La vérité serait à peu de chose près comme ceci: vu que j'ai failli écrire le même papier que Bartleby (avec les mêmes mots & les mêmes citations & tout & tout) on va la faire autrement.
Ou encore ceci:
Soit, ça ne se voit pas très bien mais ça veut simplement dire que 1 je ne pourrais plus skier jusqu'à la saison prochaine (même avec ma genouillère favouille qui chuchote mon nom quand je plie les guibolles) & que 2 je passerais sur le billard en juillet dans un hôpital qui ne m'inspire pas plus confiance que ça vu qu'on y opère aussi des vaches & quelques chamois maladroits (noté 11/20 dans les derniers classements... vous me direz qu'il a la moyenne... mouais, mais encore?) . Sinon il y a aussi & surtout ce petit hiatus de rien du tout qui fit que B.S. Johnson, malgré tous les efforts de formes & de fond auxquels il a consentit, a fini par lâcher l'affaire. & enfin, laissons la parole à un charmant bambin qui finira certainement la boule à zéro, un tatouage de Stamforfd Bridge sur le bide & une bière à la main:
"Ma définition de Mr Albert
Mr Albert n'a pas une bonne opinion de nous, il
nous traite de paysans & autres insultes dont nous aimerions contredire, en
d'autres mots nous aimerions le traiter de menteur!
Mr Albert dans
l'ensemble même si c'est que dans l'ensemble est une pourriture mais pas
professionnellement car il apprend bien & je suis content qu'il soit dans
mon groupe ou peut être est ce l'inverse. A l'école Mr Albert est un crétin de
première.
Cordialement,
UN ADMIRATEUR"La vérité vraie c'est que t'as l'bonjour d'Albert!Publié en 1964 (il n'avait alors pas encore décidé d'en finir – il était en pleine bourre) Albert Angelo est le second roman de B.S. Johnson & le dernier traduit en France par les clairvoyantes éditions Quidam qui continuent leur précieux travail d'éditeur puisque on avait déjà eu droit à Chalut, R.A.S. Infirmière Chef & Christie Malry règle ses comptes sans parler de la biographie que Jonathan Coe lui consacre & qui ne devrait plus tarder mais blah blah blah, blah blah blah tout ceci se trouve dans tous les bons papiers sur B.S. Johnson qui émaillent la toile, alors on va essayer de faire vite. & bien.
Nous parlions donc du gros Bébert, blond filasse, qui s'est fait largué par sa copine & ne s'en remet toujours pas, qui va manger chez pa' & man' tous les samedis, qui fait la tournée des bars somaliens, qui est obligé de faire le prof dans les écoles les plus creignosses de Londres parce qu'il est incapable de mener à bien ses projets d'architecture (c'est donc aussi un architecte raté le Bébert), il lui arrive aussi de se défouler sur le crâne de ses élèves quand il ne sait plus quoi leurs dire & c'est assez souvent. Franchement, Bébert est dans la merde. La déprime le guette tout comme elle guettera B.S. Johnson, lui qui a traversé, son insuccès chevillé au corps, la grisaille british des années 50-70, Thacher & tout le tsoin-tsoin. Voilà le liens ténu entre l'oeuvre de Johnson & sa propre vie (à ce propos le Brigadier Religieux/Café Corsé me disait l'autre jour que "les livres de Johnson ne sont pas juste "des livres" qui se suivent; c'est peu ou prou sa vie réamorcée de toutes les manières. Je trouve House Mother Normal bluffant au niveau de la forme, assez fendard, mais il est assez loin de l'ironie tragique hallucinante d' Albert Angelo. C'est le livre le plus pathétique du monde, et c'est déchirant." & n'oubliez pas d'aller jeter un oeil aux chroniques que Fausto consacre à Chalut & R.A.S. & tutti quanti).
Ce lien ténu, disais je, ne devrait pas être pris à la légère si bien que ce papier, que je voulais quasi à charge, se verra indexé dans l'attente d'une lecture plus approfondie de l'oeuvre de Johnson. Car, loin de le trouver mauvais ou insipide (vraiment très loin en fait: trop de sensibilité, trop d'humour noir, de désespoir, d'intelligence aussi pour que ce type ne soit pas bon - le style de Johnson est vraiment trop sagace & ironique pour être pitoyable), j'avais trouvé Albert Angelo un peu décevant. Chais pas pourquoi. M'attendais à truc plus frappant, plus tortueux & moins léger. Mais la légèreté qui dandine son popotin tout au long des mésaventures d'Albert (jusqu'à la touchante... voire un peu larmoyante dernière partie, il ne s'agit que de cela) a un côté grinçant que l'on ne saurait éloigner d'un revers de la main.
Albert Albert gros patapouf sans charisme? Peut être. Albert Albert cobaye inconscient de l'écriture protéiforme de Johnson: rien de moins sûr: « L’un de mes objectifs est didactique aussi : le roman doit servir à transmettre la vérité, et dans ce but, chaque procédé, chaque technique de l’art de l’imprimeur devrait être mis à la disposition de l’écrivain : d’où les trous dans la page, comme des fenêtres sur le futur, par exemple, autant pour attirer l’attention sur les possibilités que pour prouver ma théorie sur la mort et sur la poésie. ». Ces fameuses fenêtres vers le futur de l'écrit, s'ouvrant sur des poignards ensanglantés & qui, a elles seules, ont englouti pratiquement tout l'intérêt que le public aurait pu avoir pour ce livre, font partie d'un procédé variable & en perpétuel déséquilibre qui se trouve au coeur de la dynamique créatrice de Johnson. La multiplication des points de vue, les dialogues en double colonne (la première pour le dialogue lui-même & la seconde pour les « pensées » d'Albert), les rafistolages à la va vite, les feuillets acides des élèves, les souvenirs épars ... tout cet attirail rédactionnel dans le seul but (d'essayer) d'atteindre une vérité. Ce qui est relativement impossible. Johnson, dans une lucidité déjà intransigeante, le souligne de façon très prosaïque : « Albert ne défèque qu'une seule fois dans tout le livre. Quel sorte de paradigme de la vérité est ce là? ». En effet. On pourrait aussi lui reprocher d'avoir utilisé tout l'attirail moderne & post-moderne possible & en même temps on s'en fout. Chaque livre est un livre écrit contre ses prédécesseurs & tous les moyens sont bons à prendre. Dans les dernières pages on découvre qu'Albert finit comme un autre prof looser dont je parlerai bientôt. Je le dis volontiers parce que ça ne change rien à la lecture du livre & surtout parce que ce n'était déjà pas un très bon présage en 1964.