J’avais rejeté toutes formes de sorties pour une soirée au coin du feu sous la lumière de la télé. La diffusait un programme sur la Nouvelle-Calédonie concocté par Thalassa. J’aime la Nouvelle-Calédonie. Je n’aime pas trop Thalassa, une émission, aux formes très conventionnelles, aux discours scolaires, aux images clichées et aux commentaires clamés par des voix doctes et ennuyeuses. Mais parfois, une perle. Ce ne fut pas le cas, ce soir là. Une série de cartes postales comme souvent mais, soyons juste, vite oubliées par l’intérêt du dernier reportage ou les producteurs osèrent –merci le service public - nous donner des nouvelles du tuyau de la honte ; celui que construit actuellement la société Val-Inco pour rejeter en plein lagon les effluents – vous noterez que l’on ne parle pas de déchets – produits par l’usine de traitement du Nickel à Goro.
Hier,
en rajoutait une couche avec un article de Claudine Wery qui énonçait quelques uns des problèmes que soulève l’exploitation du Nickel sur « le caillou ». Malheureusement, le titre était une perle de méprise et je regrette de le dire, il s’agissait d’une chronique assez sommaire, alors que ce sujet mérite un dossier à lui tout seul. serait d’ailleurs bien inspiré de lui consacrer un cahier central en lieu et place de ceux qu’ils réalisent assez fréquemment pour le monde de la mode, des montres ou des parfums… en un mot, d’un luxe qui n’intéresse en aucun cas à la grande majorité de ses lecteurs, surtout en ce moment.Les seuls, à ce jour, qui semblent réellement entrevoir l’ampleur de la catastrophe sont les savants de la Société des Océanistes, qui ont publié un rapport particulièrement alarmant (journal de la Société des Océanistes, 126-127, année 2008 ½) d’où sont extraites les photos de cette notule. Il est vrai que leur analyse ne se borne pas au tuyau mais à toutes les nuisances et ravages de cette industrialisation aveugle et bornée. L’objet du scandale est donc l’ensemble des types d’exploitations des métaux sur cette terre particulièrement vulnérable du fait des caractéristiques de ses peuplements animaux et végétaux et surtout de leur exceptionnelle richesse spécifique et leur fort taux d’endémisme.
Une grande majorité de kanaks – malheureusement pas tous et notamment certains représentants du sénat coutumier qui ont signé un accord avec le diable – ainsi que des organisations écologistes ne se laissent pas faire… Comment se fait-il que personne ne les écoute. Ne parlait-on pas d’un certain Grenelle de l’Environnement ces derniers temps ? Il est vrai que cette excuse est le summum de la poudre aux yeux de notre gouvernement… Et que font les verts, les Hulot, les Yann Arthus-Bertrand, lui en particulier qui doit bien connaître le site puisqu’une de ses photos les plus connues, le cœur de netcha a été prise tout à côté de cette usine…
Une « enieme » expertise, indépendante, semble malheureusement laisser la voie ouverte à la poursuite des travaux. Mais comme toutes celles qui ont déjà étudié le projet, elle soulève encore un tas de questions.
En premier lieu, pourquoi l‘usine qui ne disposait d’aucune autorisation d’exploitation au titre des ICPE, a-t-elle été construite, si ce n’est pour mettre tout le monde devant le fait accompli ?Le problème de l’eau
Cette usine doit consommer – aux dires de l’industriel - environ 4 700 m3 d’eau par heure. Il prévoit que ces besoins seront satisfaits par un prélèvement de 1600 m3/h dans la retenue du barrage de Yaté. Première question, la payera-t-il et si oui, à quel tarif ?
Reste qu’il va en manquer 3100 m3. L’industriel résout le problème par récupération de l’eau de pluie et par recyclage des eaux utilisées. Mais comment va-t-il récupérer toute l’eau des précipitations, car le rapport n’est pas très clair sur ce point ?
De toute façon, seuls 765 m3 de collecte d’eau de pluie sont prévues (5 sur le bassin, 300 sur le site de la raffinerie et 460 sur le parc à résidus 460). Restent donc 2335 m3, qui sont donc des eaux recyclées. Mais initialement, elles viennent d’où ces eaux ?
De plus, si l’usine doit consommer 765 m3 par heure, et qu’il tombe entre 3 et 3,5 mètres par an, ou va-t-il bien pouvoir les trouver ? Il est fatalement nécessaire d’avoir une surface de captage relativement importante. Le rapport ne le précise pas. Il aborde par contre souvent le cas de précipitation intense. Mais il n’est jamais fait référence au risque de sècheresse. Si c’était le cas, qui nous dit qu’il n’ira pas en pomper beaucoup plus dans la Yaté ? Reste que toute la superficie du captage de l’eau doit être prise sur le milieu naturel, au détriment de la végétation endémique. Est-ce que cet aspect a été étudié ? Le rapport, là aussi, est muet. Les photos par contre sont éloquentes… Et pour terminer sur cet aspect de collecte des eaux, n’est-il pas répréhensible de diluer des rejets industriels avec de l’eau de pluie collectée ?
Le rejet des effluents.
Je ne suis pas suffisamment calé pour juger des taux des substances rejetées. Toujours est-il que chaque paramètre est mis en parallèle avec ceux du milieu naturel.
Première question, les paramètres du milieu naturel sont-ils ceux dans l’absolu, toutes mers confondues, ou ceux du lagon calédonien ?
Aucune indication n’est fournie pour les Matières En Suspension (MES), qui sont souvent des métaux lourds. Oui mes lesquels, et quelles tailles ? Ingurgiter du plomb ou du fer n’a pas le même impact sur le foie. Avaler un clou ou de la grenaille a des effets quelque peu différents dans l’estomac, même sur celui des poissons.
S’il y a bien un des paramètres que je peux comprendre, c’est celui de la température. Quand je lis qu’à l’entrée de l’émissaire, les effluents font 40° et qu’à 3 mètres du diffuseur, il y a seulement 0,1° d’écart avec la température de l’eau, qui varie de 20° en juillet, à 26° en janvier, j’ai la très nette intuition que l’on me cache quelque chose. Rappelons toutefois, que l’expertise a été réalisée le 21 décembre 2006. Il devait sans doute faire très très très très chaud ce jour là…
En outre, si la température à l’entrée de l’émissaire est de 40° et le diffuseur est à l’extrémité du tuyau qui fait 25 km de long. C’est donc dans l’émissaire que les effluents se refroidissent. Comme il est immergé, c’est donc l’eau du lagon qui se charge de lui soutirer quelques degrés, en particulier au point d’immersion. Au vu de son implantation, cette eau chaude a peu de chance d’être rapidement diluée. C’est d’ailleurs pour cette raison que le tuyau est aussi long. Pourquoi l’étude ne prend pas en compte cet inévitable réchauffement dans la Baie de Prony dès l’immersion de l’émissaire, et des inévitables impacts sur la faune et la flore, à court et à long terme ?
Je crois savoir par ailleurs, qu’il existe une norme tant en France qu’en Europe sur la température des rejets en mer qui la fixe à 30°. Pourquoi cette norme n’est pas respectée. La Nouvelle-Calédonie aurait-elle acquit son indépendance ?
Je parlerai volontiers à l’occasion des autres questions qui me turlupinent, notamment sur l’utilisation des terrains qu’occupent toutes les structures industrielles… Mais avant de clore cette notule et pour terminer, je voudrais revenir sur les évocations d’alternatives au tuyau qu’évoque Monsieur Jean-Pierre Leteurtrois, ingénieur général des mines. C’est plein de bons sens, Il note ainsi dans son rapport (je n’ai pas changé un seul mot) :
« L’évaporation naturelle de l’eau de l’effluent s’avère techniquement impossible à mettre en oeuvre en raison du climat pluvieux de la Nouvelle Calédonie ».
- Et si c’était le cas, Monsieur l’expert, vous feriez quoi des effluents solides ?
« L’évaporation par chauffage de l’eau de l’effluent nécessiterait une centrale thermique d’environ 1800 MW qui engendrerait des pollutions atmosphériques d’une ampleur inacceptable et des coûts rédhibitoires ».
- Pourquoi, Monsieur l’expert, ne pas employer l’énergie solaire relativement aisée à produire sous ces contrées !
« La technologie de l’osmose inverse est inadaptée aux effluents de l’usine (précipitation de gypse) et ne présente aucun intérêt dans la mesure où elle conduirait à rejeter en mer une saumure fortement concentrée dommageable pour l’environnement »
- Bravo, Monsieur l’expert, voilà une très sage décision !
« Le rejet des effluents dans le lac de Yaté conduirait à saler la précieuse réserve d’eau douce que constitue le lac, ainsi que la rivière Yaté, sans aucun avantage car les effluents se déverseraient finalement dans le Lagon Sud ».
- Bravo, Monsieur l’expert, voilà de nouveau une très sage décision !
En enfin, le plus beau « Le rejet des effluents en haute mer par bateaux citernes se heurte à des difficultés techniques (utiliser une noria de barges en raison de la faible capacité du port de Prony, construire de gigantesques bacs de stockage, …), à des inconvénients environnementaux (consommations d’énergie des barges et pollutions atmosphériques) et aux engagements internationaux de la France de ne pas rejeter de déchets en haute mer. »
· Vous noterez l’ordre et le type de risques relevés : En premier des difficultés techniques qui ne le sont pas. Seul le côté financier de ces solutions doit gêner cet expert. En second lieu, pour ne pas dire accessoirement, les inconvénients environnementaux. Des scientifiques parlent d’une catastrophe écologique ; cet expert parle d’« inconvénients » ! A savoir, de la consommation énergétique et de la pollution atmosphérique. En aucun cas, il n’évoque les effets des rejets sur la faune et la flore, alors que dans la phrase suivante, le dernier point, sans doute celui qui n’a vraiment qu’une importance minime, il signale l’engagement international de la France de ne pas rejeter de déchets en haute mer ! Tiens donc des rejets… De toute façon, ce qui est important c’est ce traité. Les rejets, ont s’en fout ! Mais allons un peu plus loin : Car le mot important de ce traité est « haute mer ». Car si la France ne peut pas rejeter des saloperies en haute mer, elle a le droit dans le lagon, l’un des plus beaux du Monde, l’un des plus riches, l’un des plus fragiles, à tel point qu’il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais là aussi, c’est comme pour le traité, on s’en fout un peu. Le lagon fait partie des eaux territoriales françaises, donc on fait comme on veut. Et l’humanité, elle vaut pas plus que ces kanaks qui font rien que faire chier les grands groupes industriels.
L’expert termine son analyse sur une dernière alternative« Enfin, le rejet des effluents en dehors du Lagon Sud soulève une difficulté environnementale majeure : aucune étude précise n’a été réalisée pour sélectionner une zone de rejet disposant de la capacité de disperser les effluents en évitant la formation de lentilles d’eau polluée susceptibles de dériver vers des milieux fragiles, voire vers des récifs coralliens »
- Dites Monsieur l’Expert, puisqu’il faut une étude précise pour sélectionner une zone de rejet, ou se trouve l’étude précise qui a permis de sélectionner la zone actuelle ?
Ce chapitre est d’autant plus intéressant, car on y constate avec la toute dernière phrase, quels intérêts, cet expert indépendant défend :Enfin, ses délais de mise en oeuvre, même en acceptant une étude d’impact simplifiée (et les risques écologiques qui s’y attachent), sont incompatibles avec l’état d’avancement de la construction de l’usine.