Mariée de force en dessous de l'âge légal, abusée physiquement et sexuellement par son mari imposé, âgé de 30 ans, Nojoud Ali est la première petite yéménite à
avoir osé défier, du haut de ses 10 ans, l'archaïsme des traditions de son pays, en demandant le divorce.
Dans les couloirs du tribunal de Sana'a, personne ne l'avait remarquée. Cela faisait des heures que Nojoud Ali, drapée dans un voile noir, attendait, en priant pour qu'une oreille attentive
l'écoute. A midi, après dissipation de la foule, un juge s'étonna enfin de la présence de ce petit bout de femme recroquevillé sur le banc désormais vide. "Qu'est-ce que tu attends ?" lui
demanda-t-il. "Mon divorce !" répondit la petite fille. A 10 ans, Nojoud fait partie de ces milliers de petites filles yéménites, mariées au plus jeune âge, selon de vieilles traditions tribales
qui perdurent, essentiellement en province. Mais, fait exceptionnel, c'est la première fois qu'une (très) jeune mariée osa, le 2 avril 2008, se rebeller contre ces traditions. Jusqu'à entamer un
procès contre son mari, Faez Ali Thamer, trois fois plus âgé qu'elle. Et à le gagner avec brio, grâce à une mobilisation sans précédent de défenseurs des droits de l'homme et de journaux
locaux.
"Au début, j'avais honte d'en parler", murmure la petite fille haute comme trois pommes, "mais maintenant, je veux retourner à l'école et je veux étudier pour devenir avocate !" enchaîne-t-elle
avec une étonnante maturité.
Le soir des noces, c'est la fête pour Nojoud, qui ne réalise pas bien ce qui lui arrive. "On m'a offert trois robes pour mon mariage, deux jaunes et une marron. Elles étaient très jolies", se
souvient-elle. Cette fan des jeux de cache-cache qui aime le chocolat, comme la plupart des filles de son âge, n'avait qu'un seul rêve : "ressembler à une tortue, pour me glisser dans l'eau, car
je ne suis jamais allée au bord de la mer". Le mariage, elle ne savait pas trop bien ce que cela signifiait, à l'exception des cadeaux qui viennent avec et d'une maison toute neuve. Ce n'est
qu'une fois arrivée au nouveau domicile conjugual , dans le village de Wadi La'a, qu'elle prend conscience de son calvaire. Après lui avoir indiqué la chambre à coucher, son mari ne tarde pas à
lui faire comprendre ses intentions. "Il a voulu que l'on dorme dans le même lit. J'ai refusé et il s'est mis à me courir après. Il a fini par me rattraper et me faire des choses sales et
désagréables", raconte-t-elle. Chaque soir, à la nuit tombée, le même scénario se reproduit : "dés qu'il rentrait du travail, ça recommençait. Je pleurais en le suppliant de me laisser seule. Il
me tapait avec un bâton . J'avais beau crier, personne ne pouvait m'entendre".
Quelques semaines plus tard, elle se resigne à en parler à ses parents lors d'une visite à Sana'a, mais ils font la sourde oreille. "Mes cousins m'auraient tué si je déshonorais la famille en
demandant le divorce pour ma fille", répond le père, engoncé dans sa tunique blanche. Nojoud, elle, refuse de baisser les bras. A force de frapper à toutes les portes, elle finit par être
conseillée, un mois plus tard, par l'une de ses tantes : "va au tribunal", lui lance-t-elle en lui glissant quelques pièces dans le creux de la main. Juste de quoi se payer le bus pour
aller jusqu'au tribunal.
Dans ce bâtiment si impressionnant, Nojoud se sent perdue. Interpellé par le courage et la détresse de la petite fille,
Mohammed al-Ghadhi, le juge, décide de l'héberger chez lui pendant trois jours, et de placer le père et le mari en détention provisoire. Mais la demande de divorce, unique en son genre, n'est pas
facile à régler. «Selon les mœurs yéménites, où les règles tribales ont souvent la priorité sur la loi en vigueur, ce genre d'affaires est d'habitude étouffé», confie l'avocate Chadha Nasser, qui
se porta volontaire pour défendre Nojoud. Cette spécialiste des droits de l'homme s'en remet alors à son intuition. Le jour du procès, elle convoque les associations féministes et la presse. Le
sujet fait la une du quotidien Yemen Times. Sous la pression de l'opinion publique, le divorce est finalement prononcé. Un tabou est brisé. «Ce procès a enfoncé une porte fermée», se
réjouit Chadha Nasser. Depuis, une petite dizaine d'autres filles ont osé entamer des procédures judiciaires contre leur mari.
(source : Le Figaro du 26.06.2008).
Nojoud publie aujourd'hui un livre où elle raconte son histoire : "Moi, Nojoud, 10 ans, divorcée", avec la collaboration de Delphine Minoui, journaliste au Figaro,. Les droits d'auteur seront
intégralement reversés sur un compte bancaire ouvert au nom de Nojoud, et devraient l'aider à financer ses futures études pour devenir avocate : "quand je serai grande, je veux défendre les gens
opprimés, comme Chadha ! [son avocate]".