Conte pas sérieux du tout.
Episode 1 : La Voix
Il était une fois, dans un appartement un peu pourri qui ressemblait d’assez loin à un château de conte de fée, une jeune dame qui s’ennuyait profondément. Elle n’avait pour seule distraction que son ordinateur (qui ramait d’une façon inouïe) et comme, à l’époque (celle du conte, évidemment), elle avait une main bandée suite à des ennuis rhumatismaux, il lui était très difficile de pianoter sur son clavier avec une seule main car elle mettait déjà trois plombes à taper une phrase en cherchant toutes les lettres au petit bonheur la chance.
Adonc cette jeune dame se sentait particulièrement seule, et cela d’autant plus que le bien-aimé était allé faire quelques petits tours dans des pays lointains afin d’apporter la bonne parole à des populations qui n’en avaient que faire. Aussi se lamentait-elle du matin au soir et du soir au matin. « Mon Chevalier des Croisades est loin de moi, pleurnichait-elle, je m’ennuie affreusement et avec cette main atrophiée bandée, je ne peux rien faire d’autre que regarder mon écran vide, et ça me déprime ! »
Comme elle n’avait pas quitté son fauteuil depuis quelques lustres, une très jolie couche de poussière la recouvrait et son siège ayant épousé à la perfection les formes de son corps, elle se trouvait relativement prisonnière de son simili Voltaire.
Mais le Ciel vient toujours au secours des plus démunis, et surtout de ceux qui s’ennuient à mourir et ne savent pas quoi faire de leur existence. Aussi, un soir que la mélancolie était particulièrement pesante et que notre jeune dame songeait à son CDC éloigné d’elle par quelques brasses d’eau salée, une voix sortit tout à coup de l’ordinateur et la salua avec courtoisie.
D’abord, notre héroïne crut qu’elle avait abusé de la chartreuse verte. Ensuite, elle pensa qu’un individu à l’esprit retors, individu qu’elle connaissait bien, avait enchanté son ordinateur chéri. Mais la voix insistait et répétait « bonjour, bonjour, bonjour… » à l’instar d’un magnétophone pris de démence. Dans le doute, la jeune dame répondit « bonjour » tout en se disant qu’heureusement, personne ne la voyait, cela lui évitait de passer pour une folle. « M’entends-tu bien ? » dit la voix. C’était celle d’une femme. Notre héroïne acquiesça : « Oui, oui, je reçois cinq sur cinq », murmura-t-elle, de plus en plus ébahie car cette fois, la voix venait de dessous son bureau. Perplexe, elle se pencha un peu et n’aperçut qu’un vide magnifique parsemé de toiles d’araignée.
La voix reprit : « Parfait. Je vais te confier une mission et tu vas tâcher de la réussir, il y va de ton bonheur futur. » Immédiatement, notre héroïne dressa les deux oreilles à la verticale. « Il y a, pas très loin d’ici (enfin pas trop loin) un jeune prince prisonnier d’une affreuse sorcière. Il te faut aller le délivrer dans les plus brefs délais. Il est retenu dans un château bâti sur une île entourée d’une rivière et il ne peut pas traverser parce que : 1) il sait très mal nager ; 2) le courant est trop fort ; 3) il a peur de s’abîmer la figure aux rochers plantés ça et là. Ton rôle sera de trouver un moyen pour le faire passer sur l’autre rive. » « Mais comment vais-je faire ? dit la jeune dame, effrayée. Je sais à peine nager moi-même, j’ai une main bandée, et je suis coincée dans mon fauteuil. Pourriez-vous attendre le retour du CDC ? Après tout, ce n’est pas si urgent, non ? » « Si, fit la voix, sévère cette fois. C’est urgent. Tu vas donc remuer tes os et ce à la vitesse grand V. » Mais la jeune dame était pourvu d’un caractère relativement soupe au lait. Après avoir digéré sa surprise et admis qu’elle était peut-être schizophrène, elle réagit vigoureusement, n’ayant pas l’habitude de s’entendre donner des ordres aussi impératifs, qu’ils vinssent du ciel ou d’elle-même : « Il n’est pas question que je bouge d’ici, répliqua-t-elle vertement. Et puis d’abord, qui êtes-vous ? Si vous êtes ma seconde personnalité, ça ne va pas aller du tout entre nous, je déteste qu’on me brusque de cette manière. Baissez le ton, s’il vous plait. » « Je ne suis pas toi, gourde, répliqua la voix, vraiment courroucée cette fois. Je viens du ciel et je ne demande qu’à y retourner quand tu auras enfin compris ce qu’on attend de toi. »
La jeune dame fronça les sourcils. Elle n’aimait pas du tout la tournure que prenait la conversation. Comme elle était très cultivée, elle savait pertinemment ce qui pouvait arriver quand on suivait les ordres prétendument venus du Ciel et n’avait aucune envie de finir sur un bûcher. « Vous êtes d’essence divine ? s’énonça-t-elle majestueusement. D’accord, prouvez-le ! » « Facile, dit la voix. D’abord, j’enlève ces toiles d’araignée, cette poussière, je redonne à ces meubles branlants leur lustre d’antan, je guéris ta main bandée, et je te décoince du fauteuil. Ca te va, comme ça ? » Le plus extraordinaire, dans cette histoire qui se révélera encore plus extraordinaire, c’est que tout se passait exactement comme la voix le décrivait. L’appartement brilla tout à coup des feux d’une inouïe propreté et la jeune dame se dressa sur ses jambes, comme aux beaux jours assez lointains de son enfance. « Convaincue je suis, dit-elle en se mettant au garde-à-vous. J’obéirai. Comment dois-je me rendre sur l’île enchantée ? » « Tu vas enfourcher Uno, ton fier coursier, répondit la voix. Puis tu prendras l’autoroute et tu sortiras lorsque tu verras une pancarte clignoter sur ta droite. Sur une aire de repos, t’attend celle qui sera ta compagne d’aventure. Evite, s’il te plait, de rater le rendez-vous, ça m’obligerait à intervenir et j’ai autre chose à faire. Est-ce clair ? » « Tout à fait, dit la jeune dame. Mais puis-je me permettre une question ? Le Prince qui vit dans cette île, continua-t-elle sans attendre la réponse, il ne m’est pas destiné, n’est-ce pas ? Vous comprenez, j’ai déjà le CDC, et mener deux aventures de front, ce n’est pas tellement mon genre. » « Rassure-toi, il est pour quelqu’un d’autre, dit la voix. Ce sera le bien-aimé de la Belle Monogramme, celle qui poireaute sur l’aire de repos de l’autoroute et qui, entre parenthèses, commence à perdre patience. Tu devrais te dépêcher. Prends quand même une carte routière, on ne sait jamais, bien que le chemin, à partir de l’aire de repos, soit balisé et même plus que balisé. Mais avec toi… »
La jeune dame se figea de nouveau dans un impeccable garde à vous. « Je serai à la hauteur de ma mission, dit-elle. Le temps que je change de jupe parce que celle-là est trouée, et je pars à la rencontre de la Belle Monogramme. »
(Notre héroïne trouvera-t-elle la Belle Monogramme ? Arrivera-t-elle saine et sauve sur l’île enchantée ? La sorcière qui retient le Prince prisonnier ne va-t-elle pas essayer de déjouer les plans de cette aventureuse jeune dame ? Réponse (partielle) dans le prochain épisode.)