En fait j’avais tout de même une sorte d’appendice au Jardin des Plantes. Ce n’était donc pas complètement terminé ! Et cet appendice un peu bizarre est un roman de Philippe de la Genardière intitulé « L’année de l’éclipse » paru chez Sabine Wespieser Editeur, Paris en 2008. J’avais acheté ce livre au retour des vacances d’été, pour organiser une rentrée littéraire à mon goût. En fait il s’agissait plutôt du goût des libraires. Comme j’ai eu l’occasion de me rendre plusieurs fois à Strasbourg, la librairie Kléber a, une fois de plus, guidé mes choix. Les publications de cet auteur, familier de l’Iran dans les années 70′ et lauréat de la Villa Médicis ont, depuis 1979 garni les propositions de bons éditeurs : Flammarion, Stock, Payot, Actes Sud, voire pour certains ouvrages plus spécialisés le Centre National des Monuments Historiques (Azay ou le corps perdu), Hazan (La peinture de l’amour) et Les Editions de l’Imprimeur (Médaillon pour Salins).
Ce roman là est parisien. Un Paris du mal-être. La version parisienne des œuvres de Woody Allen, avec le psychanalyste en point de mire. Pas de Twin Towers ou de petits cafés de Soho, mais la vision des allées et venues des passants et des voitures depuis la fenêtre du boulevard Beaumarchais, les rencontres amoureuses dans un petit appartement situé en face à Saint Médard…et les Serres du Muséum d’Histoire Naturelle. Et l’humour en moins.
Cet ouvrage qui parle de l’impossibilité de l’œuvre, jusqu’à la folie, aboutit, pour l’œuvre en question, dans la corbeille de l’ordinateur. Mais en ce qui concerne la réflexion sur l’éclipse du travail et de l’engagement intellectuel à ce tournant de siècle, nous sommes en face d’une autre œuvre, écrite celle là dans un style proustien un peu raccourci et qui se déverse comme un désespoir romantique, en parcourant la longueur d’un marathon de 500 pages. C’est peut-être un peu beaucoup pour évoquer la difficulté d’écrire et de réfléchir. Les deux termes étant pris dans un sens ou dans l’autre, selon les besoins.
Un exemple : « Tout l’inquiétait dans son corps, qu’il ne cessait de maudire en même temps, puisque marqué du sceau infamant de la cinquantaine, tout était prétexte à s’angoisser à son propos, et d’autant plus que Basile ne s’était jamais soucié de ce que les médias, sondage à l’appui, présentaient comme la préoccupation principale des Français, qu’il n’avait donc aucune connaissance en la matière, et n’avait pas voulu en avoir, traitant avec un égal mépris la médecine et le sport, qu’il mettait à peu près dans le même sac. » Heureusement, le miracle des Serres du Muséum va intervenir ! Les cinquantenaires divorcés ont toujours besoin d’exotisme, même s’ils ont peur de quitter Paris.
J’aurais aimé évoquer un peu plus longuement, dans un des posts précédents, cet espace clos, chaud et humide pour sa plus grande partie, chaud et sec pour sa partie terminale. On aura compris que j’y attache de l’importance parce que chaque année, pendant disons vingt ans, j’y ai emmené des étudiants, une soixantaine chaque année, après plusieurs séances de travaux pratiques sur les hydrophytes, les épiphytes et les xérophytes. Alors tous les Ficus, les Palmiers, les Alocasias, Aglaonémas, Aspidistras, toutes ces fougères arborescentes et ces Araucarias, et plus loin dans l’absence d’hygrométrie, les Stapelias, Agaves et Astrophytums, Euphorbes piquantes comme la couronne du Christ, Mammillarias au nom évocateur, voire ces Lithops qui miment des cailloux, n’avaient plus de secrets, pas plus que les parcours secrets dans les fausses grottes recouvertes de ces Ficus géants qui n’arrivent pas à atteindre de telles hauteurs dans nos appartements quand ils ont eu le malheur d’y avoir échoué.
J’aimais beaucoup ces visites, comme j’ai aimé les excursions vers Fontainebleau, mais ce que j’adorais le plus, était cette espèce de langueur étrange qui avait façonné les jardiniers qui passaient là leurs semaines, réfugiés durant les après midis bruyantes dans les serres latérales, dans l’atmosphère un peu lascive des Orchidées, à préparer les mélanges de terres, à faire des boutures et des plantations. Ce n’est pas que les visiteurs étaient nombreux, mais il y avait toujours des jeunes gens venus de l’Ecole des Arts Décos, descendus de la Colline Sainte-Geneviève, qui devaient dessiner ces motifs vivants qui avaient peuplé l’Art Nouveau, fasciné William Morris, et s’étaient retrouvé sur les affiches des spectacles, les menus de restaurant, et les grandes volutes des beaux immeubles de Bruxelles ou de Nancy.
Propres à la lascivité, en effet ces serres ! Les élèves, les miens et ceux venus de la rue Lhomond, en profitaient pour flirter. Je devais les recompter à la sortie, tant les possibilités de se cacher sont nombreuses.Voilà donc certainement pourquoi les cinquantenaires peuvent trouver leur salut dans les allées liquéfiées, entre les Cycadales et les Broméliacées.
« Aussi en s’engageant dans ce Grand Jardin d’hiver, Basile se doutait bien qu’il allait s’affronter aux forces les plus élémentaires en lui, en particulier celles du corps, ou du sexe, et tandis qu’il s’enfonçait sous l’immense cloche de verre où copulaient silencieusement, dans les moiteurs, les essences les plus exotiques, il était déjà dans l’attente, et sous l’emprise d’un désir latent, indistinct. » Nul doute que la femme, jeune et fraîche doit se trouver là quelque part. On l’avait deviné, dans ce décors qui lui évoque les films de Werner Herzog, il va trouver une belle iranienne et pouvoir renouer avec son passé qui date d’avant les Mollahs.
Pourquoi est-ce que j’évoque ce livre ? D’abord parce que je l’ai lu entièrement. Parce que sa seule qualité a été de me replonger dans les meilleurs moments de mon passé d’enseignant et parce que je voudrais vous éviter d’y perdre votre temps, même si vous êtes avides de la sensualité des romans de gare, habillés de références philosophiques et d’évocations des musiques pour piano de Maurice Ravel et des chants de Debussy où s’alanguissent Pélleas et Mélisande. N’est pas Indiana Jones qui veut.
Par contre, allez voir ces serres, dans un sentiment d’exterritorialité et d’abandon. Elles sont vraiment magiques.
Photographie : vue des serres sèches du Museum. Novembre 2004.