Les hommes partirent de là et allèrent à Sodome. Abraham se tenait encore devant Yahvé. Abraham s'approcha et dit : « Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les supprimer et ne pardonneras-tu pas à la cité pour les cinquante justes qui sont dans son sein ? Loin de toi de faire cette chose-là ! De faire mourir le juste avec le pécheur, en sorte que le juste soit traité comme le pécheur. Loin de toi ! Est-ce que le juge de toute la terre ne rendra pas justice ? » Yahvé répondit : « Si je trouve à Sodome cinquante justes dans la ville, je pardonnerai à toute la cité à cause d'eux. »
(L'intercession d'Abraham)
Lorsque l'on réalise un film sur l'Allemagne, vaut-il mieux un casting de stars jouant en anglais, ou un parterre d'illustres inconnus, mais germanophones ? La principale réserve que l'on peut émettre au sujet de Walkyrie est l'inauthenticité qu'il y a à mettre en scène des acteurs ne faisant pas même l'effort de prononcer les noms de personnes et de localités à l'allemande, cela même lorsqu'il s'agit de « Hitler » ou de « Berlin ».
On se souvient que, dans Barry Lyndon, Stanley Kubrick avait tenu à faire parler certains des protagonistes de la Guerre de Sept Ans en allemand et en français. Que, plus récemment, Mel Gibson a réussi l'exploit remarquable de faire jouer un film - injustement accueilli par la critique - en latin et en araméen, deux langues mortes.
Cette réserve étant faite, et étant acquis qu'il est difficile de demander à Tom Cruise de jouer tout un film en allemand, Walkyrie pose une question essentielle par l'entremise de l'un des personnages, qui compare le Troisième Reich de 1944 avec Sodome avant sa destruction par Yahvé (malgré l'intercession d'Abraham).
Les conjurés de l'attentat qui faillit tuer Hitler et renverser le régime nazi, ces « justes » de l'Allemagne, suffisaient-ils à ce que celle-ci méritât d'échapper à son sort à la fin de la guerre : destructions, occupation, annexions et partition ?
La question est d'importance, tant la responsabilité collective du peuple allemand de l'époque dans l'établissement du nazisme était engagée : le parti nazi est sorti vainqueur des élections législatives de 1932, Hitler a été nommé à la chancellerie grâce à une majorité de coalition au Reichstag, et le plébiscite personnel qu'il a tenu à la mort du président Hindenburg a été massivement approuvé.
Ajoutons à cela que l'Allemagne fut la grande responsable, non seulement du second conflit mondial, mais aussi du premier, puisque le système des alliances, que Bismarck avait édifié après l'unification du Reich (1871) pour isoler une France vaincue et amputée de l'Alsace-Moselle, fut la cause majeure du déclenchement de la Grande Guerre.
Une fois signé le Traité de Versailles, qui ne devait constituer qu'une trêve entre les belligérants, le maître-d'œuvre, Clemenceau, avait promis que l'Allemagne paierait les réparations de guerre prévues par le Traité, devant l'incrédulité de ceux qui arguaient de ses difficultés financières à le faire. On sait que la République de Weimar, par ruine mais aussi par duplicité, ne s'est jamais acquittée de ses dettes.
L'Allemagne a payé...
Mais si cette responsabilité collective du peuple allemand est réelle, et donc, s'il fallait que l'Allemagne « paie » une fois pour toutes après les deux conflits mondiaux, on peut considérer qu'elle a payé, sans doute plus qu'elle ne l'aurait dû.
Détruite, occupée militairement puis divisée en deux États, dont l'un totalitaire, privée également de terres historiquement germaniques (Autriche, Sudètes, Poméranie, Silésie, Prusse orientale, cantons belges germanophones, etc.), l'Allemagne a payé.
Elle a payé, et, si une punition collective était nécessaire après les deux guerres mondiales, on peut penser que l'Allemagne, au nom de laquelle sont morts les conjurés de l'attentat relaté dans Walkyrie, est absoute grâce à eux, je veux dire par là qu'elle méritait de continuer à exister malgré le nazisme, de la même manière que la Résistance française a sauvé l'honneur de la France, fût-elle ultra-minoritaire.
... la France aussi
Il ne viendrait à l'esprit d'aucun Français, 46 ans après le Traité de l'Élysée (1963), signé par le général de Gaulle et Konrad Adenauer pour sceller la réconciliation franco-allemande, de demander encore des comptes à l'Allemagne, de siffler son hymne ou de brûler son drapeau. On peut donc se demander pourquoi l'État algérien, nombre d'Algériens, souvent en fait des Français, demandent à la France, 47 ans après les Accords d'Évian (1962), de les dédommager, de faire pénitence, en dépit du massacre des Harkis ou de l'expulsion des Pieds-Noirs de leur pays.
On rétorque souvent à cette interrogation de bon sens qu'au contraire de l'Allemagne post-nazie, la France post-coloniale ne s'est jamais excusée, n'a jamais demandé pardon pour la colonisation et les massacres commis pendant la Guerre d'Algérie.
Parle-t-on de la France, ou de l'État français, et plus singulièrement de son armée ?
Car si l'on regarde toute l'historiographie française parue depuis la décolonisation, notamment sous la plume de Benjamin Stora, on découvre qu'au contraire, la France a non seulement fait son « devoir de mémoire », mais encore poussé celui-ci jusqu'à la repentance, à tel point qu'on peut légitimement penser que des excuses sont d'autant plus réclamées à la France que celle-ci est si prompte à s'y confondre, s'y complaire.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.