La récente publication du livre de Pierre Péan ayant pour cible Bernard Kouchner et la polémique suscitée montrent que l’on peut être à la fois ange et démon, le premier exerçant sur le plan médiatique et le second, nécessairement plus obscur, d’un point de la gestion patrimoniale d’un fonds de commerce. Le concernant c’est sans doute l’histoire de sa vie, sa faiblesse érigée en système, son appétit pathologique d’honneurs et d’argent incompatible avec ses postures donneuses de leçon en matière de morale et de droits de l’homme. Conflit d’intérêt donc, pas seulement sous l’acception juridique du terme mais surtout entre conscience et cupidité.
Les chiffres mis à jour liés à des encaissements de factures (plus de deux millions d’euros selon Péan) issues de sociétés avec lesquelles Bernard Kouchner a collaboré ou qu’il a lui-même créées paraissent énormes face aux difficultés financières de bon nombre d’entre nous et abyssales lorsqu’il s’agit de la pauvreté des populations africaines pour lesquelles ces prestations étaient destinées (mise en place d’un système de sécurité sociale au Gabon par exemple). Si l’on peut considérer logique que tout un chacun puisse vivre de l’exercice de ses compétences même au prix fort, il est certainement discutable que la mise en avant d’une notoriété liée à la défense des victimes soit vendue au plus offrant, au mépris d’une réelle implication vis à vis d’elles. Du parcours de Bernard Kouchner, une vie déjà très longue comme il le dit lui-même, les exemples sont nombreux mêlant une réelle volonté d’agir mais saccagé par ses «arrangements» avec sa conscience. On en extirpera deux, seulement deux mais suffisamment significatifs pour illustrer le propos.
Le Kosovo ou le jude box…
Rappelons les faits. En juillet 1999 Bernard Kouchner est nommé haut représentant de l’ONU et administrateur du Kosovo suite à une résolution du conseil de sécurité. Sa mission est d’organiser l’assistance humanitaire, l’administration civile, l’économie et de réorganiser les institutions du pays dans le respect de ses diverses communautés. Il y restera jusqu’en janvier 2001, quittant ce poste à sa demande. On peut dire quelques mots de son bilan, objectivement mitigé. Fort critiqué par la mise en scène constante de son action, son narcisisme et sa mégalomanie, il put néanmois accompagner la reconstruction du pays par la mise en place de nouvelles administrations et l’organisation d’élections locales mais il laissa la main à ceux qui persécutèrent les Serbes et plus de 200.000 d’entre eux durent fuir le pays. Il faut se remettre dans le climat local d’après-guerre, la misère et la ruine pour se souvenir et juger d’une conférence de presse qu’il tint quelques temps après son entrée en fonction, sans doute oubliée de tous, mais révélatrice où celui-ci annonça sans vergogne qu’il se mettait en grève tant que l’ONU ne lui verserait pas ses émouluements !
Total(e) soumission
La scène se passe la veille du Noël 2003. Bernard Kouchner vient d’apprendre que son rapport sur le rôle de Total en Birmanie a été remis à la justice par les avocats de la compagnie pétrolière dans le cadre de la plainte déposée par des victimes birmanes du travail forcé au cours de la construction du gazoduc. Cette nouvelle le consterne car ce rapport commandé pour dédouaner Total de toutes implications dans les crimes commis, et ils sont nombreux, peut devenir explosif entre les mains des avocats de la partie adverse. Revenons un peu en arrière. Ses premiers contacts avec la réalité birmane remontent à décembre de l’année précédente au cours d’un voyage, accompagnant son épouse Christine Ockrent venue rencontrer Aung San Suu Kyi pour un article à publier dans la presse féminine. A l’époque celle-ci est encore libre de ses contacts et elle déclarera à la journaliste que « l’opposition refuse toute forme d’aide qui ne profiterait qu’à la clique au pouvoir » visant aisni directement la compagnie Total, installée depuis une dizaine d’années et versant à la junte l’argent de sa survie politique et de son enrichissement. A leur retour, l’un des avocats de Total, Jean Veil, fils ainé de Simone Veil prend contact avec Kouchner pour commander au nom de son client une mission d’enquête. Pour s’exécuter il crée un société »BK Conseil» “Jean Veil m’a demandé une enquête sur le volet médico-social de Total en Birmanie et j’ai accepté”, expliquera plus tard l’actuel ministre des affaires étrangères. Durant quatre jours -pas un de plus- du mois de mars 2003, il retourne en Birmanie, visite le site du gazoduc et rencontre quelques salariés du groupe. Puis il rédige son rapport (une vingtaine de pages toujours disponibles sur le site internet de Total) rendu public en septembre de la même année. La lecture en est aisée. C’est un plaidoyer pour le pétrolier, justifiant sa présence dans le pays et lui donnant l’absolution pour tous reproches qui pourraient lui être faits d’un point de vue de sa spécialité : la défense des droits de l’homme et des victimes. Qui plus est, il explique que Total a beaucoup fait pour le pays en terme d’équipements sanitaires et scolaires ! Bien entendu c’est un tollé de la part des différentes associations et ONG impliquées dans la lutte contre la dictacture. Il n’en a rencontré aucune, lui pourtant le créateur de Médecins sans Frontières ! Bon, il expliquera, malgré ce que disent ces ONG, qu’il n’ôtera pas une seule ligne de son rapport qu’il ne l’a pas rédigé pour des raisons financières. Persiste et signe donc. Rémunéré officiellement 25 000 euros pour 4 jours de visite, beaucoup plus selon certains (on a évoqué un montant de 200.000 euros via des sociétés du groupe en Afrique). Laissons parler Htoo Chit, figure des démocrates birmans en France, lorsqu’il dit que “ce rapport biaisé cherche à faire croire que la présence de Total en Birmanie est positive”. Cet opposant à la dictature aide depuis longtemps les réfugiés birmans, dont certains ont fuit la zone du gazoduc, installés dans des camps le long de la frontière thaïlandaise. “Pourquoi M. Kouchner ne les a-t-il pas visités ? ajoute-il. Pourquoi avoir refusé de voir la réalité du travail forcé, incluant celui d’enfants ? M. Kouchner a balayé du revers de la main la réalité de cet esclavage de centaines de Birmans avec un argument incroyable : les tuyaux du pipeline seraient trop lourds pour être portés par des enfants… Mais pourquoi ne pas avoir expliqué que le travail forcé avait été utilisé pour nettoyer le site du gazoduc, couper des arbres, creuser des tranchées et porter les équipements des ouvriers et des soldats ?”
Cette réalité là, il est bien certain que Bernard Kouchner ne peut l’ignorer, de même qu’il ne peut méconnaître que l’argent du gaz finance les armes de la répression. En d’autres temps il aurait été, avec le talent qu’il faut lui reconnaître, le pourfendeur des compagnies telles que Total qui remisent toutes éthiques lorsqu’il s’agit de pérenniser leurs profits, quitte à être complices de la brutalité et la tyrannie.
Droit de l’hommisme : un fonds de commerce comme un autre
L’homme qui recueille encore la meilleure popularité en France et sait choisir ses amis, tels que Nicolas Sarkozy ou Philippe Val de Charlie Hebdo a des goûts de luxe et un train de vie princier. D’autres font des affaires ou de la politique mais il a choisi une voie bien curieuse pour y accéder puisqu’il se veut l’apôtre des victimes et le V.R.P des droits de l’homme. Et c’est de cet endroit sensible de sa personne qu’il tient sa soif de sacralisation, celle que refusent toutes ces petites mains de l’humanitaire œuvrant sans souci du paraitre et de la possession, en Afrique ou en Asie et qui lui donnent toute sa grandeur. Cette matière là, qu’on pensait non monnayable, a maintenant un prix : celui payé par les clients de Bernard Kouchner…
Jean-Philippe Demont-Pierot
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LES COMMENTAIRES (1)
posté le 08 février à 19:31
Sans blague ont croyait qu il était au smig?