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Nicod, ni maître

Publié le 09 février 2009 par Alain Hubler

Nicod, ni maîtreDans un de ces fameux articles du Matin dans lequel les gens en vue s'expriment sur leur relation à l'argent, Laurent Donzel a donné la parole au Dieu local de l'immobilier le très imbu de lui-même Bernard Nicod.

À la question "Qu'estimez-vous payer trop cher?", le magnat constructicole répond : "Le travail des gens." Et il ajoute : "J'ai une idée sur le droit au travail : il y a des gens qui ont du travail mais qui ne le méritent pas. On a perdu le respect du labeur en Suisse."

On connaissait déjà le salaire au mérite, mais v'là-t'y pas que le nabab du trois-pièces-cuisine veut remettre d'actualité le droit au travail ! En clair : le travail n'est pas un droit, mais une récompense destinée aux plus méritants ou, plutôt, aux moins coûteux ou si possible les deux.

Voilà un beau retour en arrière puisque c'est en 1948 que l'Assemblée des Nations unies a adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme qui prévoit précisément le droit au travail.

Soit dit en passant, dans le contexte économique actuel, il serait plus judicieux de remettre en question le droit au capital, connu sous le nom de droit à la propriété privée. En effet, si selon B. N. on a perdu le "respect du labeur" en Suisse, l'actualité récente nous montre que d'autres ont perdu le "respect du capital". Ce ne sont pas les pigeons des traders et des spéculateurs qui diront le contraire, ni les travailleurs et les administrés qui vont payer l'ardoise à coup d'impôts et de baisse de prestations des services publics

Mais revenons au droit au travail qui pose tant de problème au père Nicod. Première chose, parler de droit au travail est abusif, ou hypocrite. Dans la société dans laquelle nous vivons, il n'est pas question de "droit au travail", mais "d'obligation de travailler". Nuance. Ceux qui ont tâté du chômage une fois dans leur vie et qui ont reçu des lettres les menaçant de pénalités et autres joyeusetés sauront de quoi je parle. En fait, on n'est pas très loin de la conception du travail du XVe siècle de Philippe Le Bon qui, dans son édit sur la mendicité, déclarait que celui qui est capable de travailler ne peut recevoir de secours de personne.

Depuis cette époque, ce fameux "droit au travail" qui dérange tant le Nicod a permis de mâter les fainéants et les paresseux et de rendre productifs ceux pour qui le labeur n'est que violence et torture. Ainsi pendant que Bernard fait construire, le prolo travaille, sans enthousiasme peut-être, mais travaille et produit, travaille et gagne des sous qu'il pourra, pardon qu'il devra, dépenser en grande partie dans un loyer qui finira peut-être dans la poche d'un certain promoteur immobilier. Rajoutez un peu de morale chrétienne, de la pression sociale et économique et vous obtiendrez tout un peuple en activité, bien docile, qui croit que le travail lui permet de s'émanciper. C'est ce que le citoyen Ledru-Rollin résumait en ces termes lors d'un discours à l'Assemblée nationale constituante le 11 septembre 1848 : "Quand un homme travaille, il s'anoblit ; vous sentez que, malgré le salaire que vous lui donnez et malgré son infériorité dans l'échelle de l'éducation, il est homme comme vous." C'est une vision du travail que d'autres ont recyclé et traduit quelques années plus tard par le tristement célèbre Arbeit macht frei.

Bref, travailler c'est bien. Ne pas travailler c'est mal.

Et depuis lors, rien n'a changé. Dans ce contexte, on peut vraiment se demander quelle mouche a piqué le Nicod pour remettre en cause un principe qui lui garanti un personnel soumis et des locataires qui triment pour lui payer un loyer.

C'est à se demander si notre bâtisseur prétentieux et arrogant comprend quelque chose au monde qui l'entoure. Un monde dans lequel "l'amour du travail", que l'on inculque dès la plus tendre enfance, est la garantie, pour lui et pour les possédants, de juteuses rentrées d'argent. C'est à se demander si cet homme se rend compte que sa fortune lui provient un droite ligne de ceux à qui il voudrait dénier l'obligation de travailler.

À moins que je ne me fourvoie complètement et que le sieur Nicod soit un socialiste révolutionnaire admirateur de Paul Lafargue, auteur de Le droit à la paresse, et qu'il rêve d'un monde que l'on résumera par cette citation de Gotthold Ephraim Lessing " Paressons en toute chose, sauf en aimant et en buvant, sauf en paressant. " ... Mais cela m'étonnerait un peu.

Plus prosaïquement, je pense que le Bernard est tellement sûr de sa supériorité en toute chose qu'il pense sincèrement être en droit de n'accorder qu'une parcelle du magnifique travail qu'il ne consent à proposer qu'à une petite élite tout en laissant les autres à la charge de la collectivité. Une collectivité qui, de toute façon, lui paiera ses loyers puisque ceux qu'il aura laissés sur le carreau ne le pourront pas.

Après l' immigration choisie, voici le travail choisi.

Je terminerai ce billet sur la dernière phrase du Nanard : "Je n'ai pas de salaire. Je vis bien. Même le plus fort des comptables ne pourrait pas donner de chiffres. [...]"

Est-ce à dire que le baron de l'immobilier ne paie pas d'impôts parce que personne ne peut savoir combien il gagne ?

  • Crédit image : La paresse de Félix Valloton.
  • Jérôme Cachin en a fait un épinglé.

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