Ce n’est pas la « montagne de la mémoire », celle que je connais, ce serait plutôt la « montagne des dieux », une montagne qui rêve une noce de djinns, et me rêve, moi.
Avec un rasoir, je me suis rasé la tête et mon crâne chauve
s’est mis à briller sous la lune jaune comme une identité toute neuve enduite
d’huile d’olive. J’étais devenu un Tirésias plus mûr mais je ne savais pas quel
était mon nom désormais. Ni quelle était la ville de mon nom. J’ai éclaté de
rire : ma tête, mon « moi », mon « ici » et ce qu’il
me fallait être maintenant.
(…) Mais on m’a dépouillé de mon histoire, je ne suis plus qu’un arbre à la
croisée des chemins. Et maintenant le cancer essaie de me dépouiller de mon
corps.
En me regardant dans la glace, je me suis dit qu’il ne me manquait qu’une de
ces longues robes jaunes qui seyent à un devin ou à un enfant prophète, de
vieilles sandales de cuir et des orteils crasseux capables d’affronter la boue
des marécages.
Et qu’il ne me restait plus qu’à partir à la recherche d’un nom pour moi et
d’une ville pour mon nom, dans l’histoire de ce fragment d’histoire. Je
parcourrais Thèbes d’Égypte, Byblos et Babel, Palmyre, Petra et l’Andalousie, même
si le pas de mes sandales n’est « qu’un lys blanc sur un chemin dévasté. »
Pendant une période, j’ai adopté le nom de Tirésias pour m’adresser à moi-même.
D’ailleurs il m’arrivait de changer de nom et de lieu de résidence. Parfois j’étais
Marduk, le dieu suprême des Babyloniens, d’autres fois Imru’al-Qays1,
ou quelque commensal récitant des vers de Mutanabbî dans les tavernes d’Alep…
La montagne est mon premier début. Je l’ai poussée « dans
ses extrémités » : je l’ai conduite à Alexandre de Macédoine, à
Mutanabbî, à Amon et à Rê, au cap de Bonne-Espérance, à Lao-Tseu et au Bouddha,
à Rûmî, à Baudelaire, à Marcuse, à Mishima et tellement d’autres encore. Et en
moi la montagne est arrivée à son point extrême, la montagne est devenue elle-même.
Je sais mes débuts. Mais la montagne, elle, reconnaît-elle, dans les traits de
mon visage qui s’agencent et se combinent sous la forme d’une légende si étrange,
l’un au moins de ses extrêmes, l’une de ses fins… ?
Je suis l’une de ses ghaririyas2 et le temps est venu qu’elle me voie
sous la forme d’une ghaririya qui escalade ses flancs en direction de la
lune rousse si semblable à une déesse méditant les yeux fermés au-dessus
de « la ligne de séparation ». (…)
Dieu, que tu m’en sois témoin ! Et que la montagne chante !
Hussein al-Barghouti, Je serai parmi les amandiers, Actes Sud, 2008, pp. 79, 93 et 106
1 Grand
poète préislamique
2 Animal de la famille des lynx
Contribution de Sylvie Durbec
Bio-bibliographie de Hussein al-Barghouti
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