Se sortir des concepts pour ou contre n’est pas toujours évident mais c’est ainsi qu’apparaît au mieux l’intérêt de ce livre : en se libérant du carcan d’idolâtrie ou de dénonciation à l’encontre de Guevara.
Ce sont deux jeunes hommes issus de la bourgeoisie argentine qui prennent la route sur la Poderosa II (la Vigoureuse), frais et presque propres de toute idéologie politique. Alberto Granado et Ernexto Guevara, loin d’être encore le Che. En tête, le goût de l’aventure, du dépassement de frontières, des horizons à atteindre. D’étape en étape, sur le dos de la Vigoureuse qui ne l’est plus tellement, ils endurent, l’orgueil en carapace, les impondérables de la vie de bohème. De la beauté des lieux aux vives difficultés météos, ils avancent grâce à leur faconde et leur éloquence parmi une population toujours fascinée par ces deux « experts en léprologie ».
De fait, c’est là l’un de leurs buts principaux, apprendre et découvrir l’encadrement des malades atteints de la lèpre, mais aussi en apprendre sur d’autres êtres atteints d’un mal tout aussi pernicieux : le prolétariat.
Ils se mêlent à une population rude composée d’indigènes exploités et délogés de leur vraie nature, de leur terre et de leur volonté propre.
Guevara entrevoit les premiers bourgeons d’un communisme qui s’installe parmi ces gens qui n’en connaissent que peu… Plusieurs mois d’épisodes de vie, d’intempéries, de ventres creux, de solitude et de frasques joyeuses ou dramatiques. Pour s’achever dans la naissance balbutiante et passionnée du révolutionnaire…
Ce journal est écrit d’une plume poétique d’abord qui se laisse porter au fil des mois par le besoin d’une description simple et plus objective des faits. Guevara est un conteur, on le sent. C’est ce qui apporte tout son sel au récit de cette évolution, de cette éclosion d’un personnage qui ignore qui il sera, qui il deviendra. Ce qu’il deviendra. Récit initiatique, aventure, road story si l’on peut dire… Pas d’idéologie à revendre, juste un voyage.
« Et nous comprenons là que notre vocation est de sillonner indéfiniment les routes et les mers du monde. En restant toujours curieux, en regardant tout ce qui se présente à nos yeux. En flairant tous les coins mais toujours sur la pointe des pieds, sans prendre racine nulle part »
Soyons donc curieux de cette mutation qui entraîna pour certains la naissance d’un aventurier romantique, d’un révolutionnaire idéaliste, ou pour d’autres une brute égoïste, intolérante et exigeante. Brûlons les icônes, baissons les drapeaux, et laissons entrevoir le gris d’un destin qui n’a jamais prétendu à la perfection.