La régulation des naissances au Vietnam

Publié le 08 février 2009 par Anonymeses

Le gouvernement de la République démocratique du Viêt Nam a développé une politique intense de planification familiale dès 1963 afin de limiter la croissance démographique. L'objectif général de la politique de population et de planification familiale est d'inciter les familles à être moins nombreuses et de permettre à chacun "d'être en bonne santé bien nourri, bien vêtu et heureux". L'objectif quantitatif est que "chaque famille ait un ou deux enfants pour que dans l'ensemble de la société, chaque couple ait deux enfants en 2015, et (et ainsi) la population sera stable au milieu du XXIe siècle" (Uy ban quôc gia dân sô va KHHGD, 1996)[1]. Les efforts déployés en faveur du développement social (promotion de l'éducation des femmes, programmes de santé accessible à tous, etc.) ont favorisé l'évolution des comportements de fécondité. Le Vietnam étant une société qui valorise traditionnellement la fécondité, comment se réalise la planification familiale ? Dans la tradition populaire, la femme doit procréer tant qu'elle le peut, les familles n'ont pas à restreindre leur descendance à cause de la pauvreté, puisque les instances divines se chargent de nourrir tous les enfants. Comment le devoir des femmes de faire preuve de leur fertilité coïncide-t-il avec les slogans des programmes de planification familiale qui associent descendance nombreuse et pauvreté ? Nous nous intéresserons à la politique de régulation des naissances au Viêt Nam en essayant de la mettre en relation avec les valeurs du pays. L'examen des formes prises par la planification familiale dans cette région nous permettra de comprendre sa mise en œuvre et ses aléas.

La République démocratique du Viêt Nam fut parmi les premiers pays en voie de développement à adopter une politique officielle de limitation des naissances. Les résultats du recensement de 1960 dans le Nord avaient alarmé les milieux politiques quant aux conséquences d'une croissance démographique dont le taux annuel était estimé à 3,4% pour la période 1955-1960, presque le triple des taux observés sous la période coloniale qui variaient de 1% à 1,5%. C'est en 1961 que les premières mesures pour contrôler les naissances furent mises en place dans le Nord pour sensibiliser les Vietnamiens aux questions de planification familiale. Le décret 216-CP du Conseil des Ministres en date du 12 décembre 1961 souhaite orienter la fécondité des couples vietnamiens, d'abord celle des cadres et des ouvriers de l'Etat, des fonctionnaires et des soldats, puis peu à peu diriger la fécondité de l'ensemble de la population. Ce décret vise la santé des mères, l'éducation des enfants et le bonheur des familles. Le Ministère de la Santé a alors la responsabilité de fournir à bas prix les moyens contraceptifs.

Dès 1963, le gouvernement de la République Démocratique du Viêt Nam fixe pour la première fois une norme de restriction de la taille des familles, ainsi qu'une norme d'espacement des naissances. A travers la directive 99 du 16 octobre 1963, le Premier Ministre met l'accent sur le lien étroit qui existe entre le développement socio-économique du Viêt-Nam et l'évolution de sa population. Il fixe pour objectif pour le Nord du pays de passer d'un taux de croissance de 3,5% à 2,5% dans les années suivantes. Il est conseillé aux familles vietnamiennes d'avoir deux ou trois enfants espacés chacun de 5 à 6 années. En ce sens, 1963 est une date décisive dans les politiques vietnamiennes de planification familiale. Elle incite à « lutter contre les idées rétrogrades à propos de la procréation, et par une information et une éducation continues et persistantes, faire en sorte que la planification des naissances deviennent un nouveau mode de vie du peuple vietnamien ». La diffusion de l'IEC (Information _ Education - Communication) se veut, à cette époque, discrète et se limite à des cercles restreints autour de réunions, d'expositions ou de projections, à la grande différence des campagnes de masse qui ne commenceront véritablement qu'au début des années 1990 à la suite de l'adoption de la politique nationale de un ou deux enfants par couple. En 1970, le Conseil des Ministres prend une nouvelle mesure, le décret 94-CP du 13 mai, dont le but est d'intensifier la planification familiale dans toutes les provinces et les villes, avec une attention particulière aux villes de Hanoï, les villes, avec une attention particulière aux villes de Hanoï, Haïphong, Quang Ninh et Bac Ninh, situées dans le delta du Fleuve Rouge. Il fixe pour objectif de réduire le taux d'accroissement annuel démographique entre 2,2% et 2,4% dans les années à venir. Cette fois, les moyens de contraception à privilégier sont clairement définis: la production et l'importation de stérilets, et la pratique de l'avortement sont vivement encouragées. Les objectifs vont peu à peu se préciser. Après la réunification du pays en 1976, le souhait du nouveau gouvernement fut d'étendre au Sud les mesures de planification familiale déjà édictées au Nord. Avec le retour à la paix, les craintes d'explosion démographique ressurgissent. A travers la directive 265/CP du 19 octobre 1978, la première à visée nationale, le Conseil des Ministres insiste sur l'avantage que représente un nombre limité d'enfants, deux ou trois, avec un espacement de 4 à 5 années entre deux naissances. En 1981, dans la directive 29-HDBT le slogan est réactivé : «Naissances peu nombreuses (2 ou 3), naissances tardives (à partir de 22 ans), naissances espacées (de 5 années) ». Il faudra attendre véritablement les décisions du Vème Congrès National du Parti en mars 1982, puis la création du Comité National pour la Population et la Planification Familiale en 1984 pour entreprendre une politique plus énergique de planification. La loi sur le mariage et la famille de mai 1986, remplace celle de 1959 et édite clairement le nouvel objectif «  Les époux ont le devoir de pratiquer ensemble la planification des naissances » (article 2). L'objectif d'un nombre maximum de deux enfants par femme apparaît clairement à l'échelle nationale en 1988 et sera officialisé par le décret du Conseil des Ministres de 1988.

C'est le décret 162/HDBT du 18 octobre 1988 du Conseil des ministres sur les politiques de planification familiale, qui officialise la politique de limitation à un ou deux enfants par couple. Le contrôle démographique devient ainsi une priorité du gouvernement. Le décret stipule que « La planification familiale est primordiale pour le développement économique du pays et l'amélioration du niveau de vie de chaque Vietnamien. » Le décret fournit des indications très précises sur les modalités d'application des normes. Certaines catégories de personnes sont autorisées à avoir deux enfants au maximum :

- les cadres politiques, les travailleurs manuels, les fonctionnaires au service du Parti, de l'État et des organisations de masse, les cadres et les soldats des forces armées, même si un seul des deux membres du couple appartient à ces catégories professionnelles ;

- les familles qui vivent en ville ou dans une zone industrielle. Les couples avec trois enfants n'ont pas l'autorisation d'aller vivre en zone urbaine ;

- les familles qui vivent dans la région du delta du fleuve Rouge, du delta du Mékong et dans les plaines des provinces côtières.

Seule exception, les familles des ethnies minoritaires des provinces montagneuses du Nord et des Hauts plateaux sont autorisées à avoir trois enfants au maximum. Le décret définit aussi un ensemble de neuf mesures d'encouragement de la population à adopter la planification familiale (article 6). Par exemple, un des critères d'allocation de la terre pour la construction d'une maison est que la famille ait deux enfants. Quant aux familles qui  dépassent la norme d'enfants autorisés, elles doivent payer une taxe d'habitation ou une taxe foncière plus élevée pour l'espace supplémentaire demandé. Les familles de trois enfants ou plus n'ont pas l'autorisation de migrer en zones urbaines. L'Etat fournit gratuitement les moyens de contrôle des naissances tels que le stérilet, le préservatif, la pilule, ainsi que les services de santé pour la mise en place du stérilet et l'avortement.

Bien que des progrès aient été bien engagés (mobilisation de plus en plus forte de la population, assistance technique et financière internationale, baisse du nombre moyen d'enfants par femme), les résultats démographiques ne sont pas à· la hauteur des espérances politiques. En 1992, le Viêt-Nam a dépassé les 70 millions d'habitants, le taux de croissance démographique se maintient au dessus de 2%. Pour donner plus d'ampleur au mouvement de planification familiale, il s'agira désormais de mobiliser en masse la population vietnamienne et de développer massivement les campagnes d'IEC au niveau local afin «d'arriver en 2015 à une moyenne de deux enfants par famille et à une stabilisation de la population au milieu du XXIème siècle ».

Les directives politiques ne sont pas restées à l'état de discours, elles ont été mises en pratiques. Chaque province et chaque district sont dotés d'un Comité pour la Population et la Planification Familiale. Les Comités pour la Population et la Planification Familiale sont les agences coordinatrices des programmes de planification familiale. Au sein de ce Comité, des collaborateurs sont chargés de l'encadrement d'un certain nombre de ménages. Les campagnes de motivation auprès de la population sont centrées sur la connaissance des méthodes de contraception et surtout sur le bénéfice économique, culturel, social et médical à avoir une petite famille. Des messages faciles à comprendre sont diffusés, avec moins de mots et le plus possible d'illustrations, par exemple des affiches, des bande-dessinées, des dessins animés afin que les messages soient compris par la majorité de la population. Des chants populaires sont réinterprétés pour la cause. Ces campagnes d'information ont eu un impact indéniable sur la population vietnamienne. Catherine Scornet[2] établit que dans la région du delta du fleuve Rouge, 88,3 % de ses habitantes ont entendu un message de planification familiale au cours du mois précédent l'enquête. A partir du milieu des années 1990, une éducation sur la population a été introduite, à l'échelle nationale, dans les collèges, les lycées, les universités, puis dans les écoles primaires. Les enfants sont sensibilisés dès le plus jeune âge. Les vastes campagnes de communication visent à créer une nouvelle opinion sociale quant aux comportements reproductifs, un nouveau modèle de famille, un nouveau modèle de société. C'est ce que montre bien Tine Gammeltoft[3] dans son ouvrage Women's bodies, women's worries. Elle montre que la politique la plus efficace est la diffusion de messages, plus que les moyens économiques de persuasion. Pour que la planification fonctionne, le changement normatif est une nécessité. Il faut donc créer un changement substantiel de perception de la famille « normale ». L'auteur reproduit[4] des images diffusées au Vietnam. Elles présentent à chaque fois l'opposition entre une famille qui a beaucoup d'enfants et une famille qui n'a que deux enfants. Dans la famille, qui a beaucoup d'enfant, les rêves des parents s'effondrent (plus de moto, plus de maison), les enfants pleurent ou vendent du riz dans la rue. La famille qui n'a que deux enfants est souriante de bonheur, la famille est représentée dans un vaste salon très confortable, le père et la mère suivent assis sur leurs grands fauteuils les jeux de leurs enfants. L'idée générale est que les enfants d'une famille peu nombreuse sont en bonne santé, les parents prennent le temps de s'occuper d'eux.

Le message principal véhiculé par les campagnes de propagande est que la croissance démographique est responsable de tous les maux qui affligent les familles et la société vietnamienne. Ce message peut apparaître comme un bon moyen de dégager le régime de toute responsabilité et de la faire porter par les citoyens. Le schéma de sensibilisation à l'adoption de la planification familiale s'appuie sur une logique déterministe simple : cause unique des malheurs, conséquences individuelles et nationales déplorables, puis moyens individuels de les éviter. Ces messages recoupent pour partie la thématique malthusienne de Malthus, qui prônait une limitation stricte des naissances. En 1798, paraît, sans nom d'auteur, son Essai sur le principe de population, qui connaît un immense succès et déclenche de nombreuses polémiques. Contre les réformateurs « moraux » qui attribuent au gouvernement la responsabilité des maux de la société, Malthus veut démontrer que ceux-ci viennent en réalité de lois naturelles et inéluctables. Parmi ces lois, la plus importante est la loi de la population, dont il propose une formulation mathématique : « Lorsque la population n'est arrêtée par aucun obstacle, elle double tous les 25 ans et croît, de période en période, selon une proportion géométrique ». Mais « les moyens de subsistance ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression arithmétique ». L'équilibre, selon Malthus, n'est rétabli que par les obstacles répressifs et par la « contrainte morale » (prévoyance intellectuelle et morale) qui limite les naissances. Il en déduit qu'il ne faut pas porter secours aux plus pauvres de manière à éviter leur multiplication...

Un exemple de politique de régulation des naissances

C'est dans le Delta du Fleuve Rouge que les premières mesures gouvernementales en faveur de la planification familiale ont été mises en œuvre. Catherine Scornet[5] étudie la politique de régulation des naissances dans cette région et cherche à expliquer les raisons de son succès précoce, à partir d'une enquête de terrain menées dans deux provinces, l'une dans la province de Thai Binh située dans le bas delta, An Hiêp, et l'autre dans la province de Hanoï, Ninh Hiêp. Ces deux provinces s'opposent sur le plan démographique : alors qu'au recensement de 1989 la population de Thai Binh était rurale à 95% (contre 66% de celle de la province de Hanoï), la fécondité y est plus faible : 3 enfants en moyenne par femme à Thai Binh en 1994, contre 3,4 enfants par habitante de la province de Hanoï. L'auteur montre que dans le delta du fleuve Rouge, le mode de production agricole (riziculture inondée) et le système de valeurs (le culte des ancêtres) ont déterminé le choix de la politique de limitation des naissances et les modalités de son application. Les autorités vietnamiennes ont utilisé les contraintes physiques et donc économiques (puisque le milieu physique induit le mode de culture) pour justifier et élaborer les politiques de restriction des naissances. Le delta du fleuve Rouge se distingue nettement des autres régions vietnamiennes par la très forte concentration de sa population. En 1994, sa densité atteignait 1 124 habitants au km2, contre 216 habitants au km2 en moyenne nationale. Le fait marquant est la forte opposition physique et démographique entre le delta du fleuve Rouge et les montagnes dans lesquelles il est enchâssé : la population se concentre le long du fleuve Rouge et surtout dans le bas delta. La cause prédominante en est l'infertilité du sol des montagnes. En dehors de quelques cultures arbustives (théier, laquier, etc.), la seule culture qui puisse être pratiquée de façon continue sur la même terre est celle du riz irrigué. Le système de la riziculture inondée implique la petite propriété (agriculture intensive avec des rendements élevés sur de petites surfaces qui mobilisent une main-d'œuvre très importante). La forte densité de population dans le delta du fleuve Rouge et la coutume de partager les terres entre tous les fils, y compris les cadets, ont accentué le morcellement des terres cultivables. Les familles de Ninh Hiêp, plus aisées grâce aux activités extra-agricoles, n'ont pas le souci de limiter le nombre de leurs enfants, même si économique ment les enfants leur sont moins nécessaires, puisqu'elles peuvent payer des ouvriers agricoles ; elles préfèrent payer l'amende plutôt que de respecter la politique de limitation des naissances. En revanche, des familles ayant comme ressource essentielle les produits de la terre, comme celles de An Hiêp, ont besoin de bras pour exploiter les rizières, d'autant que leur rendement est parmi les plus élevés du Viêt Nam (spécificité de Thai Binh). De plus, elles n'ont pas les moyens d'employer des journaliers agricoles.

À partir du début des années quatre-vingt commence un vaste mouvement de décollectivisation de l'agriculture. En tant qu'unités de production de base, les familles sont plus motivées à la production et leur situation économique se différencie. Il existe un revers démographique à ce mouvement de décollectivisation : en retrouvant leur fonction économique, les familles sont incitées à accroître la main-d'œuvre familiale. Pour contrer ce mouvement, les autorités de An Hiêp appliquent de façon restrictive la réforme agraire de 1993 qui définit au niveau national une nouvelle répartition des terres en fonction du nombre de personnes par famille pour une durée de 15 ou 20 ans selon la nature des terres, au lieu des durées d'attribution précédentes de 3 ou 5 ans. Localement, la commune procède à une redistribution des terres en fonction du nombre de personnes par famille (enfants, parents, grands-parents, etc.), mais à l'avenir, aucune terre supplémentaire ne sera attribuée aux familles de plus de deux enfants. À Ninh Hiêp, où de nombreuses familles louent des ouvriers agricoles qui exploitent les rizières, pour pouvoir se consacrer à des activités plus lucratives que la culture du riz, comme le commerce de tissus et la culture de plantes médicinales ou de plantes d'ornement, la diversification économique a permis aux responsables locaux de ne pas distribuer la terre dans la limite de deux enfants. Pour les familles qui diversifient leurs activités, les plus aisées, la pression démographique sur les terres n'est pas un problème, alors que les familles qui vivent essentiellement de l'agriculture subissent davantage la pression sur les terres et sont incitées politiquement et économiquement à restreindre leur descendance. Cet article permet d'illustrer des cas différents de mise en œuvre de la planification familiale et de réception des discours normatifs. A l'inverse de ce que l'on aurait pu d'emblée imaginer, à savoir sur le modèle bourgeois français notamment[6], ce sont dans cette région, les familles les plus dotées qui peuvent se permettre de mettre à distance la politique familiale et refuser de n'avoir qu'un ou deux enfants. Par contre, les familles qui auraient le plus besoin de bras supplémentaires doivent se limiter à deux enfants. L'article de Catherine Scornet met bien en évidence l'importance de la prise en compte du contexte social et économique pour la compréhension de la réussite des politiques de planification.

Régulation des naissances à l'aube du XXIe siècle

Le passage au XXIe siècle marque cependant un tournant décisif dans l'évolution démographique du Viêt-Nam. La croissance démographique diminue nettement pour atteindre entre 1999 et 2002 un taux de 1,5 % par an du fait d'une reprise de la baisse de la natalité qui se lit très nettement au rétrécissement de la pyramide aux âges les plus jeunes : le taux brut de natalité est évalué à 20,5 pour mille pour la  période 1995-1999. L'indice conjoncturel de fécondité a été divisé par  trois en  trente ans, passant de  6 enfants  par femme au début des années 1970 à 1,9 selon l'Enquête Démographie et Santé de 2002. Le Viêt-Nam se situe désormais sous le niveau de remplacement des générations. L'orientation  générale de  la politique démographique a sensiblement changé.

Les objectifs sont aujourd'hui plus ciblés. Il s'agit désormais de concentrer les efforts  vers les populations et les régions dites « difficiles, les zones pauvres et isolées », « celles où  les niveaux de fécondité sont encore élevés », à savoir les ethnies minoritaires des régions montagneuses et les populations vivant dans les zones insulaires. Ainsi entre octobre 2000 et décembre 2001 et pour remédier à la carence des équipements sanitaires au niveau de certaines localités, environ 1400 équipes mobiles composées de sages-femmes et d'infirmiers du district ont sillonné les 5000 communes les plus pauvres du Viêt-Nam pour informer et  sensibiliser les populations à la planification familiale. Ces équipes passent de famille en famille pour diffuser l'information sur la contraception et inciter la population à se faire stériliser ou à se faire poser un stérilet. Parallèlement, des messages diffusés par les haut- parleurs de la commune accompagnent le travail de l'équipe médicale du district. En 2001, une cinquantaine de programmes radiophoniques à destination des ethnies minoritaires et  traitant de la limitation des naissances sont lancés par la Voix du Viêt-Nam en collaboration avec le CNPPF. Ces programmes sont diffusés dans quinze langues (Hmong, Thai, Tây, Nung, Dao,...). Le principe est désormais d'adapter l'Information, l'Education et la Communication aux différentes ethnies qui composent la population vietnamienne.

Deuxièmement, à un objectif quantitatif de réduction nationale de la croissance se substitue peu à peu un objectif qualitatif. Il s'agit d'une part d'améliorer la qualité des services de planification familiale et de mieux les intégrer au réseau de soins de santé. Par qualité de la population, les autorités vietnamiennes insistent sur l'éradication de la famine, l'accès à la santé pour tous, la qualité de la formation, l'accès à un emploi pour tous et l'égalité des sexes. Conformément aux objectifs fixés lors de la conférence du Caire en 1994, la planification de la famille vietnamienne est intégrée à une politique plus globale de santé de la reproduction à partir du début du XXI e siècle, et elle ne constitue plus l'unique finalité des programmes démographiques. Symbole de cette modification, le Comité National en matière de Population et de Planification Familiale créé sous cette terminologie en 1984 devient, au début du XXIe siècle, le Comité pour la Population, la Famille et les Enfants. La planification familiale au sens strict n'est plus au cœur des préoccupations politiques.

Cependant, un nouveau cri d'alarme a été lancé par le pouvoir politique en 2005. A l'issue d'une enquête effectuée par le service général des statistiques, dont les résultats ont été publiés le 8 février 2005 ; il a été révélé que le taux brut de natalité est passé de 17,5 par mille habitants en 2003 à 18,7 par mille habitants en 2004. L'indicateur conjoncturel de fécondité (nombre de naissances par femme en âge de procréer) est passé durant la même période de 2,12 à 2,23. Les statistiques précisent que le taux conjoncturel de fécondité le plus élevé du Vietnam se situait sur les Hauts Plateaux du Centre-Vietnam (3 enfants par femme). Venaient ensuite le nord de la région centrale (2,6), puis le nord-ouest (2,5). La même enquête fournit également des indications sur un certain nombre d'autres facteurs contribuant à favoriser la croissance démographique au Vietnam. On y apprend, en particulier que, depuis de nombreuses années, le taux de mortalité infantile ne cesse de diminuer. Il est aujourd'hui de 18 pour mille, la moitié du taux moyen pour les pays de l'Asie du Sud-Est. Les résultats de l'enquête démographique troublent la politique de contrôle des naissances laborieusement appliquée par les autorités vietnamiennes. Dans certains milieux vietnamiens, relativement aisés, le nombre moyen d'enfants désirés aujourd'hui par les femmes vietnamiennes est estimé à 2,4 enfants par femme. Le journal électronique (gouvernemental) VNNET du 23 octobre 2004 soulignait que l'aspiration à de nombreux enfants se découvre aujourd'hui chez les riches, chez les cadres du Parti ou de l'administration à salaire élevé souvent assistés par du personnel de maison. Il citait une mère de famille de deux enfants qui s'apprêtait à en avoir un troisième malgré la réglementation. Elle affirmait : "Je peux les nourrir et les élever moi-même. Je n'ai besoin de personne pour cela."

Planification familiale et rapports de masculinité[7] en hausse

Si l'on replace la politique de planification familiale dans le cadre des valeurs culturelles du Vietnam, cela permet d'éclairer des conséquences possibles de cette politique.

Traditionnellement, la famille joue un grand rôle dans la société et dans la vie des individus au Viêt-Nam. C'est la famille, et non l'individu, qui est la cellule de base de la société. Elle intervient dans tous les aspects de la vie quotidienne de l'individu, y compris les pratiques matrimoniales. La société vietnamienne traditionnelle encourage une forte fécondité comme l'indiquent de nombreux proverbes populaires, tels que «tant qu'il y aura des éléphants, l'herbe poussera» ou « les enfants représentent la plus sûre source de richesse». La naissance des enfants est une des sept grandes solennités dans la famille, le bonheur d'un ménage se mesurant au nombre d'enfants.

Les changements considérables de la société vietnamienne des vingt dernières années s'accompagnent toutefois d'une révolution dans les mentalités en matière de comportements reproducteurs, avec des variations notables selon les régions. Dans la société traditionnelle, l'enfant remplit plusieurs fonctions. Une enquête sociologique réalisée en 1984 sur un échantillon composé d'adultes des deux sexes vivant dans le Nord ou dans le Sud indique que, pour les hommes, les deux premiers rôles remplis par les enfants sont, dans l'ordre d'importance, la perpétuation de la lignée familiale et l'assurance d'un soutien pendant la vieillesse. Ce sont aussi les deux principaux avantages reconnus par les femmes mais dans l'ordre inverse. L'enfant est aussi valorisé pour sa contribution aux revenus du ménage et comme agent potentiel de promotion sociale. Les traditions populaires font d'une nombreuse progéniture un élément indispensable du bonheur, valeur prédominante de la culture vietnamienne avec la prospérité et la longévité. Une nouvelle enquête réalisée en 1994 auprès des habitants d'une communauté rurale du Nord, déjà interrogés en 1984, révèle que les mêmes avantages sont attribués aux enfants mais que l'ordre des priorités a changé: les considérations affectives prennent désormais le pas sur l'espoir d'un soutien pendant la vieillesse et la continuité familiale devient moins déterminante.

Dans une société où la perpétuation de la lignée et le culte des ancêtres sont indispensables et où la famille est patriarcale, l'enfant mâle occupe une place plus importante que la fille. Economiquement, l'enfant mâle assure la succession, il apporte à ses parents, outre l'héritage, une bru, main d'œuvre supplémentaire pour la famille. Nourrir une fille c'est, au contraire, investir à fonds perdus. · Cet avantage économique est renforcé au niveau religieux par la doctrine confucéenne, qui considère que l'absence d'enfant mâle pour la continuation de la lignée est la plus grave forme d'impiété non seulement à l'égard de la famille mais aussi du clan. Le statut d'une femme dépend de sa capacité à avoir des enfants, et surtout des fils. Pour une famille, ne pas avoir de descendance était considéré comme une offense envers les ancêtres, et donc le plus grand malheur qui puisse arriver. De plus, la volonté ď avoir une descendance mâle détermine aussi le comportement reproductif des couples vietnamiens, particulièrement en milieu rural. La nécessité d'avoir un garçon peut ainsi faire obstacle à l'implantation de programmes de planification familiale.

La préférence pour le fils trouve son fondement dans la piété filiale qui implique des devoirs primordiaux du fils envers ses parents biologiques et envers les parents des parents : le respect et les soins dus aux parents, et le culte des ancêtres. Seul le fils est habilité à rendre le culte aux ancêtres de la famille ; il est le seul à pouvoir prolonger la lignée familiale. Si les familles ne peuvent avoir que deux enfants, le sexe de l'enfant à la naissance, surtout s'il s'agit d'une fille va devenir rapidement un problème vis-à-vis des attentes familiales. Comment la politique de planification des naissances influe-t-elle sur la préférence pour les garçons ?

L'article de Danièle Bélanger, Khuat Thi Hai Oanh, Liu Jianye, Le Thanh Thuy, Pham Viet Than[8] se propose d'examiner les rapports de masculinité au Vietnam. Leurs études montrent que les familles vietnamiennes ayant deux filles ont plus souvent un troisième enfant que celles ayant au moins un fils, que les femmes n'ayant que des filles sont moins susceptibles de recourir à la contraception que les femmes qui ont un ou plusieurs fils. Enfin, il semble que les familles vietnamiennes ayant plus de deux enfants sont prêtes à recourir à des stratégies pour influencer le sexe de l'enfant à venir. La sous-déclaration des filles à la naissance est considérée comme un facteur important en Chine où, pour se protéger face à une politique démographique sévère, les familles sont conduites à cacher les naissances de filles ou à les proposer à l'adoption et ne pas déclarer leur naissance. Par contre, au Vietnam, un sous-dénombrement systématique des enfants de sexe féminin semble peu probable en ce qui concerne les recensements et l'enquête sur les niveaux de vie réalisée en 1997-1998. Cela s'explique par le fait que la politique vietnamienne de restriction des naissances à un ou deux enfants ne s'accompagne pas de sanctions, qui pèsent directement sur les enfants de rang trois et au-delà, via un accès réduit aux soins de santé et à l'éducation par exemple. Tous reçoivent en général une amende qu'ils doivent acquitter en nature (paddy) ou en espèces. Toutefois, son montant varie et, dans certaines zones rurales, il arrive que l'amende ne soit réclamée que plusieurs années après la naissance de l'enfant. Les résultats des auteurs ne permettent pas de conclure de manière certaine, étant donné les lacunes et défauts des données, à la hausse du rapport national de masculinité à la naissance au Vietnam. D'après les données du recensement, on peut conclure que la tension entre la préférence pour les garçons et le désir d'avoir une petite famille n'a pas entraîné de relèvement des rapports de masculinité à la naissance, comme c'est le cas en Chine. Elisabeth Croll dans Endangered Daughters, Discrimination and Development in Asia[9] est quant à elle moins optimiste que les auteurs précédemment cités. Dans cet ouvrage, l'auteur tente de mesurer l'ampleur de la discrimination qui s'exerce à l'égard des filles et des femmes, en la reliant directement à la préférence culturelle pour les fils qui prévaut sur ce continent. Elle montre aussi comment les programmes de planification familiale ont permis aux couples, indirectement, d'intervenir sur la composition de leur descendance selon le sexe.

Frédérique

Bibliographie

- Bélanger, Danièle, Khuat T. H. O., J. Liu et al, « Les rapports de masculinité à la naissance augmentent-ils au Vietnam? », Population, 2003, n° 2, pp. 255-276.

- Charbit, Yves (dir), Société et politiques de population au Viêt-Nam, Coll Populations, L'Harmattan, 2002

- Croll Elisabeth, Endangered Daughters, Discrimination and Development in Asia, London and New York, Routledge, 2000

- Gammeltoft, Tine, Women's bodies, women's worries. Health and Family in a Vietnamese rural Community, Curzon, 1999

- Gubry, Patrick (dir), Population et développement au Viêt-nam, Kartahla, 2000

- Scornet, Catherine, « Un exemple de réduction de la fécondité sous contraintes : la région du delta du fleuve Rouge au Viêt Nam », Population, 2000, n° 2, pp. 265-299.

- Tranh Thi Hao, Une introduction à la connaissance du Viêt-nam, L'Harmattan, 2007

- Vu, Hoang, Ngân, Le besoin de planification familiale au Viêt-Nam, Dossier

[1] Vu, Hoang, Ngân, Le besoin de planification familiale au Viêt-Nam, Dossiers du Ceped, n°50, 1998, p 7

[2] Scornet, Catherine, « Un exemple de réduction de la fécondité sous contraintes : la région du delta du fleuve Rouge au Viêt Nam », Population, 2000, n° 2, pp. 265-299

[3] Gammeltoft, Tine, Women's bodies, women's worries. Health and Family in a Vietnamese rural Community, Curzon, 1999

[4] P 11 le titre de l'image est « đông con làm giảm hạnh phúc gia đình » et p 13 « ảnh hưởng đến đời sống hang ngày"

[5] Scornet, Catherine, « Un exemple de réduction de la fécondité sous contraintes : la région du delta du fleuve Rouge au Viêt Nam », Population, 2000, n° 2, pp. 265-299.

[6] On peut penser de ce point de vue penser au roman de Zola Fécondité (1899) qui met en scène deux types de familles : la famille bourgeoise (les Beauchêne) peu prolifique n'a qu'un enfant afin de pouvoir l'élever et lui accorder tous les soins nécessaires et la famille ouvrière (les Moineaud) qui s'entoure d'enfants.

[7] Le rapport de masculinité à la naissance est le rapport entre les naissances d'enfants vivants de sexe masculin et de sexe féminin.

[8] Bélanger, Danièle, Khuat T. H. O., J. Liu et al, « Les rapports de masculinité à la naissance augmentent-ils au Vietnam? », Population, 2003, n° 2, pp. 255-276.

[9] Croll Elisabeth, Endangered Daughters, Discrimination and Development in Asia, London and New York, Routledge, 2000