaucoup de parents ont gardé l'idée que l'autorité n'était synonyme que de répression. Ayant souffert d'une éducation trop stricte, ils se sont imposés de ne pas reproduire le même schéma. Un seul mot d'ordre "il est interdit d'interdire", le slogan parle alors de lui-même.
De plus, avec l'apparition de la notion d'égalité des sexes, le modèle familial fut radicalement bouleversé. Plus de patriarche, la place des parents n'est alors plus différenciée.
Dolto et l'enfant roi
Les célèbres travaux de la psychanalyste Françoise Dolto ont aussi révolutionné l'éducation et la place de l'enfant au sein de la famille. Elle le met ainsi au même niveau que l'adulte et donne à sa parole la même valeur que celle de ses parents.
Elle fait de lui un être à part entière alors qu'il n'était jusqu'à présent qu'une personne en devenir. C'est ce que l'on pourrait qualifier de modèle "expressif" d'éducation.
Progressivement, l'épanouissement et l'autonomie de l'enfant sont devenus des notions essentielles. La psychanalyse s'est mise à prôner la permissivité, l'écoute et le respect. Parallèlement, elle a démontré et mis en garde les parents contre les traumatismes qu'une éducation stricte et répressive pouvait occasionner.
Petit à petit, l'éducation de l'enfant a évolué vers un modèle du "laisser-faire", "laisser-grandir".
L'enfant trop désiré ?
Un autre point qui peut expliquer cet aspect : le désir d'enfant. Pendant longtemps la question de vouloir ou non un enfant ne se posait pas. Mais avec l'apparition des méthodes contraceptives et du droit à l'avortement, on a pu alors choisir, décider du moment... L'enfant est à présent le fruit d'une décision mûrement réfléchi. Il est voulu et même ardemment désiré. Il devient un "investissement narcissique" des parents qui cèdent alors tout à leur petit prodige.
Ce phénomène est accentué lors de grossesses compliquées ou de recours à la procréation médicalement assistée. Plus l'enfant est difficile à avoir, plus il est attendu et plus il est choyé.
L'éclatement de la structure familiale
Divorces, familles monoparentales, familles recomposées...Nous sommes bien loin de l'image de la famille stable et inébranlable qui existait encore il y a quelques décennies. Le couple s'est desinstitutionnalisé. On s'aime, on se sépare... et l'enfant dans tout ça ?
Lors d'un changement, les enfants souffrent et les parents le savent. La culpabilité pousse souvent à modifier son comportement. Ce qui était totalement intolérable avant une séparation devient acceptable si cela peut soulager le petit. L'autorité laisse place au plaisir, de peur de ne plus être aimé.
Tout est bon pour lui faire oublier que ses parents ne vivent plus sous le même toit. Ce manque de cadre ne permet pourtant pas à l'enfant de mieux se construire.
De plus, avec une montée de l'individualisme, il n'est plus permis de croire à "l'amour toujours". Pour ne pas craindre de se retrouver un jour seul, les parents favorisent le lien avec leurs enfants, se disant qu'il ne peut être briser. Ils sont alors prêts à tout pour le sauvegarder.
Le manque de temps responsable des enfants rois ?
Le travail, la maison, les loisirs, les enfants... Dans la plus part des familles, les deux parents exercent une activité professionnelle et peinent à tout mener de front. Les activités se multiplient mais les journées ne rallongent pas, laissant ainsi des parents désoeuvrés face à la difficulté de tout concilier. Ce phénomène est encore plus accentué chez les femmes.
Maman et femme active, elles ne savent parfois plus ce qu'elles sont ou doivent être. Elles perdent confiance dans leurs compétences d'éducatrice et culpabilisent de ne pas être capables de tout maîtriser. Les enfants sentent la faille et en profitent.
De façon plus générale, les parents courent après le temps pour réussir à tout gérer. Or éduquer un enfant demande de la disponibilité. Ce mode de vie "overbooké" est un frein à son bon développement.
De plus, lorsque le temps est limité, les parents préfèrent privilégier le temps de plaisir et laisse de côté toutes notions de réalité. L'enfant se construit alors sur le principe de satisfaction immédiate et ne supporte aucune frustration.
Mais ces changements ouvrent toutefois un autre débat : une éducation permissive, même si elle peut conduire à des problèmes de place de l'enfant, fait-elle plus de dégâts qu'une éducation coercitive ? Comme dans d'autres problèmes, tout est certainement une question d'équilibre...
Emmanuelle Jost
Source :
L'enfant roi ou la perversion des droits de l'enfant, Comité National de l'Enfance, Intervention de Marie de Chambure, juin 2008.
Bonne journée,
Marie claude