On accuse, souvent à juste titre, les libéraux d'être des conservateurs plus ou moins défroqués. Je dis à juste titre, car il faut bien reconnaître à nos contempteurs une certaine bonne foi en l'espèce : on ne compte plus les soi-disant libéraux qui défendent sur tout ou partie des sujets, surtout de société, des thèses profondément incompatibles avec les fondements de la pensée libérale, qu'elle soit classique ou contemporaine. J'écoutais l'autre jour un débat télévisé, consacré à la dépénalisation des drogues douces. Quelle ne fut pas ma surprise à l'écoute d'un député, pourtant réputé parmi les plus libéraux, qui défendait les thèses des trafiquants de drogue, et s'opposait donc à toute légalisation de l'usage de celles-ci. Qu'il le fasse au nom de valeurs religieuses, morales, idéologiques, ne me gêne guère ; qu'il prétende incarner des valeurs profondément éloignées des siennes, me pose un certain problème, car je m'en trouve, à mon corps défendant, mêlé.
Il est pourtant clair que le libéralisme a autant à voir avec le conservatisme que la social-démocratie a à voir avec le communisme ; il y a certes eu des points de jonction ponctuels et isolés, je ne les passe pas sous silence, mais certainement pas de rapprochement idéologique. Jamais. Prétendre le contraire est faire preuve de mauvaise foi.
Je vous propose une grille de lecture, simple mais relativement efficace : pourquoi ne pas trier le bon grain de l'ivraie, débusquer le vrai libéral perdu sous les monceaux du collectivisme, depuis les fondements mêmes de ses convictions ?
S'il se réfère à des valeurs morales, au devenir de la société, à la solidarité qu'il faut imposer, aux concitoyens qu'il faut protéger, éduquer, défendre, convaincre, il y a de fortes chances pour que vous ayez affaire à un collectiviste.
S'il se réfère à l'individu, à ses droits, à la liberté d'association, à l'amour qu'on a pour son prochain, pas à un anonyme mais à quelqu'un, s'il refuse le joug des maîtres penseurs, s'il respecte les convictions d'autrui autant que les siennes, s'il pratique le doute socratique plutôt que la certitude bovine, s'il préfère l'éthique de conviction à l'éthique de responsabilité, en un mot s'il aime l'individu et croit en lui autant que je crois en lui, il y a de fortes chances pour que vous ayez affaire à un libéral, je veux dire un individualiste, car pour moi les deux termes sont presque synonymes.
Je le répète pour la énième fois : un libéral est plus proche d'un anarchiste libertaire que d'un conservateur. Les deux sont des individualistes. Les deux refusent de croire à l'illusion de l'être collectif, suprême et désincarné. Appelez ce dernier dieu, nation, société, morale, classe, pauvres, ce que vous voudrez, ce ne sont que des abstractions dont vous vous persuadez, qui n'ont pas plus de consistance que l'opium dénoncé par Feuerbach en la religion.
Refusez l'unanimisme de supermarché, le contrat social de pacotille, la solidarité en carton-pâte ; pensez en individus, libres, responsables. Et dites-vous que rien n'est au dessus du fait d'aimer autrui.