Magazine Culture

Jour 313 : STEPHEN DUFFY, She Belongs To All (sur I Love My Friends, 1998)

Publié le 04 février 2009 par Oagd
Jour 313 : STEPHEN DUFFY, She Belongs To All (sur I Love My Friends, 1998)    Pochette : Youri Gralak    Texte : Frédéric & Sylvain  Nous tentons aujourd'hui, avec un nouveau rédacteur, Frédéric, un exercice critique pour nous inédit : l'analyse des paroles d'une chanson, auxquelles nous accordons le statut de texte littéraire. Il ne s'agit pas d'en donner « le » sens, mais de permettre à chacun de reconstituer son propre mille-feuille. D'autres sont en préparation (This Charming Man et The Killing Moon), sans que nous renoncions à nos articles consacrés aux albums. Simplement, nous vous proposons ici de commencer par l'écoute :   L'air de bossa, la voix française, possèdent pour un anglophone un caractère de romantisme. Mais l'ambiguïté ne tarde pas, avec ce « she talks as she undresses » (une prostituée, qui parle pendant qu'elle se déshabille ? ou juste la fille sympa, « nature »... ?) « pennies in a stream », ce sont les pièces porte-bonheur qu'on jette dans les rivières (« stream » = courant, cours d'eau - mais aussi « pennies in a stream », c'est l'argent dépensé pour aboutir à ... une chaude-pisse, a « stream » !) Là encore, l'hypothèse « pure » et son contraire fusionnent sur un seul mot. « love songs unrequited » : « les chansons d'amour composées pour (te) séduire , mais qui n'entraînent pas de réciprocité ». Cela peut concerner l'amour tarifé, réduit à une transaction, mais aussi l'amour fou, platonique, que la chanson la mieux troussée ne saurait acheter. « all the dicks you slighted... » signifie :  tous les crétins que tu as ignorés, repoussés (« dick » a un double-sens !), et c'est toute cette vie-là (« ... are at your door ») qui reste à la porte. L'hypothèse même de la femme perçue comme une prostituée, doit rester à la porte.C'est pourquoi le narrateur semble se livrer à un débat intérieur, et finira par dire : « En tout cas, s'il y a bien une chose qui ne peut être discutée, c'est que l'amour emporte tout. » « I won't erase your teenage writings from my wall where you wrote : Love is All » : à prendre au sens propre (gribouillis sur un mur de chambre), ou métaphorique (souvenir d'amours adolescentes, d'émoi, de promesses, ou encore : « je me souviens de nous adolescents, et cette fièvre, je ne veux pas l'effacer de ma mémoire, à présent que nous sommes adultes »). Avec ce refrain, surtout, s'opère un glissement.  Dans un simple débat sur l'amour, animé par la question sempiternelle du regard masculin, s'introduit un élément nouveau : l'élément temporel. Le combat devient : l'amour qui emporte tout / le temps qui emporte l'amour.Lui seul, ce temps qui a passé, éclaire d'un jour tendre la formule-titre : « she belongs to all ». Parce que le temps passe, il est bon, souhaitable, miraculeux, qu'elle « appartienne à tout ».Hypothèse : « elle est partout dans ma vie, elle appartient à tout ce qui fait ma vie, car son souvenir (ou mon amour pour elle, qui résiste au temps) est très présent encore ».Elle est omnisciente, elle peut jouer tous les rôles, capable de parler quand elle se déshabille, et capable de donner de l'amour juste en se taisant, « quand rien ne peut être dit ». « where others see the mother of another child, I still see your eyes ablaze and wild, outside your faculty » : « le temps n'a pas effacé l'amour, je te vois encore telle que tu étais dans la passion, les yeux fiévreux, « sauvages », sans retenue aucune, comme une femme, pas uniquement comme une mère ainsi que les autres te voient, ou bien ainsi qu'ils considèrent leur propre femme ».« even in the grey, solar energy is transmitted » -  cf Romeo and Juliet, où Roméo compare Juliette à la fille du soleil, qui éclipse la lune envieuse, parce que cette dernière est malade et pâle, alors qu'elle-même n'est que lumière.Donc : très belle déclaration d'amour à une femme connue adolescente, qui a mûri, est devenue mère, tout en gardant son éclat, sa présence lumineuse, sa sensualité aux yeux de Stephen Duffy (apparemment plus attaché aux beautés juvéniles, et surpris d'en retrouver la permanence au sein d'une beauté maternelle). Entre-temps, le quotidien ne fut que « béquilles (crutches) et addictions » diverses. A moins... ... à moins que ce ne soit ce souvenir adolescent, qui n'ait été que béquille et addiction.Tout le texte s'enveloppe alors d'une nouvelle ambiguïté, après la phase solaire où était dépassée la contradiction homme-femme. Cet amour aux accents sincères («  you wrote love is all, you meant it, you know you did ») n'a pas débouché sur une histoire durable. Le « where others see the mother of another child, I still see your eyes ablaze », signifie peut-être tout simplement que là où les autres voient une mère (l'image réelle), le narrateur immature continue de vouloir voir l'image de la jeune fille. Mais où est la jeune fille ? Elle est dans le mur, là où s'inscrivirent les mots doux, les promesses. « L'amour est tout, je te jure monsieur », très suave au demeurant, c'est peut-être le plus beau pipeau qu'il ait jamais entendu, Stephen Duffy. Son redoublement en français serait la note amère, l'éloignement ultime, presque un « Qu'est-ce que c'est, 'dégueulasse' ? » de godardienne mémoire... (et pourquoi ce grésillement, ce son différent du reste de la chanson... ? On dirait un extrait de film...) La bossa nova porte en elle sa propre nostalgie, mélange de manque et de désir, de sensualité et de tristesse : manque futur du désir déjà passé ; désir présent (et trouble) du manque à venir. Le mouvement de la bossa (« vague »), au moment même où il se déploie, s'est déjà perdu. Si l'amour est « tout », alors il peut aussi être double. La chanson de Duffy observe un flux et un reflux (du sens, du sentiment).

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Oagd Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte