L'homme qui mentait à l'oreille des grévistes
Comment ne pas penser à Tex Avery et à ses personnages qui continuent à courir à fond de train jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu’ils courent dans le vide et disparaissent alors, à une vitesse stupéfiante, dans le gouffre au-dessus duquel ils s’agitaient ?
Hier soir, Nicolas Sarkozy continuait à courir exactement dans la même direction qu’avant la crise. Bien qu’il ait affirmé que « Nous avons affaire à une crise comme le monde n’en pas connue depuis un siècle », il s’obstinait, en toute incohérence, à agir comme si cette crise n’était qu’une crise conjoncturelle et à surtout ne pas s’interroger sur ses causes.
Sarkozy n’a pas compris que le néo-libéralisme, c’était fini
Ce qui ressortait de la conférence de presse du président de la République, c’était que la crise était ponctuelle et qu’elle passerait alors que les « réformes » qu’il préconisait étaient structurelles et durables. Visiblement, Nicolas Sarkozy, n’a toujours pas compris que ce sont justement ces réformes structurelles qui avaient mené tout droit à la crise structurelle dans laquelle nous nous trouvons.
Il n’a toujours pas compris que cette crise était une crise de surproduction que le néo-libéralisme avait réussi à différer pendant 20 ans grâce à une avalanche de crédit et de consommation des riches liés à la spéculation boursière.
Il n’a toujours pas compris qu’aujourd’hui, le monde a changé. Les banques ne peuvent pas continuer à accorder des crédits comme elles le faisaient hier et la spéculation boursière a du plomb dans l’aile pour bien des années.
Sous prétexte d’améliorer l’investissement, il s’obstine à maintenir ou améliorer le taux de profit aux dépens des salaires alors qu’aujourd’hui, l’évidence est là : il ne suffit pas de faire des profits potentiels, il faut encore les réaliser et pour cela, il n’y a plus d’échappatoire. Il ne reste plus pour acheter les biens de consommation qu’une seule demande qui puisse faire le poids : la demande salariale.
Une crise qui tombe du ciel
Nicolas Sarkozy n’y est pour rien : c’est une crise internationale. Tous les gouvernements néo libéraux, aujourd’hui, entonnent le même air. Aucun d’entre eux n’a de responsabilité dans la crise, ils sont tous des victimes, tout est de la faute des autres. Voilà sans doute ce que Sarkozy appelle « la culture de la responsabilité ».
En réalité, chacun d’entre eux porte sa part de responsabilité. Chacun, dans son propre pays, à agi pour que les salaires stagnent, pour que la protection sociale recule, pour que les profits augmentent. Chacun, a son niveau, a fait en sorte que la mondialisation libérale pèse sur les salaires et l’emploi. Et le résultat, la somme de toutes ces actions irresponsables, c’est la crise structurelle que nous connaissons aujourd’hui.
La continuation des « réformes » ne ferait qu’accentuer la crise. Non seulement elles mettraient à mal l’égalité, la possibilité de vivre décemment pour des dizaines de millions de personnes en les empêchant de se soigner d’accéder à un enseignement de qualité, à des services publics facteurs essentiels d’égalité, à une retraite décente, à un salaire décent, à un travail décent mais elles empêcheraient toute possibilité de sortir de la crise puisqu’elles tailleraient des coupes claires dans la demande salariale.
Tout pour les profits
360 milliards accordés aux banques sans aucune contrepartie sérieuse : l’Etat n’entre même pas dans leur Conseils d’administration. Le « plan de relance » annoncé, il y a quelques semaines, par Sarkozy mais dicté par le Medef n’avait qu’un seul objectif : maintenir ou augmenter les profits et les dividendes.
Son refus (malgré ses premières affirmations) de limiter les dividendes des banquiers va dans le même sens.
Son annonce, hier soir, de supprimer la taxe professionnelle poursuit le même objectif. C’est un cadeau fait au Medef et au patronat, sans aucune contrepartie. C’est d’ailleurs la seule mesure précise qu’il ait annoncée. Les seules imprécisions tenaient, quand même, au coût de cette mesure (26 milliards d’euros au lieu des 8 milliards annoncés) et au moyen de compenser les pertes subies par les collectivités territoriales.
Des pansements sur une jambe de bois pour les salaires et l’emploi
Sarkozy s’est fait élire sur le thème du « travailler plus pour gagner moins » mais aujourd’hui, ce qu’il propose ce n’est ni plus ni moins que de généraliser le chômage partiel et donc de « travailler moins pour gagner moins ». Difficile de trouver un exemple de volte-face aussi rapide et aussi complète.
C’est inacceptable : un salarié qui gagne le Smic (la classe moyenne pour Sarkozy !) ou qui est employé à temps partiel ne peut plus vivre décemment avec 60 % ou même 80 % de son salaire.
La suppression de la 1ère tranche d’imposition est une supercherie. L’Etat aura moins de ressources et ce sont les plus démunis qui paieront les pots cassés avec une nouvelle régression des services publics.
Attribuer les allocations familiales sous condition de ressources conduirait tout droit (comme aux Etats-Unis) à leur complète disparition.
Le refus de mettre fin au non remplacement d’un fonctionnaire partant en retraite pour deux est un non sens social et économique au moment où le nombre de chômeurs (officiels) augmente de près de 50 000 chaque mois.
Augmenter le Smic de façon substantielle permettrait aux salaires de commencer à rattraper les 150 milliards que les profits leur ponctionnent, chaque année, depuis plus de 20 ans. Un débouché à la production commencerait alors à se dessiner. Mais, Sarkozy s’y refuse, car, nous dit-il, ce sont les Allemands qui en profiteraient en vendant leur production grâce à nos augmentations de salaires. Et comme les dirigeants allemands disent la même chose, il est facile de comprendre que la crise est installée pour un certain temps.
La farce des 1,4 milliards d’euros que les banques rapporteraient à l’Etat
Sarkozy le reconnait, l’Etat a versé (sous forme de prêt sans garantie) 25 milliards d’euros aux banques. Mais, ce prêt rapporte à l’Etat 1,4 milliards d’euros par an. Et, bon prince, Nicolas Sarkozy nous a annoncé, hier soir, que ces 1,4 milliards d’euros seraient intégralement affectés au financement de mesures sociales.
On croit rêver. Pendant des années, ce sont les mêmes qui nous ont rebattu les oreilles avec l’endettement de la France et « la dette de nos enfants ». Mais, d’un seul coup, tout cela a disparu du paysage alors même que le Président de la cour des comptes, Philippe Seguin estime que la dette publique de notre pays connaitrait un supplément de 250 milliards d’euros en 2010 et pourrait atteindre 83 % du produit intérieur brut fin 2012. .
Les 25 milliards d’euros prêtés aux banques (l’Etat a pris un engagement pouvant aller jusqu’à 360 milliards d’euros) ont été empruntés. Sarkozy nous avait lui-même annoncé, il y a un an : « Les caisses sont vides ». Et ils n’ont pas été empruntés sans que soit versés des intérêts aux détenteurs des emprunts d’Etat.
En réalité, ce que l’Etat devra payer à ses nouveaux créanciers compensera à peu près ce que l’Etat percevra des banques. Les 1,4 milliards d’euros gagnés grâce aux prêts faits aux banques sont donc une douce plaisanterie qui indique, quand même, le mépris dans lequel nous tient Nicolas Sarkozy.
Sarkozy encourage les récidivistes
Les banquiers et leur spéculation sans frein ont été un facteur décisif dans le déclenchement de la crise. Ils espéraient obtenir des rendements de l’ordre de 20 ou 25 % du capital investi. Les pénaliser avec des prêts d’un taux de 5 %, c’est les encourager à récidiver.
Pourquoi, en effet, se gêneraient-ils : ils chercheront de nouveau (ils n’ont d’ailleurs pas cessé) à obtenir des rendements de 25 %, sachant que de toute façon, non seulement on ne les laissera pas faire faillite, non seulement l’Etat ne rentrera pas dans leurs Conseils d’Administration, mais qu’il leur en coûtera tout au plus des intérêts de 5 % !
Gagner du temps et diviser
Sarkozy a une tactique : gagner du temps et diviser les organisations syndicales, en proposant des broutilles pour les salaires, les minima sociaux et l’emploi.
Il espère que la crise entraînera le « chacun pour soi » et que la montée du chômage empêchera toute mobilisation.
C’est compter sans la révolte sociale qui monte et que son discours n’aura fait qu’exaspérer. Après les 2,5 millions de manifestants du 29 janvier, c’est la mobilisation des étudiants, des lycéens, des enseignants chercheurs qui prend son essor. Et chacun sait que, dans notre pays, la rencontre entre les salariés et la jeunesse est souvent explosive. Sarkozy aurait tort de faire comme s’il ne le savait pas, lui qui affirmait « Mai 68, plus jamais ça ! »
Jean-Jacques Chavigné, Gérard Filoche,
Membres du Cn du PS
Le 6 février 2009