La mater Dolorosa que je suis qui n'arrête pas de se plaindre que "bouh bouh bouh, je ne rencontre jamais d'hommes
seuls" vient de trouver un lieu pour me contredire : un restaurant, quasiment à côté de la maison, où je suis allée manger avec ma mère et ma fille.
Au départ, rien de bien surprenant : un cadre très sympa, ma mère et moi la tête
dans le menu et ma fille qui est en train de faire la danse du ventre à l'idée de manger des frites. Mais, alors que j'étais en train de me poser des questions cruciales pourle choix de mon
entrée, ma mère me lance : "Mais... Il n'y a que des hommes, ici !" Des hommes ? Où ça? Ah oui... partout autour de nous. Une invasion. Beaucoup de jeunes cadres dynamiques, cravatés et
costumés, en plein repas d'affaires... Ca alors ! Autant d'hommes dans un si petit perimètre et tout à côté de la maison ? Comment ai-je pu rater ça ? J'ai immédiatement une pensée pour mes
célicopines... Il va falloir qu'on revienne ensemble, un midi...
Je m'occupe de ma fille, je fais la conversation à ma mère, j'essaie d'avaler ce
qu'il y a dans mon assiette quand mon regard croise celui d'un beau brun. Une fois. Deux fois. Trois fois. Euh... C'est moi qu'il regarde ?... Il n'y a personne derrière moi ? Non... donc, oui,
visiblement, c'est moi... Euh... Bien... Reste naturelle, MC... Et si j'avais un morceau de salade entre les dents ?... Ma fille m'aurait-elle jeté une frite dans les cheveux ?... J'ose espérer
que ma mère m'aurait dit quelque chose, quand même...
Mais, c'est qu'il est charmant ce beau brun. Grand. Classe. Un joli sourire... Miam
miam... Le but du jeu, maintenant, est de voir si il est bagué. Opération "je me contorsionne discrètement" pour essayer de voir son annulaire gauche. Oui, je sais l'absence d'alliance ne veut
pas forcément dire qu'il n'a personne dans sa vie, mais ça donne déjà un début d'information. Suspense. Non, pas d'alliance. Mais, il a de plus en plus de qualités, celui-ci
!
C'est là que j'ai été prise de sueurs froides. Si ma mère s'aperçoit de mon petit
manège et des regards de plus en plus insistants du monsieur, elle est capable de se mettre à lui dire directement "Elle vous intéresse ma fille ?". Ou de se mettre au milieu du
restaurant avec des plumes dans les cheveux et de se mettre à chanter la complainte "ma fille est seule et je préfèrerais la voir en couple". Ou de soudoyer le serveur pour qu'il donne
mon numéro de téléphone à tous les hommes célibataires de la salle. Je vous rappelle que ma mère m'a fait une fois le coup du blind date et qu'elle est capable de tout. Du coup, je tremble.
Et BeauBrun qui fait des sourires, maintenant. Comme je suis polie, je souris.
aussi.. Et c'est juste là, que ma fille a dû avaler un micro avant d'hurler dans le restaurant "Môman, ze veux aller faire caca"... Pour le côté glamour, j'essaierai une autre fois. Je
prends le peu de dignité qu'il me reste pour accompagner ma fille, en passant devant la table de Beaubrun et de ses convives, en rentrant le ventre, en serrant les fesses et en n'oubliant pas de
respirer... Et ma fille qui ressort des toilettes en courant à moitié et en disant "Ayé mamie, ai fait caca !"... Bon, j'aurais au moins eu le mérite de faire rire Beaubrun.
Mais, toutes les bonnes choses ont une fin et le temps de Beaubrun semblait limité, il est parti avant ses amis, l'oeil sur la montre et visiblement pressé... avant de lancer un "au revoir,
bonne journée !" en passant devant notre table. "Ben... tu le connais ?" "Non, maman, je ne le connais pas... enfin, je ne crois pas". Non, non, non, maman, ne lui cours
pas derrière pour savoir si il veut qu'on fasse connaissance, si il est marié, si je lui plais, ce qu'il pense des mamans célibataires et si il serait prêt à accepter le pack "maman + petite
fille" tout inclus. Tu restes assise...
C'est idiot, mais Beaubrun l'inconnu m'aura donné le sourire pour le reste de la journée. Ca fait du bien de voir qu'au milieu de la sécheresse du désert de Gobi, on plait, de sentir ces regards insistants sur soi, de recevoir des sourires d'un parfait inconnu... Ca
fait juste du bien au moral. J'aurais peu-être dû le rattraper pour lui dire merci...