A la base, je ne suis pas un marketeur. Mon truc, c’était plutôt la biochimie. Je me suis rattrapé depuis en survolant les bases Kapferiennes lorsque j’ai intégré une école de com et en ne quittant jamais mon petit David illustré bien avant de rejoindre l’agence qu’il a créé. On va donc considérer que ce qui suit est teinté d’une naïveté assumée.
Avec la montée en puissance de la dimension “influence” dans les stratégies globales et l’élargissement des leaders d’opnion à l’ensemble des parties prenantes, mes interlocuteurs sont devenus de moins en moins RP et de plus en plus marketeurs. Depuis, j’avoue m’étonner assez souvent du dialogue de sourd que des marques tendent à entretenir avec leurs consommateurs. En oubliant de se demander ce que ces mêmes consommateurs attendent réellement. Niant au passage les fondements du marketing. C’est ce qui colore en tout cas parfois quelques-unes de mes conversations professionnelles. Tiens, ça m’est arrivé encore cette semaine.
Intérieur jour / un bureau dans le sud parisien :
“On a plein de choses vraiment intéressantes à dire sur nos produits et la marque qui a une histoire extraordinaire, d’ailleurs on n’arrête pas de le dire, mais les gens ne nous entendent pas, maintenant on n’arrête pas de se faire attaquer sur Internet à la moindre occasion, comment faire ?” demande le chef de produit senior d’une marque emblématique de la grande distribution qui m’a appelé après avoir lu un article dans la presse
“Avez-vous des études sur le périmètre réel de vos consommateurs et les questions qui occupent leur esprit ?” interroge bêtement et dans un vocabulaire néophyte le marketeur amateur tendance biochimiste que je suis
“Oui on a plein d’études sur la perception de notre marque” répond en beaucoup plus développé (ça prend 10 minutes) le prospect
“D’accord, mais sait-on ce qu’ils attendent des produits qu’ils achètent, par quel type d’entrée et à quel stade ils rentrent dans le processus de choix entre les différentes marques disponibles, les interrogations qu’ils ont dans les stades précédents au-delà de la marque, les types de recherche qu’ils font sur Internet par exemple ?” rebondit mot à mot le consultant en essayant de reposer exactement la même question sans que ça se voie trop
“Oui je viens de vous le dire, on voit bien quels sont les attributs de la marque qui séduisent” s’agace gentiment l’interlocuteur en exhibant un sublime chart plein de chiffres
“Ah oui, je vois, en effet. J’imagine que vous avez la liste des “attaques” que vous mentionniez et que les attributs de la marque y répondent pied à pied… Revenons à internet, votre référencement est-il performant ?” demande résigné le consultant histoire de servir une question qui fait plaisir
“Sur ça on est vraiment travaillé avec l’équipe Internet parce qu’il y a quelques mois, il faut l’avouer, on n’était pas très bons. Regardez aujourd’hui sur Google, notre site est premier, on sait bien à quel point c’est important, et là toutes nos fiches sont référencées, toute l’information disponible” fanfaronne le monsieur
“C’est vraiment intéressant pour tous les consommateurs qui cherchent des informations sur vous. Mais il y a sans doute pas mal de recherches qui n’intègrent pas votre marque et devraient pour autant diriger vers vous ?”
“C’est à dire ?”…
Ca dure longtemps. Sur le même mode. Ca ne sert à rien de s’agacer. Je reconcentre les reste de notre discussion sur les questions qui rassurent plutôt qu’elle ne challengent. Je réussirai probablement à démontrer au final en utilisant un benchmark qu’une stratégie d’alliés permettra de se protéger dans une certaine mesure de ces fameuses “attaques” mais là n’est pas le sujet.
Je sais juste que pour intéresser les cibles que je connais bien, ces fameux leaders d’opinions, influenceurs y compris journalistes et autres parties prenantes, il faudra toujours avoir mieux à dire que “Mon produit c’est le meilleur”. Ce n’est pas nouveau. Même si ce même produit peut revendiquer une valeur réelle, c’est bien la moindre des choses. Les plus beaux baromètres du monde au service d’une marque totalement égocentrée et leur présupposées cibles stéréotypées n’y changeront rien. Et j’ai l’arrogance de penser que le processus est le même pour les consommateurs.
Parce que même si le dialogue éhontément caricatural qui précède est un extrême, il révèle que, après 4 ans de développement de programmes d’influence digitale, peu de choses ont changé dans la réalité ou, du moins, de façon clairement superficielle. Les consommateurs continuent à poser partout, et de façon très facilement identifiable sur Internet, des questions auxquelles les marques ne répondent pas puisqu’elles ne les écoutent pas, préférant parler d’elle avant tout. Un peu comme des conversations qui ne se croiseraient jamais. Plus question de caricature ici, il s’agit de la conclusion de la quasi intégralité des analyses réalisées sur les conversations en ligne pour une quinzaine de marques.
S’il fallait trouver un avantage à la crise qui va probablement rythmer les inflexions stratégiques pour quelques trimestres encore, c’est l’accéleration qu’elle va imposer dans la prise de conscience et l’aterrissage d’une réalité parfaitement comprise intellectuellement mais incroyablement rarement réellement mis en oeuvre : répondons aux questions qu’on nous pose et demandons-nous comment les valeurs de nos produits et des marques associées, désormais indissociables des valeurs des entreprises qui les proposent, s’inscriront dans ces réponses à travers un discours de preuve.
L’impulsion fondatrice viendra des directions générales, et elle viendra vite, faisons-en le pari.