La réconciliation, Anne-Constance Vigier – Éditions Joëlle Losfeld
Critique parue dans Le Magazine des Livres, n° 13, décembre 2008 / janvier 2009
Joëlle Losfeld a su prendre une place assez enviable dans le paysage éditorial. Rattachée à Gallimard au titre de collection, la maison n’en a pas moins développé sa marque de fabrique, très identifiable, dont on pourrait dire un peu schématiquement qu’elle tient à une politique d’auteurs et à une ligne éditoriale très assumée : une littérature plutôt intimiste, souvent poétique, parfois onirique, sur les marges légères de la normalité, toujours d’excellente tenue. Constance très appréciable, mais qui pourrait aussi passer pour une limite : aucune lecture d’un roman portant l’estampille Joëlle Losfeld ne nous prendra jamais vraiment par surprise – sauf à atteindre certains sommets, Paula Fox par exemple. En tout cas, ce n’est pas Anne-Constance Vigier qui viendra troubler ce cours (faussement) tranquille.
La réconciliation est un petit roman agréable, qui se lit très vite et s’avère en tous points divertissant. On me dira que le compliment est à double tranchant, et c’est bien ainsi, en effet, qu’il faudra l’entendre. Cette histoire de quadragénaire contrainte d’accueillir chez elle son père honni, en vertu du cancer qu’il aurait peut-être contracté, est menée avec une certaine habileté. Anne-Constance Vigier ne s’encombre pas d’ornements, imposant à son récit une dramaturgie sans graisses ni fioritures : les scènes sont efficaces, souvent cocasses, et s’enchaînent avec naturel. Le style est alerte, et l’humour, volontiers grinçant, donne une certaine tenue à un récit où l’on n’a pas vraiment le temps de s’ennuyer. L’auteur, qui a le sens de l’observation et de l’ellipse psychologique, nous donne à vivre avec d’empathie le quotidien un peu désemparé de cette femme dont les genoux plient sous le poids des tracas de l’existence, mais davantage encore de sa propre difficulté à s’accepter et de son impuissance à épurer sa relation avec le père. Ne manque donc aucun élément pour donner à cette histoire tous les attributs d’une petite comédie dramatique très réussie. Mais voilà : ce n’est que divertissant. Cela tient sans doute au ton, spirituel et doux-amer, qui a le mérite de rendre la lecture stimulante, voire franchement roborative, mais dont l’inconvénient est d’enfermer le récit dans ce registre. Cela tient enfin au style, vif, aux franges parfois de l’oralité, mais dont on aurait aimé qu’il s’aventure sur des chemins un peu moins convenus. On lira donc ce roman en souriant tout du long, ce qui est agréable, mais sans être profondément saisi, le rythme et la vitalité du récit affectant ses possibilités d’ancrage. Moyennant quoi, on referme La réconciliation avec un sentiment de satisfaction immédiate, celle d’avoir lu une bonne histoire, contemporaine, réaliste, non sans charme ni profondeur, mais en sachant bien qu’on l’aura sitôt oubliée.