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La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher

Publié le 08 février 2009 par Boustoune


Tout débute dans un hôpital de la Nouvelle-Orléans, en plein pendant l’ouragan Katrina. Daisy, une vieille femme malade est alitée, vivant ses dernières heures. Elle demande à sa fille de lui lire à haute voix des mémoires, celles de l’homme qu’elle a aimé toute sa vie.
«Je suis né dans d’étranges circonstances… », commence le carnet. Et pour cause ! Benjamin Button – c’est son nom – est né sous les traits d’un vieillard de 80 ans. Sa mère est morte en le mettant au monde et son père, fou de chagrin et horrifié par se bébé monstrueux, l’a abandonné au pied d’une bâtisse qui, curieux hasard, s’est avérée être une maison de retraite. Là, une aide-soignante l’a recueilli et a pris soin de lui comme s’il s’agissait de son fils. Les docteurs pensaient qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre. Ils avaient tort. Car en même temps que Benjamin développait son intellect, gagnait en maturité, comme n’importe quel autre gamin, son corps, lui, devenait de plus en plus jeune… Ses mémoires parlent des difficultés qu’il a pu rencontrer, des gens qu’il a côtoyés, de la rencontre avec la femme de sa vie et de leur amour contrarié par cette sorte de malédiction physique dont il a été affublé…
La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher
L’étrange histoire de Benjamin Button, tel le destin de son personnage principal, offre un véritable bain de jouvence aux cinéphiles qui connaissent et apprécient l’histoire du cinéma hollywoodien. David Fincher s’est emparé de la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald (1) pour en tirer une œuvre romanesque très riche, formellement très classique, qui rend hommage à tous les vieux chefs d’oeuvres qui ont fait la gloire du cinéma américain.
Il n’est en effet pas un plan de son film, pas une des péripéties, qui ne fasse référence à un classique hollywoodien. Quasiment toutes les époques, tous les genres, sont passés en revue. Les séquences en noir&blanc du type frappé sept fois (seven…) par la foudre évoquent les vieux burlesques du muet, la photo de la première partie, tout en couleurs chaudes, évoque le technicolor, à l’opposé de celle, plus froide, plus bleutée, de la partie contemporaine. Brad Pitt traçant la route sur sa moto évoque Brando dans L’équipée sauvage. La séquence du ballet nocturne de Cate Blanchett réveille le souvenir de Cyd Charisse dans Tous en scène. La somptueuse scène de l’accident, à Paris – j’y reviendrai plus tard – est montée comme un suspense hitchcockien. Les cadrages et les mouvements de caméra évoquent les œuvres de Curtiz, de Hawks, de Capra, et de tant d’autres… Bref, c’est du cinéma comme on n’en fait plus, soigné et majestueux.
La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher
L’académisme de la mise en scène de Fincher risque de faire grincer quelques dents, notamment auprès de certains de ses fans qui attendent de lui qu’il bouleverse les codes esthétiques établis et sorte des sentiers battus, mais il est ici totalement justifié. En s’inspirant de la façon de filmer de ses glorieux aînés, Fincher honore le passé du cinéma hollywoodien d’antan et colle à son sujet principal qui est la mémoire. La mémoire, cette faculté de l’être humain qui permet de se souvenir des bons et des mauvais moments, de se rappeler des êtres chers qui nous ont quittés. Et quoi de mieux que la caméra pour, justement, figer sur pellicule - ou aujourd’hui, sur des disques durs - les corps, les visages, les petits moments de vie…
La scène-clé du film, celle qui porte tout le propos du film, c’est cette histoire racontée par Cate Blanchett au tout début du scénario. Celle d’un horloger qui, rendu fou de chagrin par la perte de son fils, mort au combat lors de la Grande guerre de 1914-1918, a créé une curieuse horloge pour la gare centrale de la ville. Il en a disposé les rouages à l’envers, de façon à ce que les aiguilles avancent dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Comme si, ce faisant, il pouvait remonter le temps, réparer les erreurs commises et retrouver bien vivants ses chers disparus… A défaut, il s’agit d’un monument à la mémoire des soldats, qui permet à tous de se souvenir de leur sacrifice…
La séquence est filmée avec une esthétique particulière, un grain spécial, qui évoque le super 8 des vieux films de famille, usés par les poussières et les rayures. Non seulement elle préfigure la situation vécue par le personnage principal, mais elle contient aussi, de manière condensée, tous les thèmes de l’œuvre : les relations familiales, la perte des proches et le deuil, le chagrin, l’opposition entre la grande Histoire et les petits moments intimes, les souvenirs et leur persistance dans le temps, par le biais de repères : l’horloge en est un, la transmission orale des histoires ou des souvenirs en est un autre.
L’horloge est un symbole du temps qui passe, inéluctablement. Il est impossible d’en arrêter la marche en avant... Benjamin a beau rajeunir, son sort sera semblable à celui des autres. Il finira par s’éteindre. Nous sommes tous sur terre pour une durée limitée, avant d’être collectés par la Grande Faucheuse. Certains partent jeunes, d’autres ont plus de chance, mais doivent affronter les ravages du temps, physiques (les rides, les rhumatismes, la décrépitude,…), ou cérébraux (la sénilité, la perte de la mémoire,…). Il est beaucoup question d’horloge biologique dans le film. Celle de Benjamin Button, évidemment, inversée par rapport aux gens « normaux ». Mais aussi celle de sa mère adoptive, qui aimerait pouvoir faire un enfant tant qu’elle en a encore la possibilité physique. Ou encore, celle de Daisy, qui a choisi un métier où la maîtrise du corps et la beauté sont essentiels, et qui sait qu’elle devra y renoncer un jour. Le temps nous est compté, et on doit donc en profiter au maximum, semble préconiser le film. En ayant la curiosité de découvrir le monde, de s’ouvrir aux autres, mais surtout, en donnant de l’amour.
La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher
A la différence d’un Forrest Gump, écrit par le même scénariste (2), L’étrange histoire de Benjamin Button ne s’attarde pas trop sur les événements historiques traversés par le héros. Seules les deux guerres mondiales sont abordées, et encore, de manière très succincte. Les auteurs préfèrent se concentrer sur les liens entre les personnages. Ceux que Benjamin entretient avec ses parents adoptifs, mais aussi, avec son vrai père, qui a suivi à distance son évolution. Ceux qu’il a noués avec son entourage : les personnes âgées de la maison de retraite, notamment celle qui lui a enseigné le piano, le capitaine Mike et ses compagnons marins, Elizabeth, sa première vraie passion… Et bien sûr, ceux, plus forts que tout, qui l’unissent à Daisy. Cette incroyable histoire d’amour étalée sur toute une vie, compliquée par les chemins inversés des deux personnages…
Malgré l’attirance immédiate qu’ils ont éprouvé l’un pour l’autre, leur complicité manifeste dès les premiers moments passés ensemble, Benjamin et Daisy vont devoir attendre près de quarante ans avant de pouvoir vivre pleinement leur passion. Avant cela, leur apparente différence d’âge aura posé problème, et bien des événements auront empêché leurs retrouvailles. Et c’est encore une histoire de temps, ou plutôt de timing, qui va permette à leur union de se réaliser enfin.
La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher
La séquence se passe à Paris, au début des années 1960. Daisy y mène la carrière de danseuse dont elle a toujours rêvé et vit avec un des danseurs de la troupe. Une succession de petits hasards va occasionner un accident de la circulation dont elle va être la victime, lui brisant les jambes et l’obligeant à renoncer à sa carrière. C’est cet événement qui va lui permettre de retrouver Benjamin et l’obliger à le suivre. Si un seul de ces petits hasards ne s’étaient pas produit, le cours de leur vie aurait continué et leur chemins se seraient probablement perdus de vue…
Cette séquence, absolument virtuose de par sa construction et son montage, est la seconde scène-clé du film. Sa brutalité est toute naturelle : C’est le point d’impact des trajectoires de Daisy et Benjamin, chacun ayant alors à peu près le même âge – réel et apparent. Le choc est si violent que même le temps semble alors s’arrêter pour leur permettre de profiter de ces quelques moments passés ensemble… avant que, ô temps cruel !, les trajectoires ne reprennent leurs directions opposées.
La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher
A lire le résumé du film, et les différents nœuds narratifs qui jalonnent le script, on pourrait craindre d’assister à un épouvantable mélo, larmoyant et dégoulinant de bons sentiments. D’autant que le scénario fait également l’apologie des différences, au travers des personnages de Benjamin, bien sûr, mais aussi de Tizzi, son ami pygmée, venu aux Etats-Unis comme attraction de foire.
On pourrait aussi redouter une œuvre tellement focalisée sur les aspects techniques qu’elle en oublierait d’émouvoir. Il n’en est rien. Les effets visuels, les maquillages, les décors et les costumes sont certes impressionnants et on comprend que le film ait pu coûter la bagatelle de 150 M$. Mais ils ne prennent jamais le pas sur la narration ou sur les émotions procurées. Tout, dans L’étrange histoire de Benjamin Button s’imbrique parfaitement à l’ensemble, avec beaucoup de subtilité. La musique, pourtant omniprésente, d’Alexandre Desplats ne vient jamais alourdir l’action. Les belles images de Claudio Miranda, qui pourraient relever du pire cliché romantique, soulignent plutôt la beauté de l’œuvre et le brio de la mise en scène.
Quant aux acteurs, ils sont magnifiques de sobriété et de retenue. Brad Pitt rappelle qu’il est un véritable acteur et qu’il n’a jamais été aussi bon que sous la direction de Fincher, avec qui il collabore pour la troisième fois. Cate Blanchett est magnifique. Même ensevelie sous une épaisse couche de maquillage destinée à la vieillir, il lui suffit d’un regard, d’une simple intonation de voix, pour faire naître l’émotion. A leurs côtés, on trouve d’excellents comédiens dans les seconds rôles : Tilda Swinton, Julia Ormond, Elias Koteas, Jason Flemyng. Et une révélation : Taraj P. Henson, formidable dans le rôle de Queenie, la mère adoptive de Benjamin.
La formidable cure de jouvence cinématographique de David Fincher
Peut-être un peu trop classique formellement, L’étrange histoire de Benjamin Button n’est pas le chef d’œuvre annoncé par certains. Mais il s’agit indubitablement d’un grand film, porté par une réalisation totalement maîtrisée et une direction artistique sans faille. Une œuvre où le romanesque se pare d’une amertume et d’une ambiance funèbre induite par les thèmes abordés : les ravages du temps et la douleur des séparations…
Note :ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
(1) : « L’étrange histoire de Benjamin Button », de Francis Scott Fitzgerald – Ed. Folio
(2) : Eric Roth, également scénariste de
Manipulations ou Munich. Certains petits rigolos se sont amusés à établir le parallèle entre Benjamin Button et Forrest Gump. Le résultat ici : The curious case of Forest Gump
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