Bon alors, Morse, c’est l’histoire d’un mammifère marin vivant dans le grand froid, qui, avec ses défenses acérées transperce…
Ah, on me dit dans mon oreillette que ce n’est pas tout à fait ça…
Morse, c’est en fait l’histoire d’Oskar, un garçon de douze ans qui vit dans une cité sordide de la banlieue de Stockholm, au début des années 1980. Assez introverti, Oskar sert de souffre-douleur à trois de ses camarades de classe, une bande de caïds en culottes courtes.
Mais euh, alors c’est quoi cette histoire de morse ? Ah, d’accord, en fait le titre fait référence à l’alphabet Morse, le moyen qu’a trouvé le jeune garçon pour communiquer secrètement avec sa voisine, Eli. La jeune fille a elle aussi 12 ans, « plus ou moins ». Elle vient d’emménager avec un homme d’une cinquantaine d’années qui a de bien étranges occupations puisqu’il assassine des gens pour récupérer leur sang dans des jerrycans. Un type normal, quoi…
Il faut dire qu’Eli elle-même est un peu « différente » : elle se nourrit exclusivement de sang humain… c’est un vampire…
Bref, Morse, c’est un film de vampire, un vrai de vrai, qui respecte les conventions du genre. Ici, les vampires ne sont pas « végétariens ». Ils ne résistent pas à la terrible soif de sang qui leur tord les entrailles. Ils ne brillent pas à la lumière du jour comme Travolta sous les boules à facettes des dancings. Non, ils se consument en quelques secondes, dans un déluge de flammes. Le film n’aborde pas la question, mais je suis sûr que si les habitants de la ville mangeaient de l’aïoli, ils ne risqueraient pas grand-chose… Sauf qu’en Suède, ce n’est pas franchement le plat le plus typique…
Bon, j’arrête un peu de plaisanter, d’autant que Morse est un film fantastique très sérieux et adulte, loin des parodies débiles qui polluent nos écrans ou des bluettes gothiques et très soft pour ados. Loin de moi l’idée d’offenser les amateurs de Twilight – il en faut pour tous les goûts – mais force est de constater que, sur un sujet similaire, Morse est assurément beaucoup plus touchant et plus sensible.
Comme dans le film de Catherine Hardwicke, l’aspect horrifique est relégué au second plan et l’intrigue se concentre surtout sur la relation qui se noue entre les deux jeunes protagonistes, mélange d’attirance amoureuse, de besoin d’échapper à la solitude qui les ronge, de respect mutuel, de fascination hypnotique… Mais à aucun moment le cinéaste Tomas Alfredson ne tombe dans un romantisme fleur bleue et trop démonstratif. Sa méthode repose au contraire beaucoup sur les impressions, les non-dits. En choisissant de garder dans l’ombre certains aspects qui étaient plus explicites dans le roman original (1) (2), il parvient à créer un trouble qui densifie encore l’atmosphère mystérieuse de l’œuvre. Plus encore que Twilight, Morse renoue avec les sources du vampirisme littéraire et ce romantisme noir qui permettait d’aborder de manière détournée des sujets tabous (à l’époque, le désir amoureux et la sexualité).
Si le film repose essentiellement sur la relation Oskar-Eli et sur les deux jeunes interprètes Kare Hedebrant et Lina Leandersson, tous deux parfaits, les scènes d’épouvantes sont loin d’être ignorées, et encore moins bâclées. Tomas Alfredson a compris que la suggestion pouvait être plus efficace que la démonstration et le déluge de gore. Il maîtrise totalement ses effets, privilégiant des cadrages audacieux pour créer le suspense, et utilisant avec parcimonie les effusions de sang. Même chose pour l’humour. Morse n’en est pas dépourvu, mais il est rare et aussi glacial que le climat enneigé dans lequel l’action se déroule, afin de ne pas dénaturer l’ambiance générale du film.
Subtilité est le maître-mot de ce beau film, qui prouve que le cinéma fantastique, genre galvaudé par des années d’exploitation commerciale idiote, est encore capable de proposer des œuvres originales, inspirées et adultes. Morse est une réussite qui, hélas, n’est pas accessible à tous, le film devant se contenter d’un réseau de salles des plus restreints. Une exploitation confidentielle totalement incompréhensible, alors que le film de Tomas Alfredsson vient de remporter le Grand prix du jury à Gerardmer après avoir brillé dans bien d’autres festivals (notamment, Tribeca, Stiges ou Toronto) et qu’un remake est dores et déjà en chantier à Hollywood… La situation est donc un peu agaçante, mais gardons notre sang-froid. Avec tous les vampires qui rôdent, on ne sait jamais…
Note :
(1): «Låt den rätte komma in » (Let the Right One In) de John Ajvide Lindqvist, non traduit en français
(2): pour éviter tout spoiler, je mets mes commentaires à ce sujet dans la partie « commentaires » de ce billet