Alors que le monde apprenait la réintégration des évêques intégristes au sein de l’Eglise Catholique, un autre évènement est venu modifier l’orientation de l’Eglise : la création d’une « chaîne » du Vatican sur Youtube.
Benoît XVI a donc décidé de devenir un pape de « l’ère numérique », suivant en cela l’exemple de plusieurs hauts dignitaires de l’Eglise comme l’archevêque de Naples, le cardinal Crescenzio Sepe, qui voit en Facebook un moyen « de répandre la parole de Dieu » . Le lancement ce 23 janvier de la chaîne Youtube, suivi d’une déclaration de Benoît XVI sur Internet, « don pour l’humanité » qu’il veut accessible à tous, apparaît comme une ouverture en direction des internautes, la Toile devenant ainsi une terre de mission comme une autre. Dans cette optique, Youtube est, vu le trafic généré par le site, l’outil informationnel idéal pour se lancer à la (re)conquête des internautes.
Dans le même temps, lors d’un colloque sur le journalisme et Internet où il présentait le nouveau site de son diocèse, le cardinal-archevêque de Milan, Mgr. Dionigi Tettamanzi, réputé pour ses positions libérales, affirmait l’importance de la communication dans le monde actuel. L’Eglise catholique semble enfin s’être accordée sur un point : ses déficits communicationnels passés.
Toute l’Eglise se range en ordre de bataille pour la conquête du Web et les langues proposées sur la chaîne Youtube du Vatican montrent clairement les objectifs visés : l’Europe et le continent américain. En effet, l’Eglise Catholique Romaine est depuis quelques années maintenant en perte de vitesse importante dans le vieux continent et outre-Atlantique, que ce soit au Nord comme au Sud.
Raffermir le lien entre l’Eglise et ses fidèles en Europe, tel est l’un des principaux objectifs de ce positionnement sur les plateformes collaboratives et participatives. En effet, même si il existait déjà un certain nombre de chaînes Youtube orientées vers la religion catholique dont celles de l’Opus Dei, l’institution en elle-même prend conscience de ce que peut lui apporter en termes d’image et d’impact une telle présence. L’Eglise, en se positionnant sur ces médias « sociaux », donne l’apparence d’une plus grande ouverture, via la possibilité de commenter, et s’offre un nouvel outil de prosélytisme à destination d’un public « jeune ». Il apparaît aujourd’hui que la pastorale traditionnelle ne suffit plus à remplir des églises de plus en plus désertées et concurrencées. Bienvenue dans l’univers de la « pastorale numérique » où le Pape et l’Eglise s’adressent, à la demande, à l’internaute-fidèle. Après tout, pourquoi ne pas tirer parti d’un site comme Facebook qui invite lui-même ses utilisateurs à indiquer leur orientation religieuse ?
D’un autre côté, la concurrence des Eglises « protestantes » : presbytériens, évangélistes, réformés, pentecôtistes ; souvent présentes sur Internet depuis longtemps, se fait de plus en plus sentir. Aux USA la perte de fidèles au profit de ces Eglises est ancienne, les divers scandales liés à la pédophilie n’ayant rien fait pour arranger les choses. Mais le phénomène nouveau se situe en Amérique Latine, terre traditionnellement catholique romaine, où de plus en plus de fidèles choisissent de se tourner vers d’autres formes d’encadrement spirituel, comme en témoigne la vigueur non démentie de la Théologie de la libération. Comme le fait remarquer le sociologue J.-P. Bastian : « une logique de marché a gagné le monde religieux » (1).
Déjà Jean-Paul II, conscient du problème, avait multiplié les voyages dans la région pour tenter d’y réaffirmer la présence catholique. Il semble que la stratégie de Benoît XVI soit plus tournée vers la communication directe via les nouveaux moyens numériques que vers un encadrement renforcé des fidèles. Comme Pie XI en son temps avec la Radio vaticane, Benoît XVI découvre une nouvelle technologie susceptible d’élargir encore plus le spectre de diffusion de son message et de l’amener vers des populations jusqu’ici délaissées. Dans cette optique, ce nouveau positionnement sur Internet est une nouvelle étape de l’âpre combat informationnel qui se joue pour la conquête des âmes.
L’Eglise catholique tente ainsi d’apparaître plus ouverte au monde actuel et à ses changements, mais cela suffira-t-il à enrayer la perte de fidèles, attirés vers des religions vues comme moins contraignantes ? Il est sûr en tout cas que L’Eglise a maintenant intégré le potentiel offert par le Web 2.0, reste à savoir si elle saura s’en servir efficacement.
Nicolas Mazzucchi
- J.-P. Bastian, « Des foules si ferventes… », in l’Histoire n°322, juillet-août 2007.