Quand on etudie une langue, etrangere ou non, c'est bien entendu dans le plus grand respect des regles grammaticales et en essayant d'enrichir son vocabulaire au maximum. Autrement dit, une version assez differente de celle qu'on entendra dans la rue ou qu'on utilisera finalement 'entre copains'. Quand j'allais a l'ecole de langue, les profs nous racontaient que leurs amis leur trouver toujours une facon de parler un peu speciale. A force de coller au plus proche du japonais le plus propre ca les 'deformait'.
Autre exemple amusant, j'avais la premiere annee ou je suis arrive au Japon une amie russe, chercheuse specialisee dans l'histoire ancienne japonaise. Elle etait vraiment hyper calee sur son sujet : l'ere Nara (de 710 a 794). Mais a force de passer son temps dans des manuscrits de plus de 1200 ans, qu'elle lisait sans probleme, elle s'etait mise a parler un melange de japonais de cette epoque et de japonais contemporain. Ca faisait toujours enormement rire Junko.
Parfois ca peux provoquer des situations un peu paradoxales, ou celui qui maitrise le moins la langue peut expliquer un point de grammaire a celui qui la maitrise le mieux (cette phrase aussi est un peu paradoxale :-) ). Par exemple, je demandais un jour a mon chef comment dire "je vais arroser les fleurs". Je voulais en fait la traduction du verbe 'arroser' (撒く, maku), mais comme ca lui revenait pas il m'a propose ce qui lui venait immediatement a l'esprit : 花に水をやる (hana ni mizu wo yaru) qui donnerait litteralement "je fais de l'eau au fleur". Mon chef etait doublement embete parce que d'une part il se rappelait plus du verbe arroser et d'autre part il venait de se demander pourquoi diable on emploie le verbe yaru (faire) ici. En fait moi j'avais compris pourquoi mais sachant qu'il le prend toujours a moitie mal quand je lui explique un truc qu'il connait pas j'ai rien dit. Le verbe yaru n'est pas ici employe dans son sens de faire mais celui venant du triple sashiageru-ageru-yaru, utilise pour indiquer si l'action est faite dans le but d'un superieur/egale/inferieur hierarchique. Donc la traduction correcte en francais de ce 'faire deferent' devient bien "je donne de l'eau aux fleurs".
Le japonais 'trop propre' qu'on etudie peut donc poser des petits problemes, mais il permet aussi d'etre temoin de l'evolution de la langue. Evolution qui va bien sur dans le sens de la contraction, de la simplification, pour aller plus vite et moins se fatiguer la cervelle parce que l'homme est ce qu'il est ;-) Exemple, la terminaison negative 'nai' qui se reduit a sa premiere lettre 'n' (wakaranai -> wakaran'). Des fois les Japonais en son conscient, des fois non. Je me dit que ca doit venir de l'epoque ou la transformation a eu lieu. Plus elle est eloignee plus elle acquiert de normalite, si elle ne disparait pas en cours de route, et on oublie d'ou elle vient, et si elle n'affecte qu'une zone geographique reduite elle devient dialecte locale, si elle n'affecte qu'un groupe elle devient dialecte sociale. Exemples : 面白い (omoshiroi, amusant) qui devient omoroi, ca tout le monde sait d'ou ca vient, c'est un raccourci fabrique par les jeunes d'aujourd'hui, et ca ne 'merite' pas (encore) d'autre statut; de meme, すみません (sumimasen, pardon) qui devient suimasen; par contre le 'wakaraen' du dialecte d'Osaka, et encore plus le 'nan' a la place de 何 (nani, quoi) semblent percus comme ayant "toujours ete comme ca" si je demande aux Japonais autour de moi, mais le 'n' n'est en fait apparu qu'a l'ere Edo (1603-1867).
Mais revenons sur le "qui va bien sur dans le sens de la contraction, de la simplification". J'entends souvent ca et a chaque fois il y a quelque chose qui me gene. Si une langue ne fait que se simplifier ca veut dire que plus on remonte dans le temps et plus elle etait riche et complexe, ca fait un beau pied de nez a l' "evolution de nos societes" et je m'amuse a imaginer l'homo australopithecus en train de converser dans une langue raffinee et regie par une grammaire savante ;-) Un peu plus objectivement on pourrait essayer de s'amuser a chercher la courbe de complexite d'une langue a travers les ages. Est ce qu'elle est partie de rien, a atteint un pic puis est en train de retomber vers le primitif ? Est ce qu'elle dessine des cycles autour d'un axe stable, ascendant, descendant ? Les scenarios possibles sont legions... Amusant non ? En tout cas, en pretant son oreille a d'autres que les vieux bougons que l'evolution effraie car elle represente la fin de 'leur' temps et donc la leur, on trouve aussi des evolutions modernes dans la direction du complexe. Les verbes japonais se terminent systematiquement a la forme infinitive par un phoneme en 'u' (-u, -ku, -su, -tsu, ...), cette terminaison est remplacee par une autre pour conjuguer le verbe. Par exemple, 言う (iu, dire) devient 言っている (itteiru, etre dit), ou 言える (ieru, pouvoir dire). Ca c'est ce qui est ecrit dans les livres de grammaire japonaise. Mais en realite j'entend quotidiennement de la part des Japonais qui m'entourent des phrases ou la terminaison de l'infinitif et celle de conjugaison s'additionnent au lieu de se remplacer. Dans l'exemple precedent, ca devient 言うっている (iutteiru) et 言うえる (iueru).
Et pour reconcilier les partisans de l'evolution et ceux de la regression, un bel exemple marriant les deux, egalement entendu courament : 言うっときます (iuttokimasu). On a d'abord expansion avec la presence du 'u' de l'infinitif qui aurait du disparaitre au profit du 'tt', puis contraction avec le 'to' qui est en fait 'teo' (forme connective de iu plus verbe oku). Correctement ecrit on aurait : 言っておきます (itteokimasu, je lui dirai, avec le sous entendu 'pour qu'il le sache pour plus tard').
Et non cet article n'est pas ecrit pour la defense de toutes mes horreurs syntaxicales et grammaticales sur ce blog, encore mille fois pardon a tout mes lecteurs !! ;-p