L'épisode I est ici. Le II est là. Le III ici.
Fin de l'épisode précédent.
Maxime avait ensuite cligné de l'oeil en direction de Marco, adoubant le gaillard, avec dans le regard une lueur qui slaloma entre les effluves d'alcool pour venir se poser avec cette assurance qu'est le respect de l'autre. Marco devint donc l'intello à Sète, et surtout l'adjoint de Maxime. Respect total. Impunité. Comme dans la rue, on n'a ni nom ni prénom mais un surnom, et comme les nouvelles vont vite, ce fut donc l'intello pour tout le monde. Après Sète, cela lui survécu, d'ailleurs. Même dans cette ville où il s'était pensé inconnu, à attendre Juliette, l'écharpe bleue dans les mains.
Marco l'Intello travaillait du ciboulot la nuit, sous le manteau. Avant tout, il était un type réglo. Il patientait en plongeant dans le dico, insensible aux badauds qui avaient fini par le confondre avec le banc où il avait pris ses quartiers. C'était difficile de dire depuis combien de temps il était là.
Après Sète, il était remonté vers le nord, histoire de suivre un Maxime qui avait eu envie de retrouver sa terre natale. Ils débarquèrent quelque part du côté de Mâcon. Le périple ne fut pas de tout repos. Ils sinuèrent le long de la Loire, campèrent quelques temps près de Roanne, évitèrent un Lyon trop costaud pour que Maxime puisse envisager une prise de pouvoir du pavé local. Tu comprends, l'intello, je n'ai plus la force, je n'ai plus l'énergie. Tu sais quoi ? J'ai envie de me trouver une petite barraque et d'y crever tranquille. Marco sentait bien que Maxime avait peur. Il n'y pouvait pas grand chose.
Très simplement, un jour, il en va des rencontres comme des départs, leurs routes se séparèrent. Maxime retourna à Sète. Marco poursuivit et découvrait qu'une réputation l'avait précédé. Où qu'il aille, ça finissait par resurgir. L'intello. Avec des variantes. L'intello du sud, de Sète, de Maxime... Les gars de la rue finissaient par le reconnaître, toujours.
Ah, c'est toi, ils disaient. Sans plus de cérémonie. Il haussait les épaules, manière de maintenir la distance, manière aussi de consentir à ce sobriquet qui claquait comme une réussite.
On venait le consulter, c'est fou comme les gens passaient du temps à chercher le bon mot. Il l'avait, lui, ce bon mot. Il le donnait. Après tout, c'était comme un sourire, ou un bonjour. Les gens venaient, lui demandaient, il donnait. Bonheur de ces bouches édentées qui s'en repartaient avec le sourire. Certains se mettaient même parfois à courir pour aller balancer le bon mot au collègue.
Ce destin, enchaînement nécessaire et imprévu des événements qui composent la vie d'un être humain indépendamment de sa volonté, ne lui déplaisait pas. C'était presque comme une revanche. L'école, ça n'avait pas été son truc. D'ailleurs, cette dernière avait apprécié sa décision d'opter pour l'apprentissage. Elle ne s'était pas plus soucié du fait que son compagnonnage, il le fit à l'autodidacte, prenant finalement la route, sillonnant le pays à pied, conscient d'avoir le monde dans sa poche.
Il pensait souvent à son père. Les mots sont des fusils, c'est vrai. Ils peuvent servir la paix. Il avait un physique de guerre et un regard pacifique. Marco aimait la paix. Plus que tout. Il ne la cherchait pas : il l'avait. En poche. Bel héritage. Ce ne sont que les mots des autres, il pensait. Que les mots des autres. Je les fais miens. Ils deviennent leurs.
Soudain, elle fut là.
Juliette. C'était... incroyable ! Il n'avait rien entendu. Rien vu. Plongé qu'il était dans ses pensées. Elle avait comme surgi de nulle part. Juliette fixait l'écharpe bleue, comme si c'était un aimant. L'oeil était perçant, doux à la fois. C'était forcément elle. Elle ne regardait pas l'écharpe comme les autres regardaient l'écharpe jusque là. Il avait observé que les autres le regardaient lui et l'écharpe seulement ensuite. Elle, elle ne le regardait pas. Au point qu'il en fut comme pétrifié. Ce regard, cette présence.
Il pensait en même temps enfin ! et déjà ! mêlant la joie à la tristesse sans vraiment savoir qui allait emporter le morceau.
Elle était là. Ils n'avaient pas échangé une parole.
Tenez, Juliette, c'est à vous, dit-il en tendant l'écharpe. Je l'ai trouvée par terre et je vous attendais, pour vous la rendre.
Elle la prit, avançant doucement la main, léger frisson partagé.
Elle fut surprise. Il devina la chair de poule.
Comment savez vous que je m'appelle Juliette ? souffla-t-elle, du bout des lèvres, pendant que le tram partait.
Marco ne répondit pas. Il fut néanmoins stupéfait.
Mais ce n'est pas mon écharpe.