"Le silence sacré fait partie de la célébration : il doit aussi être observé en son temps." (PGMR 45)
Dans l' évangile de ce dimanche nous voyons que de nombreux malades sont amenés auprès de Jésus pour qu'il les guérisse. Je ne peux m'empêcher de voir dans cette foule de malades la liturgie même telle qu'elle est célébrée en beaucoup d'endroits. Il est grand temps pour nous de nous approcher de Jésus pour le supplier de la guérir. Un des principaux symptomes d'une liturgie malade est le manque de silence. Comme le faisait remarquer Jean-Paul II, nos liturgies ne retrouveront leur santé spirituelle que dans la mesure où elles quitteront le vacarme tapageur du monde pour rejoindre la prière silencieuse de Jésus :
"Un aspect qu'il faut cultiver avec une plus grande application au sein de nos communautés est l'expérience du silence. Nous avons besoin de celui-ci 'pour accueillir dans nos coeurs la pleine résonance de la voix de l'Esprit Saint, et pour unir plus étroitement la prière personnelle à la Parole de Dieu et à la voix publique de l'Eglise'. Dans une société qui vit de manière toujours plus frénétique, souvent étourdie par le bruit et distraite par l'éphémère, redécouvrir la valeur du silence est vital. Ce n'est pas un hasard si, même en dehors du culte chrétien, se diffusent des pratiques de méditation qui accordent de l'importance au recueillement."
Après le diagnostic, voici la prescription, avec référence explicite à l' évangile de ce dimanche :
"Pourquoi ne pas lancer, avec audace pédagogique, une éducation spécifique au silence au sein même des propres paramètres de l'expérience chrétienne ? Nous devons avoir à l'esprit l'exemple de Jésus, qui 'sortit et s'en alla dans un lieu désert, et là il priait' (Mc 1, 35). La Liturgie, dans ses divers moments et ses diverses manifestations, ne peut pas négliger celui du silence." (Lettre apostolique Spiritus et Sponsa 13)
Alors prenons du temps pour suivre Jésus dans sa prière silencieuse, en dehors, mais aussi pendant la messe. Il ne manquerait plus que cela, que l'on ne puisse même plus avoir un peu de silence pendant une célébration eucharistique ! Une messe sans silence est comme un trésor qui reste fermé. Combien de messes célébrées à la va-vite ou dans une débauche de paroles, de chants et d'actions, au nom d'une compréhension erronnée de la "participation active" dans la liturgie. Le Père Daniel Ange écrit :
"Le dialogue des Personnes divines s'exprime en silence. Face à ce silence de mystère, la louange des anges et des hommes la plus festive sera célébration silencieuse."
C'est exactement le poids de ce silence qui dit l'infinie réalité de Dieu : l'univers ne saurait annoncer sa présence d'une autre manière. Malheur à moi si je n'évangélise pas par le silence (cf. 2° lect) ! Malheur aux célébrants dont les messes tiennent plus d'un spectacle mondain que d'une liturgie catholique ! Nul événement n'a la grandeur, la pureté, la solitude d'un silence dans lequel tout l'univers se précipite. Pourquoi s'en priver ? Le mystère de l'eucharistie, c'est l'ouverture du septième sceau de l'Apocalypse (8, 1) :
"Et quand il a ouvert le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d'environ une demi-heure."
Divo Barsotti de commenter :
"C'est le silence de la liturgie. Mais précisément le silence de la liturgie quand elle anticipe en quelque sorte cette venue. La messe n'est pas seulement la présence actuelle du Mystère de la croix et du Mystère de la rédemption ; elle est aussi l'anticipation réelle, et non pas seulement prophétique, de la fin de tout en présence du Christ. Chaque fois que la messe se dit, le monde finit ; toute la création en quelque manière se transporte dans le Christ, et il n'y a plus que Lui. Mais si la messe anticipe cette fin, c'est précisément dans le silence qu'elle l'anticipe. Quand arrive la consécration, au moment le plus solennel, le silence se fait : la solennité du moment est comme scandée par le silence. Avant, on peut acclamer et chanter, mais quand Il vient, l'homme se tait."
Et de faire référence à Job (cf. 1° lect.) :
"Job le disait : Auparavant je te connaissais pour avoir entendu parler de toi, mais maintenant que Tu es là, je me prosterne dans la poussière et je me tais. L'homme peut interroger Dieu quand Dieu est loin, il peut discuter avec lui, il peut l'appeler en justice - comme faisait Job - mais quand Dieu se rend présent, l'homme n'a plus de raison à opposer, il n'a plus à demander des explications, il ne peut qu'adorer. Alors tombe toute envie de contester, toute objection. Silence. Ce n'est pas seulement le silence de l'homme, c'est le silence de l'univers entier. Comme le disait déjà le prophète Sophonie : Au jour de Iahweh que tout fasse silence, le ciel et la terre."
Le silence de l'univers entier : c'est cela aussi que veut dire le mot 'catholique'.
Nous venons de commémorer, dimanche dernier, le 50° anniversaire de la convocation du Concile par Jean XXIII. Dans une conférence intitulée "La vie liturgique dans les communautés quinze ans après le Concile" et donnée à Fulda, auprès du tombeau de saint Boniface, le cardinal Ratzinger - qui avait remarqué avec amertume, dans son cahier de 1963 sur la première session, qu'on pourrait jauger le succès du concile à la manière dont la messe de clôture différerait de celle d'ouverture - disait déjà de manière assez nuancée :
"Qu'en est-il donc aujourd'hui de la vie liturgique chez nous ? Poser cette question c'est s'exposer à éprouver des sentiments quelque peu partagés. D'un côté, il y a la joie née d'une conscience nouvelle de la responsabilité commune ; d'une expérience nouvelle de la communauté et de la participation communautaire au mystère eucharistique; d'une compréhension nouvelle, du fait que la liturgie de l'Église, sortant des voiles de l'histoire, nous est apparue à nouveau dans sa simplicité et sa grandeur, Mais d'un autre côté, il y a aussi ce que nous savons des disputes et des divisions nées à cause de la liturgie et en son sein, il y a un sentiment de malaise devant trop de paroles, pas assez de silence et pas assez de beauté ; le souvenir de maintes initiatives arbitraires qui ont rabaissé la dignité de l'institution du Seigneur jusqu'à n'être plus que navrante autofabrication. Nous avons donc des raisons de rendre grâce, mais non moins de raisons de nous livrer à un examen de conscience ..."
Depuis, près de vingt-cinq ans ont passé, et le Seigneur a permis que le cardinal devienne pape. Prions pour lui, afin qu'il puisse mener à bonne fin la mission qu'il a reçue, et qu'avec la grâce de Dieu, la nouvelle traduction du missel romain soit le point de départ pour des célébrations liturgiques dignes de ce nom.