La leçon du « Che » (2)

Publié le 07 février 2009 par Roman Bernard
À lire aussi, mon article consacré à la première partie, L'Argentin.
Nous avions laissé le « Che » aux abords de Santa Clara, sur la route de La Havane, alors qu'il venait de gagner la bataille décisive qui allait permettre à Fidel Castro de renverser le colonel Batista.
Nous le retrouvons six ans plus tard, en 1965. Ernesto Guevara s'apprête alors à quitter Cuba pour la Bolivie, où il doit profiter de la position centrale du pays pour propager la guérilla marxiste à l'ensemble du monde latino-américain. Dans Guerilla, le « Che » a donc rendez-vous avec un destin forcément héroïque.
J'avais déjà été gêné, dans le premier opus, par le caractère romancé donné par Soderbergh au récit de l'épopée guévariste. Là encore, l'armée bolivienne régulière est décrite comme un ramassis de balourds, méchants parce que foncièrement stupides.
Les conseillers américains du président bolivien présentent quant à eux tous les stéréotypes véhiculés par la caricature du diplomate occidental : des crânes d'œuf insensibles, cyniques, froids, obsédés par l'ordre et sans pitié pour le « peuple ».
L'insurrection, a contrario, est magnifiée, d'autant qu'elle passe plus de temps à soigner les enfants des paysans boliviens qu'à se battre. Le « Che », G.O. de ce joyeux camp scout, alterne crises d'asthme, péroraisons et épluchage de patates.
Hormis l'apparition de Régis Debray, auquel Guevara ordonne d'intercéder auprès de Jean-Paul Sartre pour lancer une campagne de financement de sa tentative de subversion, le film présente en lui-même peu d'intérêt. La bataille ultime contre les forces boliviennes, équipées et entraînées par les États-Unis, se fait longuement attendre. Une fois commencée, il est clair que les hommes du « Che », mal entraînés et sous-équipés, ne seront pas de taille ni de poids face à une armée d'une autre trempe que celle de Batista, que les insurgés cubains avaient si aisément vaincue en 1959.
Si le destin du « Che » est héroïsé, sa mort est moins glorieuse : Guevara est sommairement exécuté, comme on le sait, après avoir été capturé par l'armée bolivienne. Après deux ans passés dans la pampa, il ne reste rien de son œuvre.
Que reste-t-il du « Che » ?
Rien ? Pas tout à fait. Il reste une légende, un mythe, qui ont été perpétués depuis par les communistes, dont Olivier Besancenot et ses disciples. Il reste une jeunesse d'Occident nihiliste et neurasthénique, dont une bonne partie continue à idéaliser les méfaits de ce meurtrier. Non pas qu'elle glorifie la violence, comme on l'entend très souvent.
Au contraire des guerilleros du Che ou des activistes de la « Bande à Baader », la jeunesse d'extrême-gauche serait bien incapable aujourd'hui de la moindre violence, et est donc prête à toutes les compromissions avec des fanatiques religieux, en lesquels elle croit avoir enfin trouvé un peuple révolutionnaire de substitution.
Mais cette violence devient abstraite, elle est occultée, et ses victimes avec.
La leçon du « Che », c'est donc non seulement la nécessité d'une forme de messianisme politique, comme je l'écrivais dans mon article précédent.
C'est aussi celle de la déconstruction des mythes trompeurs que des idéologues ont édifiés pour faire oublier les crimes de leurs héros. Car c'est la persistance des mythes trotskyste, castriste ou guévariste qui explique la scandaleuse mais courante différence de traitement entre les extrémismes de gauche et ceux de droite, alors même que leurs similitudes sont plus grandes que leurs oppositions. Les crimes des extrémismes de droite sont rappelés pour complexer la droite, qui ne se compromet pourtant pas, contrairement à la gauche française actuelle, avec les extrémistes de son bord. On ne voit pas, aujourd'hui, d'équivalent à droite à la complaisance de la gauche pour Cesare Battisti.
Mais déconstruire les mythes communistes, comme l'ont fait des historiens avec Le Livre noir du communisme par exemple, ne suffira pas. Il faut aussi pouvoir les remplacer dans les cœurs et les mémoires par des figures moins subversives, mais plus authentiquement humanistes. C'est sans doute le plus périlleux : je trouvais, dans l'article précédent, « [d]ésolant, de voir que l'histoire a davantage retenu le nom de Marat que de Condorcet. » Aussi attachant que soit ce dernier, il est toutefois peu probable que ses idées, tout empreintes de modération, puissent rencontrer le même écho affectif que les diatribes enragées de Marat. C'est cela, l'amère leçon du « Che », dont nous n'avons pas fini de constater les méfaits.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.
À lire aussi, le billet réalisé avec Gief.