Il y a dans la notice biographique de « La mémoire vaine », deuxième roman du sévillan Isaac Rosa la mention suivante : « (il) a, en outre, reçu (…) le (prix) Rómulo Gallegos, le Nobel latino-américain, qui a couronnée avant lui les plus grands dont Roberto BolañoRosa se retrouve sur la même liste que Vargas Llosa, García Márquez, Fuentes, Del Paso, Marías ou Vila-Matas. Il est légitime que Christian Bourgois capitalise sur ce fait. Par contre, on est surpris que l’éditeur de Bolaño n’ait pas plus de scrupules à utiliser son nom dans ce contexte: on se rappellera peut-être la terrible dispute l’ayant opposé au jury en 2003 lorsqu’on avait tenté de lui faire approuver une liste de finalistes sur laquelle il ne pouvait donner son avis. Il qualifia la personne qui l’avait contacté à cette fin de pseudopoétesse chaviste aux méthodes cubaines et le jury dans son ensemble de néostalinien. De fait, le prix est octroyé par le gouvernement vénézuélien et certains se plaignent de le voir accordé, ces temps-ci, à des œuvres aux mérites plus politiques que littéraires. Le livre de Isaac Rosa est à mon sens une forte indication de la véracité de ces allégations.
». De toute évidence, recevoir le Gallegos est chose prestigieuse puisque, en plus du chilien,
« La mémoire vaine » a quelques mérites littéraires. Portrait double d’un professeur et d’un étudiant évaporés après les troubles estudiantins des années ’60 dans l’Espagne franquiste, le livre se présente en fait comme une étude illustrée des possibilités qui s’ouvrent aux romanciers – l’étudiant était-il vraiment activiste ou un provocateur payer par la police ? le professeur, un indic, un membre de l’opposition ou un homme broyé par erreur ? – et des conséquences que ces choix entraînent sur les valeurs morales et historiques du livre à écrire. C’est donc un travail sur la mémoire, la fiction, et la littérature en tant qu’objet d’étude d’elle-même. Tout ça aurait pu être très beau jusqu’à ce que l’on se rende compte que tout n’est qu’un masque. Rosa nous propose un travail qui pourrait bien être celui de la haine de la fiction : toutes les options possibles mèneraient à trivialiser scandaleusement l’expérience franquiste, sauf bien sûr la sienne. On se rend vite compte que tous les essais sont de prétextes à avancer la vision la plus manichéenne des choses, celle selon laquelle Franco s’est levé un jour et a décidé de renverser le gouvernement parce qu’il en avait envie. Les exactions anarchistes à la veille du conflit ? A la trappe. Les énormes responsabilités communistes dans la défaite des républicains ? Inexistantes. L’Espagne post-transition ? Une dictature molle qui ne s’est pas débarassée de la torture et reste toujours sous l’emprise de l’influence franquiste. Le rappel qu’une guerre civile ne saurait se résumer à un duel entre le bien et le mal ? Une mascarade, pire : une trahison. La vision de Rosa est aussi répugnante que celle des nostalgiques de Franco.
Rosa sait très bien les reproches qui lui seront fait : une bonne partie du roman se réduit à un plaidoyer pro-domo tentant plus ou moins habilement de faire croire à celui qui voudra les émettre qu’il est un sale réac’. Il est par ailleurs piquant de constater que si quasiment tous les citoyens espagnols en vie aujourd’hui sont responsables ou doivent ressentir une culpabilité directe ou indirecte devant les méfaits de la dictature, les communistes sont par contre lavés de toutes tâches laissées par les innombrables régimes dont ils étaient idéologiquement proches et qui ont pourtant épuré de la façon la plus abjecte leurs populations. Rosa ne semblant pas voir de double standard dans son attitude, il devient évident que son problème n’est pas le franquisme, la torture et les massacres mais bien l’orientation politique des victimes. Preuve en est son pro-castrisme.
Il y a beaucoup à dire sur un régime dictatorial et violent ayant maintenu l’Espagne dans la pauvreté pendant de longues années mais, au final, tout l’arsenal fictionnel déployé par Rosa ne cache pas son véritable objectif : celui de faire une oeuvre pour les camarades, panégyrique d’opinions politiques mortifères, véritable crachat à la gueule de ceux qui refusent d’avoir une vision classiste de l’histoire et tiennent à une étude non-idéologique de la guerre d’Espagne. Dans ce cadre, voir « La mémoire vaine »Rosa réussissent à tromper : certains, comme Gustavo Guerrero, se sentent mal à l’aise face à l’aspect politique mais trouvent au livre de véritables qualités littéraires. C’est une erreur : il s’agit d’un livre infâme, qui pue la merde. Pour couronner le tout, la traduction est assez étrange.
qualifié de travail éthique sur la quatrième de couverture est gerbant. Malheureusement, les artifices littéraires utilisés par
Isaac Rosa, La mémoire vaine, Christian Bourgois, 25€