Après mon billet sur le Coucher de soleil et le commentaire de PpP disant son goût pour les couchers autant que les levers de soleil et le fait qu’il assistait davantage à l’un qu’à l’autre, l’envie m’a prise de vous raconter une longue histoire.
Les longs billets ne sont pas foison. Il est 21h15 et j’avoue ne pas avoir envie d’autre chose là, maintenant que laisser courir mes doigts sur le clavier pour vous parler d’un lever de soleil. Je n’en ai pas vus énormément dans ma vie. Et je dois dire que celui-là m’a marqué…
On y va ? Un petit voyage dans le temps ? C’est parti.
Je l’ai dit souvent dans ces pages, l’adolescence, mon adolescence n’a pas été une partie de plaisir. C’est un âge compliqué où on se prend la vraie pulsion de soi en pleine tronche. On n’est pas vraiment préparé à cela. Avant, on vit dans l’ombre des parents, ils décident, on applique. La pulsion de soi est maîtrisée par l’autorité parentale. Le soi s’exprime de façon détournée : caprices, colères et le fameux « non »… Qui devient « oui », souvent, par la force des choses, parce que voilà, on nous a savamment appris à obéir. Pour peu qu’on fasse partie d’une fratrie, on pousse « ensemble », on n’est une partie du tout, essentiellement un tout, l'individualité perdue dans la communauté puisqu’on est ensemble… Le soi est noyé là-dedans…
L’adolescence arrive, l’envie de rébellion, de s’affirmer contre. Le plus « contre » possible. Des conflits constants, incessants, on ne fait même pas exprès : on étouffe. Purement et simplement, on ne supporte plus les contraintes… J’ai eu du mal, bien du mal parce que je me refusais d’exprimer tout ça. Peur de la sévérité de ma mère. Alors, je refoulais tout. Je m’enfermais dans ma chambre des heures durant. A ne rien faire la plupart du temps. Je rêvais. Et parfois, c’est là que tout a commencé, j’écrivais. Dans des cahiers, sur des feuilles de classeurs, j’écrivais ma rage, ma haine, ma colère, mon incompréhension de cette période. Des hormones qui courent dans tous les sens. Et cette timidité, cette solitude. Fermée aux autres. Renfermée. Tournée sur ce moi que je ne reconnaissais pas. Ce moi que je n’avais pas l’impression d’être, dans lequel je n’étais pas à l’aise. Moi ? Qui c’est, moi ?
Tout, je crois a commencé ici. Tout ce qu’allait être ma vie pendant les 15 années qui sont juste derrière moi. Bref…
Je pense que ma mère a vu vers quel enfermement je me dirigeais. Je pense qu’elle a vu qu’il me fallait un moyen de m’ouvrir aux autres. J’étais au collège, j’avais à peine plus de 11 ans et elle m’a demandé si je voulais faire une activité extrascolaire. J’étais d’accord. Il fallait que je me sorte de la maison. Je n’y étais pas bien. Il fallait que je me sorte du périmètre de ma grande sœur. Ma mère le savait. Un domaine juste à moi, où m’exprimer sans l’étouffoir qu’était ma sœur… Il fallait que je fasse quelque chose… Et c’est comme ça que rapidement j’ai découvert le scoutisme. Je dois dire aujourd’hui, en regardant les faits avec le recul que permet l’expérience même courte des années écoulées, ce fut une bouée de sauvetage. Une vraie bouée…
Pour commencer, je fus « guide », ou « scout » pour les filles. Puisque dans le mouvement que j’ai intégré « Scouts
d’Europe », point de mixité. Filles avec filles, garçons avec garçons, avec des sorties effectuées parfois tous ensemble. J’ai fait un peu plus de 3 ans ainsi, entre filles. C’était pas top,
top, au niveau de l’ambiance. Des filles, ça reste des filles ! Je me suis toujours mieux entendue avec les garçons : plus francs du collier, moins de détours pour arriver à exprimer l’idée
et si tu fais chier, ben ils te le disent ! Simplement. Alors que les filles te font des sales coups, et l’hypocrisie, et la médisance, et la méchanceté ! Bref, j’ai tenu le coup parce que les
activités étaient sympas. Les randonnées fabuleuses, les camps vraiment chouettes. Et quand on est féru de moments d’une simplicité et d’une authenticité absolues, il n’y a nulle part ailleurs
qu’on les trouve aussi répétés, et aussi régulièrement ressentis.
La nature, tout le monde logé à la même enseigne, l’uniforme qui permet une égalité constante. Et la nature, la nature omniprésente. Vivre du minimum, se débrouiller, cuisiner, construire, utiliser les mains, la tête et le cœur, pour se remonter le moral quand le manque des parents se fait sentir, quand l’ambiance est à chier et qu’il faut quand même finir le camp sans se taper sur la gueule. Bref, des leçons de vie. La débrouillardise, l’entraide et la joie, finalement, la joie d’être ensemble, de partager, de chanter, de rire, de mimer, de faire du théâtre. Créatif en même temps. Complet, vraiment complet pour avoir le vrai sentiment d’exister à un âge où on a tant de mal à le faire…
Ensuite, vers l’âge de 14, 15 ans, j’ai appris que la cheftaine de louveteaux de ma ville, cherchait des jeunes filles pour la soutenir. Le but : gérer des louveteaux (branche en-dessous des scouts, garçons entre 8 et 12 ans)… Comme ma sœur a fait partie des cheftaines pendant 1 an et qu’elle ne s’est pas plu rapport au fait qu'elle est plutôt genre petit doigt en l’air que crapahuter dans la boue, la cheftaine est donc venue me voir puisqu’elle me savait aux guides et que les guides de la ville allaient disparaître faute d’encadrement. Réticente au départ, suite à l’expérience qui ne me laissait pas énormément de bons souvenirs sur la fin, je lui ai dit que je viendrais voir mais que j’étais sceptique quant à la continuité de mon intérêt.
J’y suis allée. Je n’en suis plus partie. Jusqu’à mes 20 ans. Nous étions 4 cheftaines et on gérait 24 louveteaux, 24 gamins. A la maison, je m’occupais de mon petit frère comme une vraie maman. Ce n’était que 23 petits frères de plus ! J’ai adoré. Jouer avec eux. Leur apprendre à chanter. Leur apprendre à construire des trucs avec deux bâtons et de la ficelle, leur apprendre à faire un feu, à reconnaître des plantes, des insectes, à faire la cuisine, à présenter des plats joliment, faire des corvées, les réconforter, les aider à grandir par des activités ludiques, intelligentes.
J’ai des milliers de souvenirs d’émotions différentes, ressenties au travers de toutes ces années. De ces samedis, ces week-ends, ces camps. Des rires, des trouilles de bébêtes et de larmes aussi. Je me souviens des couvre-feux. Pendant les camps, les petits devaient se coucher après la veillée, autour de 21h30, je crois. 6 gamins par tente. 4 tentes installées en rond ou en ligne selon les terrains que l’on avait. Une fois les petits couchés et calmés nous nous mettions en cercle au centre des tentes et on entonnait un chant doux. Je me souviens d’un soir où j’étais seule à chanter. Les autres ne connaissaient pas cette chanson. C'était l’aigle noir. Celle que je chante tous les soirs, lorsque je couche mes filles. Comme pour faire revivre ce souvenir. Inlassablement.
Moi, seule, sous la nuit étoilée, chantant de toute ma voix le dernier chant avant leur sommeil.
Appliquée comme je le suis tous les soirs…
Je me souviens de soirées entre cheftaines, nous étions parfois longues à aller nous coucher, récapitulant la journée, réfléchissant aux
gamins à récompenser le lendemain pour leur aide, leurs initiatives, discutant d’untel ou untel… Puis, après avoir bu le thé traditionnel et les biscuits choisis, nous nous allongions dans
l’herbe et regardions le ciel, les étoiles, la voie lactée, à la recherche de quelque constellation connue. On se taisait, on écoutait les bruits de la nuit. Les grillons et autres criquets, les
craquements de branches, les feuilles remuées dans les fourrés.
Et rien d’autre : ni de bruits de ville, ni de klaxons, ni de sirènes. Juste la nature dans ce qu'elle a d'essentiel et de plus riche…
Je ne saurais transcrire le bien-être que j’éprouvais dans ces moments-là. C’était un temps pour moi, où je ne pensais à rien d’autre. Ni à
l’école dont je ne raffolais pas, ni à la maison où je n’étais pas si bien, ni à ma sœur…
J’étais moi. J’existais pour les autres. Sans railleries, sans moqueries et sans méchanceté gratuite... J’adorais quand un louveteau venait me voir, sans forcément avoir grand-chose à me dire, juste pour être là, près de moi ou alors, parfois, simplement pour me dire un timide « Tu sais, on t’aime bien, tous ! »…
C’est là que j’ai eu les meilleurs moments de mon adolescence.
Lorsque j’ai eu 16 ans, la cheftaine des cheftaines (qui avait 45 ans environ) est venue me voir en me disant qu’il y avait un grand camp rassemblant les scouts aînés (entre 15 et 17 ans) de toute la France et l’Europe, me demandant si je voulais y participer. Que oui, que oui ! Bien sûr !
Ce camp se déroulait sur 5 jours, je crois, dans la région du Puy-en-Velay. Départ en bus d’Avignon, je me souviens… Je ne connaissais
personne évidemment.
L’équipe de scouts de notre ville fonctionnait un peu en « autarcie » par rapport au mouvement scout en général. Le chef qui gérait
les scouts était le mari de celle qui gérait les louveteaux avec moi. Le couple était un peu hors des chantiers battus. Trop vieux pour pratiquer, ils auraient dû partir mais comme personne ne
voulait prendre la relève, ils continuaient. Et puis ils faisaient ça tellement bien et avec tant de cœur que personne n’avait le courage de les « virer ». Ce fut fait, pourtant, bien
des années après… Le mouvement est mort ensuite, dans la ville.
Il est parfois des âmes qui sont capables de faire vivre un rêve mais quand ces gens disparaissent, tout se meurt en même temps…
Donc, je ne connaissais personne mais cela ne dura pas. Il y a dans ce genre de mouvement, une reconnaissance mutuelle immédiate. Le port de l’uniforme, les idées véhiculées, le fait d’être tourné vers le prochain, le contact se fait immédiatement. Il n’y a pas de craintes comme je pouvais avoir au lycée de me retrouver refoulée, ou rembarrée. Non, là, c’était tout le monde à égalité. Et c’était ce dont j’avais le plus besoin, à cet âge-là.
Le terrain que nous avions pour camper était plus que conséquent. Imaginez le nombre de tentes quand chaque région est représentée par une équipe de 7 ou 8 aînés, sans compter les autres pays : l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg, le Canada, les Pays-bas… Sûrement d’autres encore mais je ne me souviens plus.
Les équipes de scouts côtoyaient les équipes de guides. J’ai fort sympathisé avec les scouts aînés de Toulon. Et comme nos tentes étaient voisines nous étions tout le temps ensemble. J’avais une copine de Nancy qui participait à ce camp-là que je n’avais pas vu depuis longtemps et nous sommes tombées nez à nez, c’était vraiment incroyable. Dans une assemblée de facilement 200 scouts et guides, je l’ai trouvée, elle…
Nous avions des « bonnes actions » à accomplir auprès des gens des villages alentour : débroussaillage, nettoyage quelconque. Nous avions 2 jours à employer à ces travaux d’aide. Le cœur gai, en chantant, en riant et racontant des bêtises.
J’aimais cette ambiance ! Ce peu d’intérêt qu’on avait pour les apparences. Je ne sais pas comment expliquer : il se tissait des amitiés
avec un naturel confondant. C’était easy de parler, de sympathiser, de se sentir quelqu’un au milieu d’un tel mouvement.
L’authenticité, je crois que c’est le souvenir le plus ému que j’en garde…
Il y eut ce fameux matin où je me réveillais bien plus tôt que toutes les occupantes de ma tente… Je n’avais plus envie de dormir, ni regarder
le plafond de tissu beigeasse., ni écouter la voisine ronfler. Alors, je basculais mon sac de couchage cul par-dessus tête et décidai de sortir la tête de la tente.
Le soleil se levait à peine. Il devait être 6h, pas plus. L'odeur de la campagne neuve au matin est un délice... C’était au début
du mois de juillet. Tout le campement était baigné dans une brume matinale épaisse. Les tentes étaient toutes fermées et endormies. La rosée avait déposé ses gouttelettes sur chaque brin d’herbe
disponible alentour avec une application magistrale. L’air était frais. Les rayons n’étaient pas encore visibles. La lumière encore entre chien et loup.
Et, sortis de nulle part tel un mirage surnaturel, deux scouts portant leur cor de chasse se mirent à arpenter le campement. Déversant leur
musique sur les cœurs endormis encore, pour les réveiller avec une douceur infinie.
J’étais émue d’assister à ce spectacle. De voler ces minutes ainsi. Inconfortablement installée, la tente me sciant le cou. La tête posée sur
mes mains, les coudes abîmés dans cette terre humide et froide. J’étais bien, là.
Et cette musique si délicieuse, ces cors de chasse aux contours imparfaits, perdus dans cette immensité brumeuse, dans un flou qui faisait résonner (et le fait encore, des années après) cette musique au plus profond de mes tripes.
Le reste du camp, le départ puis le retour, j'ai tout oublié. Ma mémoire les a confondus, mélangés, pour en faire une partie meuble de ce terreau d’instants inoubliables que j’ai vécus lorsque, si jeune, si incomplète, si imparfaite et inaboutie, j’ai goûté à la joie d’être moi, toute petite, un maillon d’une chaîne humaine magnifique.
Lorsque je me demande parfois ce qui m’a donné des qualités de cœur, des qualités humaines et une certaine droiture que je garde indéfectible, je sais que quelque part, ça vient pour beaucoup de là. De ces modèles que j’ai eus à cet âge où il est si facile de se perdre et de donner à sa vie un sens tout à fait autre.
Ma vie intérieure, celle que je chéris et qui m’a donné la force dont j’ai eu tant besoin il y a deux ans à peine pour ne pas faillir… Ma vie
intérieure a mûri là-bas, dans la nature, au milieu de ces jeunes comme moi, perdus dans cette adolescence inconfortable, dans ces instants à donner aux autres et prendre des autres ce que je ne
recevais pas par ailleurs et à me construire.
Me construire comme étant quelqu’un. Quelqu’un de vrai.
Et, même si la vie ensuite fait qu’on parvient à l’oublier, c’est gardé quelque part au fond de soi et ça ne meurt jamais. JAMAIS…
Bonne nuit…
A demain…