27.
Enfin arrivé, vous ouvrez la porte de votre appartement, éreinté par la chaleur… Et avez la désagréable surprise de réaliser qu’il fait tout aussi chaud à l’intérieur. L’électricité est bien évidemment toujours coupée.
Soudain, on frappe à la porte. Ou plus justement, on tambourine violement à la porte, comme si on voulait la défoncer. Car les chinois s’annoncent toujours ainsi, certainement par crainte que l’occupant soit sourd. Vous sursautez, et vous précipitez pour ouvrir. C’est Mason (vous ignorez son nom chinois), le fils de votre propriétaire, adolescent d’une quinzaine d’années, dont la qualité de l’anglais à un si jeune âge ne cesse de vous impressionner. Vous l’invitez à rentrer, et sautez sur l’occasion pour lui expliquer votre problème de facture. Mason est un peu désarçonné : il passait uniquement pour vous emprunter quelques DVD de films américains pour, tout en rêvant de l’Occident lointain, parfaire sa compréhension de l’idiome de John Wayne. Gentil garçon, Mason bombe le torse, vous confirmant comme un serment qu’on prête, qu’il va faire de son mieux pour vous aider à payer votre facture. Vous soupirez d’aise : vous n’êtes plus seul contre la Chine entière. Vous vous asseyez, et lui détaillez votre incompréhension des choses :
Lorsqu’on vous avait placardé une facture d’électricité sur la porte pour la première fois, il y a peut-être un an maintenant, vous étiez allé à la Banque de l’Industrie, en bas de chez vous,
votre facture à la main, et vous aviez pu vous en acquitter. Par ailleurs, vous aviez un peu traîné pour le paiement, et on ne vous avez pas pour autant coupé le jus. Cette fois-ci, lorsque vous
êtes allé à la Banque de l’Industrie, vous n’avez pas pu régler. Comment se fait-il que vous ayez pu régler la dernière fois, et que ce soit dorénavant impossible ? Sur les conseils de la
gérante, vous êtes allés à la Banque de la Construction, et, tantôt on accepte votre règlement… Pour mieux le refuser dix minutes plus tard, après que vous ayez bataillé pour retirer des sous. Si
toutes les factures se payent en banque, même si c’est une banque où vous n’avez pas de compte, qu’au préalable vous pouviez régler à la Banque de l’Industrie, et que, pour une raison inconnue,
ce n’est plus possible, et que, pour finir, à la Banque de la Construction, on accepte votre paiement qu’une fois sur deux, où peut-on donc bien régler ? Même Kafka se serait tiré une
balle : la logique de la procédure est impénétrable.
Mason vous a écouté religieusement, hochant la tête positivement à chacune de vos ponctuations. Candide, et réduisant le problème à sa plus basique finalité, vous lui demandez « Mason,
mon ami, comment fait-on pour régler une facture d’électricité en Chine ? ». L’ado se réfugie dans une réflexion intense, pour finalement abdiquer : « Et bien, je ne sais pas
trop : j’ai quinze ans, et n’ai jamais payé de facture. »
Vous haussez mollement les épaules, proche que vous êtes de la perte totale d’espoir, lorsqu’une lueur étincelle dans le regard de l’adolescent, qui continue : « Mais quand tu as
emménagé, tu as du récupéré les cartes qui permettent de payer l’eau, le gaz, et l’électricité, non ? » Soudainement, vous
vous souvenez que le propriétaire vous avait laissé des cartes au format carte de crédit pour assurer le règlement des charges. Vous aviez signé le bail (enfin, Cai Li l’avait fait, car le
propriétaire ne voulait pas qu’un étranger qui peut repartir dans ses pénates du jour au lendemain s’engage légalement), et le propriétaire vous avait remis une enveloppe avec des documents dont
ces fameuses cartes.
« - Et avec ça, je pourrais régler ma facture d’électricité ?
- Et bien, a priori oui… Mais bon, encore une fois, je n’ai jamais été confronté au problème. Donne-moi les cartes, et je lirais ce qu’il y a dessus : peut-être y a-t-il des indications. »
Bonne idée. Par contre, la grande question, c’est de savoir où vous avez bien pu mettre tout cela. Vous commencez à fourrager au hasard : lancez votre pièce de monnaie.
- Pile, allez au paragraphe 28.
- Face, allez au paragraphe 31.
28.
Vous farfouillez partout dans les tiroirs, les meubles de rangement, et tombez finalement sur la liasse de documents liée au logement, que vous aviez méticuleusement organisée. Parmi toute cette paperasse en mandarin, vous retrouvez une petite enveloppe, qui a la bonne idée de contenir quelques cartes. Après une lecture sommaire, Mason isole celle qui sert au règlement de l’électricité. Le plus étonnant, c’est que vous n’aviez jamais eu besoin de ces cartes au préalable. Ne vous posez donc pas tant de questions, et allez au paragraphe 33.
29.
La selle de Rossinante a tiédi au soleil. En centre-ville, il y a affluence. L’endroit où vous avez laissé votre scooter électrique est tellement surchargé de deux-roues que vous avez du mal à extirper le vôtre de la masse. Vous poussez le vélo à sa gauche, puis le scooter à sa droite, et, en tendant le bras dans une moue contractée, la sueur aux tempes, vous atteignez l’antivol que vous réussissez à détacher. Encore un effort, et vous descendez Rossinante du trottoir, en prenant soin de ne pas faire choir les cycles adjacents. Vous reprenez votre chemin en direction de Ling Tang Xin Cun. Sur le trajet, vous évitez toutes formes d’obstacles : piétons qui traversent sans regarder, vélos qui arrivent à contresens, bicyclettes qui vous grillent la priorité comme si il n’y avait aucune règle d’anticipation, et, vous assistez avec hilarité à un scénette fort amusante :
Voir un étranger en Chine au guidon d’un scooter électrique n’est pas un spectacle banal. En conséquence, les locaux vous regardent toujours avec étonnement quand vous conduisez. Alors que vous filez à vive allure, deux vélos roulant en sens inverse se rentrent dedans : les deux cyclistes avaient oublié de regarder devant eux, y préférant l’observation stupéfaite de votre face blanchâtre aux commandes de Rossinante. Vous venez de générer un accident. Les deux bougres reprennent leurs esprits, oubliant votre présence qui se noie dans la circulation surnuméraire de ce début de week-end, et commencent à s’engueuler !
Vous n’êtes plus très loin maintenant. Même si c’est toujours un délice de se faire masser par les rayons du soleil lorsque vous conduisez
Rossinante, l’état des routes commence à tasser vos vertèbres, et la perspective de vous abandonner à votre canapé vous stimule au plus haut point. Vous serez de retour dans vos pénates, au
paragraphe 27… En ayant pris soin de déduire deux points de votre total de points d’électricité.
30.
Une demi-heure s’est écoulée depuis que vous êtes ressorti de la Banque de la Construction. Vous êtes confortablement installé dans un des canapés moelleux du Ming Tian Ka Fei, un « coffee shop » comme on les appelle ici, et qui est une formule cent pour cent chinoise de ce que les locaux désignent comme « un café occidental. » En fait, c’est une occidentalisation de la maison de thé traditionnelle chinoise, où les serveurs et serveuses en uniforme font preuve d’une politesse exceptionnelle, souhaitant « la bienvenue à votre présence lumineuse » à tout quidam qui rentre dans l’établissement. La musique diffusée est douce, reprenant les irritants medleys de Richard Clayderman, ou des standards occidentaux, réinterprétés au synthé. Ainsi, depuis que vous êtes là, vous avez pu entendre la version Bontempi de « my heart will go on », « ce n’est qu’un au revoir », et même « jingle bells », malgré que nous soyons à la mi-juin.
Ce qui est très bon, au Ming Tian Ka Fei, c’est le capuccino. Il est surplombé d’un îlot de crème sucrée, lui-même saupoudré de cannelle, et, couronnant ce petit monticule laiteux de bonheur, un zeste d’orange donne au breuvage une saveur exceptionnelle. Ce moment de paix vous fait relativiser votre malheur, et vous regagnez un point de patience. Vous dégustez votre capuccino en observant par la fenêtre le chaos du centre-ville. Les vélos roulent en tous sens, les taxis doublent par la droite en klaxonnant, les filles circulent sous des ombrelles pour s’abriter du soleil, et vous, vous ne savez toujours pas comment régler votre facture.
En y réfléchissant, vous ne voyez que trois possibilités :
- Vous tentez de contacter Wang Ke Rong, afin que celui-ci vous donne la démarche à suivre, pour peu qu’il sache comment s’y prendre. Allez au paragraphe 26.
- Vous appelez Cai Li, pour lui demander son aide. Allez au paragraphe 24.
- Vous jetez l’éponge et décidez de rentrer chez vous. De toute façon, il fait trop chaud. Vaincu, allez au paragraphe 29 si vous êtes venus en scooter, et 25 si vous avez pris le bus.
31.
Vous aurez beau mettre l’appartement à sac pendant une heure, il vous est impossible de remettre la main sur une quelconque carte de règlement d’électricité. Vous êtes là, accroupi au sol, souffrant de la chaleur dans des soupires transpirants. Allez au paragraphe 33… En prenant soin de vous ôter un point de patience.
La Banque de l’Industrie est à deux pas, et ce serait trop bête de ne pas retenter votre chance, sachant que Mason pourra tout expliquer. Il y a moins de monde que ce matin, et en deux minutes, vous arrivez au guichet. Le petit gros jaune est plus que jamais derrière, et Mason jette la facture sur le comptoir. Le petit bonhomme reste placide, et, après quelques explications avec l’adolescent, lui repasse finalement la facture ! « Alors ? » lui demandez-vous benoîtement. « Et bien, il a dit qu’il fallait aller directement à Jiangsu Power, la compagnie d’électricité. » vous répond Mason. « Oui, mais pourquoi avait-il accepté le règlement la fois précédente ? ». Il vous répond qu’il ne sait pas. « Et le gars, il sait où ça se trouve, Jiangsu Power ? ». Et bien non, pas précisément. C’est sur San Xiang Lu, l’artère qui borde la résidence, mais c’est une longue avenue, et il n’est pas certain de l’endroit. Toujours est-il qu’il a confirmé que ce n’était pas bien loin. Par contre, il n’est même pas certain que vous puissiez régler là-bas ! Pour Mason, ça ne fait aucun doute. Ah bon. Alors si ça ne fait aucun doute, allons-y. Gentiment, l’adolescent propose de vous accompagner. Soupirant d’aise, vous le remerciez chaleureusement, et cheminez ensemble au paragraphe 34.
33.
Mason vous propose alors de descendre une fois de plus à l’agence qui se trouve en bas de chez vous, et d’expliquer votre cas à la gérante. Vous, vous êtes prêt à suivre l’ado, et à payer tout ce qu’on vous dira, pour peu qu’on vous remette le courant. Vous enfilez à nouveau vos chaussures, et Mason vous arrache la facture des mains. Vous descendez les marches de la cage d’escalier, et arrivez face à l’agence. La gérante est là, ronflante sur le canapé de bois exotique, le fessier vautré sur une natte de paille. Mason hurle pour réveiller la vieille, et continue d’hurler que le courant n’a toujours pas été rétabli et que vous ne savez pas où payer la facture. Vous assistez au spectacle amusant de leur conversation en mandarin. L’adolescent gueule comme un putois, et se voit répondre par des sourires, comme si elle s’en contrefoutait. Au bout de cinq minutes, Mason ressort, et, sans plus d’informations, vous le suivez. Quand vous lui demandez ce qui s’est dis, il vous répond que la gérante ne sait pas trop. Celle-ci pense que vous vous êtes mal expliqué à la Banque de l’Industrie, mais que, dans tous les cas, il serait plus facile d’aller payer directement auprès de Jiangsu Power, la compagnie d’électricité. Ah, parce qu’on peut aller régler directement auprès de la compagnie d’électricité ? Première nouvelle. Lorsque vous demandez où ça se trouve, Mason vous assure que ce n’est pas très loin… Sans savoir précisément où. C’est sur San Xiang Lu, l’avenue qui borde la résidence. Mais l’avenue est bien longue, et vous n’avez aucune idée de ce à quoi le bâtiment ressemble.
Que souhaitez-vous faire ?
- Si vous voulez retourner à la Banque de l’Industrie avec Mason, filez au paragraphe 32.
- Si vous souhaitez aller au bureau de Jiangsu Power, rendez-vous au paragraphe 34.
34.
Vous vous retrouvez à l’extérieur, et, après avoir décidé d’aller à Jiangsu Power, la compagnie d’électricité, il ne vous reste plus qu’à sélectionner le moyen de transport :
- En scooter électrique, roulez jusqu’au paragraphe 40.
- A pieds (puisque ce n’est pas bien loin), marchez jusqu’au paragraphe 37.
35.
Lorsque vous arrivez près du flic, il peste en mandarin, et Mason lui explique que vous ne saviez pas qu’il était interdit de transporter quelqu’un d’autre. Vous les voyez palabrer pendant cinq minutes, et, finalement, le policier se servira de son carnet de contredanses pour inscrire un numéro de téléphone qu’il tendra à l’adolescent. Dans l‘incompréhension totale, et sans tenter d’en savoir plus, vous enfourchez Rossinante, et chevauchez lentement, Mason marchant à vos côtés, attendant que l’agent soit hors de vue pour remonter à l’arrière. Vous profitez de cela pour lui demander des explications. Il en pouffe encore. Le flic a fait l’impasse sur la contravention, en échange d’une condition : contacter son fils pour lui donner des cours d’anglais ! Vous éclatez de rire. Ca vous a toujours épaté, ça : plein de gens viennent spontanément vous demander de leur donner des cours d’anglais. Chez votre premier employeur en Chine, la première semaine, cinq personnes par jour passaient dans votre bureau pour vous en faire la requête. Car les étrangers, en Chine, sont considérés comme étant tous nés anglicistes. Sur ces considérations, allez au paragraphe 41, please.
36.
Vous pénétrez dans l’allée dévolue aux cyclistes, en utilisant la méthode locale, c’est-à-dire sans même regarder si d’autres deux-roues arrivent, obligeant deux vélos et un scooter à piler. Un sentiment de bien-être vous irrigue : vos lunettes de soleil posées sur le nez, la ville vous appartient, et Rossinante vous permet de vous emparer de chaque endroit avec une aisance de film d’aventure. Des véhicules roulent en contre sens, des piétons marchent par trois, les uns à côté des autres, dans l’allée cycliste, et c’est à grand renfort de coups de klaxon que vous signalez votre arrivée, vous mêlant à la cacophonie zimboumesque de la grande fourmilière. Depuis votre arrivée, vous balader sur Rossinante reste un grand plaisir : en selle sur ce moyen de transport local, vous vous fondez dans l’atmosphère unique de la vie citadine chinoise, avec ses enseignes criardes en mandarin, ses badauds passant en tous sens, le tintamarre incessant, les discussions hurlées, les parfums saturées de chaleur moite et de poussière. Tout ce bonheur vous fait toutefois perdre 2 points d’électricité. Vous arrivez sur Ren Min Lu, « l’Avenue du Peuple ». La Banque de la Construction est à deux pas. Vous avancez une centaine de mètres et garez votre scooter électrique dans la masse de deux-roues alignée sur le trottoir. Une vieille femme avec un large chapeau de paille et un tablier vous tend un petit ticket, et vous somme de payer cinq mao, soit un demi-yuan, pour avoir le droit de parquer Rossinante parmi les cycles. Vous pénétrez dans l’établissement au paragraphe 16.
37.
Vous partez à pieds. Le soleil est maintenant haut dans le ciel. La température dépasse les trente-cinq degrés, et vous ne jouissez plus que très modérément de l’atmosphère. Mason, idoine à ses compatriotes, ne semble pas souffrir de la chaleur. Par contre, vous, vous regrettez de ne pas avoir pris Rossinante. Bah, vous êtes déjà presque à la sortie de la résidence, avez traversé le pont en dos d’âne à la forme si spécifiquement chinoise, surplombant le canal où naviguent de petites péniches ; avez dépassé les vendeurs de lychees, de pastèques et de raisin. San Xiang Lu n’est pas bien loin, et, avec un peu de chance, Jiangsu Power non plus. Vous commencez toutefois à suer à grosses gouttes ; mais, plein d’espérance, vous continuez jusqu’au paragraphe 41.
Après quelques pas, vous arrivez à l’arrêt de bus. Les arrêts de bus à Suzhou sont exceptionnels, car ils ont été reconstruits dans le style architectural des jardins traditionnels, avec leurs murs blancs, leurs boiseries, et leurs toits en pisée. Vous trouvez l’initiative excellente, et, vous qui êtes originaires de la Vallée de la Loire, vous demandez quelle tête auraient les arrêts de bus de votre ville natale si ils avaient la forme du Château de Chambord. Les bus s’alignent les uns derrière les autres, et seul le premier longe l’arrêt. Les autres attendent les usagers derrière, mais ne prendront pas la peine de faire une halte face à l’arrêt. Et si vous ne faites pas attention, vous risquez de voir votre bus vous passer sous le nez !
Le bus numéro 38 arrive. Vous grimpez dedans, glissez le yuan que la course coûte dans la boite métallique boulonnée près du chauffeur, et restez debout dans l’encombrement habituel du transport en commun. Vingt minutes plus tard, vous arrivez sur l’Avenue du Peuple, et descendez par la double porte arrière. Comme d’habitude, le chauffeur redémarre avant que vous ne soyez descendu. Et comme d’habitude aussi, vous sautez en marche. La Banque de la Construction est là, à deux pas. Une centaine de mètres plus loin, vous pénétrez dans l’établissement, au paragraphe 16.
39.
L’occasion est trop belle. Vous tendez bien droit votre index en direction du policier, et tournez la poignée d’accélération aussi fort que vous pouvez, mettant rapidement le flic désabusé hors de portée. Mason n’a rien compris lorsque vous avez hurlé un libérateur : « mort aux vaches ! », mais explose toutefois de rire en jouissant de la cocasserie de la situation. Cet épisode passé, vous observez autour de vous, cherchant désespérément le bureau de Jiangsu Power. Vous ne devez pas être bien loin. Peut-être au paragraphe 41.
40.
Il commence à faire sacrément chaud, et avancer à pieds sous la boule de feu juchée au milieu du ciel est de la folie pure. Vous rentrez chez vous, foncez au garage, et récupérez Rossinante, votre fidèle destrier électrique. Vous arrivez à l’extérieur. Mason grimpe à l’arrière de la large selle. Vous tournez la poignée d’accélération, et, dans le silence habituel qui caractérise le scooter électrique, Rossinante avance, dépassant les petits commerces, survolant le pont en dos d’âne à la forme si spécifiquement chinoise, pour finalement s’engouffrer dans le flux de cycles de San Xiang Lu. Vous êtes heureux. Il n’y en a plus pour longtemps. Jiangsu Power n’est pas bien loin, et vous n’allez pas avoir à régler le problème tout seul. Dans une demi-heure maximum, toute cette histoire ne sera qu’un souvenir.
Vous entendez alors retentir un coup de sifflet : il s’agit d’un représentant de la maréchaussée. Et aïe donc. Ici, vous le savez pertinemment, il est expressément interdit de porter un autre adulte à l’arrière des petits cycles, et à quinze ans, Mason ne peut plus être considéré comme un enfant. D’après ce que vous avez entendu, le coût de l’infraction s’élève à cinquante yuans, et payer une somme pareille pour si peu ne vous enchante pas. Les locaux sont moins cons que vous, car ils connaissent le truc. Les flics ne se trouvent qu’aux carrefours. Dès lors que les cyclistes transportent un individu, ils s’arrêtent vingt mètres avant les carrefours, font descendre la personne, qui traverse à pieds, et la reprennent de l’autre côté. Vous, vous n’y pensez pas, et, par ailleurs, les flics laissent en général passer les occidentaux.
Que faites-vous ?
- En étranger respectueux de son pays d’accueil, vous rejoignez le policier au paragraphe 35.
- Vous fuyez au paragraphe 39, gageant que la vélocité de Rossinante est sans commune mesure avec celle de la paire de chaussures du représentant de l’ordre.
41.
Cela fait bientôt une demi-heure que vous tournez, empruntant San Xiang Lu dans tous les sens, évitant les cyclistes, les piétons et les voitures. C’en est trop, et Mason commence lui aussi à fatiguer. La meilleure solution, vous semble-t-il, c’est encore de demander. Mason soupire, car, comme c’est lui le chinois, c’est lui qui va s’y coller. Dans la rue, proche de vous, vous avez le choix, et vous sélectionnez quelques personnes à qui vous pourriez demander de l’aide. Faites votre choix au paragraphe 50.
42.
Vous adorez traverser votre quartier. De chaque côté de la rue se trouvent des petits commerces humbles, vendant des fruits et légumes, des galettes de riz et d’œuf à l’oignon, ou des brioches cuites à la vapeur. Il y a aussi des réparateurs de vélos et de motos. Celui que vous avez surnommé « le concessionnaire Harley-Davidson de Ling Tang Xin Cun », à savoir le piteux propriétaire d’un triste garage au toit de tôle ondulée, vous salue d’un geste franc en hurlant « laowai ni hao ! », soit « l’étranger, bonjour ! ». Et puis, il y a les frondaisons rafraîchissantes qui assombrissent la chaussée, donnant au quartier un parfum d’Italie, avec son linge pendant aux fenêtres, cette femme assise sur un tabouret bas, donnant le sein à son bébé, cette autre accroupie à même le sol, lavant ses habits dans une large bassine, alors que son enfant roupille sur une natte à ses côtés. Et puis il y a le parfum des fruits réchauffés par le soleil, celui des épices servant à la préparation des mets simples et bons qui sont vendus dans la rue pour des montants dérisoires, et toutes ces odeurs sont mixées par le passage incessant des deux-roues et des piétons avançant en tous sens.
Vous arrivez sur Gan Jiang Lu. Vous entendez un sifflement multiple assourdissant, comme si on avait superposé quantité de sonorités exceptionnellement aigues. Cette cacophonie est si vive qu’elle en perce les tympans. Vous avez repéré d’où cela vient : sur le trottoir, face à la piste cyclable, il y a un type en guenilles, posé contre son vélo. Sur son porte bagage sont attachées, en gigantesque boule, des petites cages en rotin, grosses comme le poing. A l’intérieur de chacune de ces cages est emprisonné un grillon. Ils sont à la vente. Il doit y en plusieurs centaines sur le vélo, et leur chant collégial vous oblige à vous boucher une oreille lorsque vous passez à proximité. Le son hurleur, et la masse de grillons enfermés dans ces étonnantes petites cages continue de vous surprendre. Et puis, vous n’avez jamais compris qui pouvait bien acheter cela, et pour quelle raison. Mais un jour, vous en aviez ramené un à Cai Li. Voyant la pauvre vermine enfermée dans sa prison de rotin, elle vous avait demandé, sur un ton supplié, de la libérer. Vous étiez sortis alors, la boite à la main, et, méticuleusement, pour éviter de blesser l’insecte, vous aviez découpé la cage avec des ciseaux. Le grillon avait tout de même réussi à vous mordre ! Vous chassez ce souvenir dans un sourire à l’encontre du vendeur, qui ne manque pas de vous proposer l’acquisition d’une bestiole.
- Si vous êtes en scooter électrique, allez au paragraphe 36.
- Si vous vous apprêtez à prendre le bus, allez au paragraphe 38.
43.
Le vendeur de pastèque, un jeune d’à peine vingt-cinq ans au visage creusé par la dureté de sa condition, a retroussé le bas de son pantalon jusqu’aux genoux, pour éviter de trop souffrir de la chaleur. Pour la même raison, il a relevé son vieux polo orange jusqu’au dessus du nombril. Cette élégance bikinienne et ploucoïde est très répandue chez les messieurs chinois en période de canicule. La coupe en bataille comme tombé du nid, il s’est accroupi dans cette position typiquement chinoise qui donne l’impression que les locaux sont posés au-dessus de toilettes turques. Vous trouvez cette géométrie foncièrement incommodante, tant elle tire sur les mollets, et voir les chinois rester assis ainsi des heures ne cesse de susciter votre incompréhension quant à leur anatomie. Eux vous répondent que c’est très confortable. Il sourie en vous voyant arriver, et vous propose une des énormes pastèques se trouvant dans sa vieille charrette en bois. Mason lui fait comprendre qu’il ne souhaite pas de pastèque, mais un renseignement. Le vendeur l’écoute avec concentration, pour finalement se gratter le menton, et lui indiquer une direction, joignant à cela quantités d’explications. Mason revient vers vous tout heureux, et vous confirme que c’est à juste en dessous, au paragraphe 44.
44.
Grâce aux explications du vendeur de pastèque, vous arrivez face au bureau de Jiangsu Power, pour réaliser que vous avez du vous y prendre comme un âne. En effet, d’une part, celui-ci est juste à côté, et, d’autre part, le bâtiment est d’une dimension telle qu’il est difficile de le rater. Cerise sur le gâteau, le nom de la société est rédigé en anglais, sur une enseigne titanesque. Mason demande au garde à l’entrée, et celui-ci lui indique un bureau ouvert au public, sur le côté. Vous vous y rendez, jouissant de l’air conditionné glacé qui vous traverse l’échine dès que vous poussez la porte. Voyant la foule généreuse qui poireaute aux guichets, vous soupirez : une fois de plus, il va falloir vous armer de la plus sereine des patiences. Allez attendre au paragraphe 52.
45.
A ses traits rustiques et ses haillons, et voyant les roses que le petit bout de chou propose à la vente, vous réalisez à quel point il y a un problème de partage des richesses. Bien évidemment, lui demander votre chemin ne rime à rien. Le petit s’accroche à votre pantalon sans vouloir le lâcher : la seule solution est de lui acheter une rose. Vous demandez à Mason d’en choisir une, et donnez cinq yuans à l’enfant. Réduisez d’autant le montant de vos liquidités. Cela ne règle pas votre problème. Retournez au paragraphe 50 pour faire un autre choix.
Elle paraît un peu surprise, mais accepte. Mason feint de toussoter pour vous remémorer sa présence, et le fait que vous avez toujours une facture d’électricité en souffrance. Vous abandonnez la demoiselle et vous retournez au paragraphe 50 pour faire un autre choix.
47.
C’est une attitude qui vous a toujours étonné, et, qui, à votre arrivée, avait suscité stupeur et doute : en Chine, bon nombre de petits vieux marchent paisiblement à reculons. Pourquoi font-ils donc cela ? Vous aviez posé la question à Cai Li, et celle-ci vous avait répondu que c’est une gymnastique pratiquée par les personnes âgées pour garder la forme. Vous aviez accepté l’explication, et, après quelques mois, vous y êtes habitués, tout en continuant de trouver la démarche un brin surréaliste. Mason s’adresse au vieil homme serein et concentré. Celui-ci lui répond en suzhouhua, le dialecte local. Mason lui demande s’il parle le mandarin. Peine perdue ! L’ado revient vers vous en pouffant de rire. Certaines personnes âgées en sont encore restées à leur dialecte… L’enseignement obligatoire du mandarin remontant tout juste à Deng Xiao Ping. Souriant comme si vous veniez de croiser un breton ne parlant pas français, vous vous redirigez vers le paragraphe 50 pour faire un autre choix.
48.
Comprenant la situation, le guichetier préfèrera exploser de rire, ce qui, en Chine, est une façon de masquer sa gêne. Mais cette attitude a tendance à vous faire sortir de vos gonds : voir quelqu’un se marrer quand vous l’engueulez vous donne l’impression qu’il se fout ouvertement de votre gueule. Souhaitant tant détendre l’atmosphère que régler votre problème, le préposé demande la carte de règlement à Mason.
Aviez-vous retrouvé votre carte d’électricité dans votre appartement ?
- Si oui, tendez-la au guichetier au paragraphe 55.
- Si non, faites-lui comprendre que non, au paragraphe 53.
49.
Vous indiquez à Mason d’aller demander votre chemin à la poupée de porcelaine qui avance au rythme dodelinant de sa queue de cheval. Il commence alors à s’adresser à la jolie jaune fille, et instantanément, la barbie ocre se désintéresse de l’adolescent, pour s’adresser directement à vous, en anglais. En même temps qu’elle vous répond qu’elle ne sait pas où le bureau de Jiangsu Power se trouve, elle vous demande de quel pays vous venez. Dès lors que vous lui dites que vous êtes français, elle pouffe dans le revers de sa main, les pieds en dedans, en vous répondant que la France est un pays très romantique. Vous ne manquez pas de confirmer fermement.
Souhaitez-vous lui demander son numéro de téléphone ?
- Si oui, allez au paragraphe 46.
- Si non, retournez au paragraphe 50 pour faire un autre choix.
50.
A qui allez-vous demander à Mason de s’adresser ?
- Au chauffeur de taxi qui vient de s’arrêter illégalement dans l’allée des vélos ? Allez au paragraphe 51.
- Au vendeur de pastèques ? Allez au paragraphe 43.
- A cette jolie chinoise ? Allez au paragraphe 49.
- A ce petit vieux qui marche étonnement à reculons sur le trottoir ? Allez au paragraphe 47.
- A ce gamin qui n’a même pas cinq ans, qui est revêtu de guenilles, et qui vend des roses ? Allez au paragraphe 45.
51.
Mason frappe au carreau du taxi bleu. Le chauffeur venait de reculer son siège pour pouvoir se reposer, sans se soucier du fait que son véhicule se trouve garé en plein milieu de la piste cyclable, et constitue donc une effroyable gêne pour la circulation. Il ne comprend pas trop, et baisse sa vitre. Vous entendez les deux autochtones s’entretenir, et Mason revient vers vous, modérément satisfait. Vous lui demandez alors si le taxi a pu lui indiquer le chemin. Il vous répond qu’il sait où c’est, mais qu’il ne le dira pas. Par contre, contre dix yuans, il est prêt à vous y emmener ! Refusant définitivement ce genre de pratique qui n’a pour but que de plumer l’occidental, vous retournez au paragraphe 50 pour demander à quelqu’un d’autre.
52.
Malgré le mouvement constant des fourmis qui ont envahi le bureau de Jiangsu Power, et, en ayant plus ou moins réussi à isoler les curieux qui ne sont rentrés là que pour jouir de la fraîcheur de ceux qui sont de véritables clients, il doit y avoir pas loin d’une trentaine d’assujettis qui attendent qu’on daigne les servir. De l’autre côté de l’hygiaphone, fébrilement protégé derrière une vitre épaisse, seuls deux guichets sont ouverts, alors qu’un troisième employé, assis, la tête jetée en arrière contre le dossier, sommeille la bouche ouverte. Vous et Mason vous regardez. Vous n’avez pas encore sélectionné quel que guichet que ce soit, que vous êtes déjà excédé par l’attente qui se profile.
- Souhaitez-vous attendre au guichet de droite ? Allez au paragraphe 54.
- Souhaitez-vous attendre au guichet de gauche ? Allez au paragraphe 56.
53.
Le guichetier se gratte la tête, détaillant votre facture avec une moue simiesque. Il fait défiler plusieurs fenêtres sur son moniteur, tapant des commandes sur le clavier, et vous imprime finalement… Une carte de règlement d’électricité toute neuve, ne manquant pas de donner les explications nécessaires à Mason, qui l’écoutera religieusement, hochant de la tête en conservant la bouche ouverte. Vous tendez vos quatre cent yuans sous l’hygiaphone, attendez la monnaie et les deux inutiles duplicatas au carbone mitraillés de coups de tampon qui accusent réception du paiement, pour remercier le jeune homme, et sortir prendre l’air au paragraphe 58.
54.
Vous attendez depuis dix minutes. Les habitudes des locaux ont la vie dure, plusieurs personnes longeant la file d’attente pour atteindre le guichet avant vous. Comme à l’accoutumée, personne ne dit rien. Sans hésitation, vous tirez Mason par le bras, observez les resquilleurs avec une moue mordante, montrant la pâleur de votre visage et la clarté de vos yeux, espérant fébrilement que cela suffira à désarçonner les récalcitrants. Vous faites forte impression, et êtes surpris de voir les gens se pousser de leur petit morceau de comptoir, vous laissant la place. Jubilant de cette médiocre victoire, vous demandez à Mason de raconter votre histoire au guichetier concentré. L’ado hurle tout ce qu’il peut, pour finalement se prendre la tête à deux mains en soupirant. Tout fatigué et déçu, il vous annonce que pour les règlements de facture, c’est l’autre guichet.
- Si vous n’êtes pas allé à l’autre guichet, allez faire la queue au paragraphe 56.
Si vous êtes déjà passé par l’autre guichet, lancez votre pièce.
- Pile, allez au paragraphe 57.
- Face, allez au paragraphe 59.
55.
En moins d’une minute, chrono en main, le guichetier imprime un reçu, accepte les quatre cent yuans que vous lui tendez, vous rend la monnaie, et vous fournit deux duplicata au carbone mitraillés de coups de tampon. Vous tournez les talons, et sortez victorieux, la tête haute, et le torse bombé. Mason continue de baragouiner avec le fonctionnaire, et vous prenez le parti de l’attendre à l’extérieur, une cigarette au bec, au paragraphe 58.
56.
Va pour le guichet de gauche. De toutes façons, il n’a pas l’air pire que le guichet de droite. Derrière vous, un quarantain aux dents passablement en avant, la coupe en bataille, ne cesse d’hurler dans son téléphone portable, à tel point que vous finissez par vous demander s’il ne prend pas votre oreille pour l’émetteur. Vous espérez qu’il n’a pas d’hépatite, tant votre nuque se rafraîchit allègrement de ses postillons. Vous vous retournez pour lui faire comprendre que, malgré la chaleur, l’arrosage a assez duré. Il vous sourit sans autre réaction que de beugler encore plus fort dans le combiné. Il n’a pas réalisé.
Devant vous, une femme âgée tient sa petite fille par la main. L’enfant doit avoir cinq ans, porte deux tresses noires, et un petit vêtement léger de soie. Elle vous regarde avec de grands yeux interrogatifs. La grand-mère psalmodie quelque chose vous concernant au rejeton de sa progéniture, et se retourne vers vous, son appareil photo à la main, pour s’adresser à Mason. En bonne interface linguistique, Mason vous explique que la grand-mère aimerait prendre une photo de vous avec l’enfant dans les bras. Les étrangers sont des V.I.P. partout, mais parfois, vous avez le sentiment d’être un animal de zoo. La gamine est craquante, et la démarche vous amuse. Vous acceptez, en prenant bien garde qu’on ne vous vole pas votre place. Mason est hilare. Le résultat, c’est que la grand-mère, comme de nombreux chinois qui placent la qualité de l’accueil offert aux étrangers en priorité, vous laisse passer devant. Vous êtes un peu gêné, mais Mason vous pousse de deux pas en avant.
Vous arrivez au guichet où vous attend un jeune fonctionnaire à l’allure osseuse de freluquet zélé. Lorsque Mason explique la raison de votre venue, il répond qu’il est désolé, mais que c’est à l’autre guichet que les factures d’électricité se payent.
- Si vous n’êtes pas allé à l’autre guichet, allez faire la queue au paragraphe 54.
Si vous êtes déjà passé par l’autre guichet, lancez votre pièce.
- Pile, allez au paragraphe 57.
- Face, allez au paragraphe 59.
57.
Votre face occidentale passe du blanc au rouge plus rapidement qu’un lapin lancé contre un mur. Vous gueulez en anglais, disant au préposé que vous venez de l’autre guichet, et que là, on vous a dit qu’il fallait payer à ce guichet. Vous videz votre sac : cela fait des heures que vous tentez vainement de régler votre note d’électricité, et que vous en avez plus que marre de faire face à des responsables qui ne veulent pas accepter le règlement que vous être prêt à effectuer avec la meilleure volonté du monde. Vous concluez en indiquant que si personne ne veut de votre argent, et bien, cela ne vous gêne que modérément, mais au moins, qu’on vous rétablisse le courant ! Dans votre monologue cataclysmique, vous perdez un point de patience. C’est le silence. Après un instant de stupeur, Mason sort de sa torpeur pour tenter de prendre un ton tout aussi agressif, et incendie en mandarin le pauvre guichetier qui reste tout étonné, et n’a pas encore réagi. Finissez votre gueulante au paragraphe 48.
58.
Vous êtes sur le trottoir, devant l’immense bâtiment de Jiangsu Power, respirant comme vous le pouvez l’air chaud saturé d’humidité. Vous profitez de ce répit pour vous allumer une cigarette, en attendant Mason, qui ne tarde pas à vous rejoindre, vous livrant des explications complémentaires. L’électricité sera rétablie dans moins de vingt quatre heures. Vous devrez dorénavant payer tous les débuts de mois, soit au bureau de Jiangsu Power, soit à la Banque de l’Industrie, ou encore à la Banque de la Construction. Quand vous lui direz que ces deux derniers établissements ont, aujourd’hui même, et consécutivement, refusé votre règlement, il vous répondra qu’il ne sait pas. Le problème est réglé, et c’est une raison bien suffisante pour ne pas chercher à comprendre. Maintenant, vous pouvez sereinement regagner votre appartement de Ling Tang Xin Cun.
Comment êtes-vous venu jusqu’ici ?
- En scooter électrique, allez au paragraphe 60.
- A pieds, marchez jusqu’au paragraphe 61.
59.
Vous ravalez votre colère, et désespéré, dites à Mason d’expliquer au tocard derrière le comptoir que vous venez déjà de l’autre guichet, et qu’on vous a signifié qu’il fallait vous rendre à celui-ci pour effectuer, enfin, votre règlement. L’ado braille auprès du préposé, qui sourie de se faire houspiller avec tant de virulence par un si jeune homme. Mason finira sa gueulante au paragraphe 48.
Faites votre compte de points d’électricité.
- Si votre total ne dépasse pas 0, allez au paragraphe 62.
- Si votre total est au moins égal à un, allez au paragraphe 63.
61.
On vous avait dis que le bureau de Jiangsu Power était tout près, et vous vous rendez compte que la distance, dans l’esprit des chinois, est plus que relative. Vous entamez trois quarts d’heure de marche pour regagner votre appartement. Rendez-vous au paragraphe 64.
62.
Vous retirez l’antivol, le glissez dans la boite à gants, insérez la petite clé de contact, vous asseyez sur l’impressionnant véhicule, et invitez Maison à faire de même. Il s’abandonne à la mollesse de la selle imitation cuir dans un petit bond, posé en amazone. Dès lors que vous démarrez, votre fidèle destrier avance par brèves saccades. Vous vérifiez le niveau de charge de la batterie. Pas de bol : au même titre que votre appartement, Rossinante n’a plus de jus. Et là, il n’y a pas de facture à régler. N’ayant pas d’autre solution, vous pédalez pendant une demie heure… Et arrivez, coulant de sueur, et harassé, au paragraphe 64.
63.
Après avoir enlevé l’antivol, Rossinante repart dans un ronronnement électrique. Mason saute à l’arrière de la selle, et, après dix minutes, vous arrivez au pied de votre immeuble. C’est là que la batterie de votre fidèle destrier rend l’âme. Il va falloir que vous la remontiez dans votre appartement (alors que son poids pourrait rentrer confortablement en compétition avec celui d’une enclume), et que vous la rebranchiez pendant six à huit heures… Dès lors que vous aurez à nouveau le jus chez vous. La portant fébrilement dans des gémissements de porteur d’eau, vous gravissez les marches de la cage d’escalier pour atteindre le paragraphe 64.
64.
Alors que vous tournez la clé dans la serrure de la porte d’entrée en suffocant, Mason tient le crachoir dans un monologue cinéphilique où il vante les DVD que vous lui prêtez à l’accoutumée. Et enfin, après vous avoir filé ce sérieux coup de main, il va pouvoir atteindre l’objectif de son passage : vous emprunter de nouvelles galettes. Comme d’habitude, il vous faudra batailler pour qu’il vous les rende, mais vous lui devez bien ça.
Exténué, ne percevant que des bribes du discours de l’ado, vous agissez comme une machine, attendant le moment salvateur où vous pourrez vous reposer : vous enlevez vos chaussures, déposez vos affaires sur la table, et vous affalez sur votre lit dans un râle libéré. Ainsi vautré, vous indiquez à Mason de choisir les DVD qu’il veut. L’adolescent se précipite sur votre collection qui, au tarif des films pirates en Chine, recense des milliers de titres. Sa sélection terminée, vous vous remerciez réciproquement, et Mason se rapproche de la porte d’entrée.
Ca y est. Vous êtes chez vous. Nous sommes en milieu d’après-midi. Il vous reste une journée et demie. Le courant sera rétabli dans les
vingt-quatre heures, si tout se passe bien. Vous réalisez que vous n’avez toujours pas fais votre toilette, que vous n’avez cessé de courir d’un établissement à un autre depuis tôt le matin… Et
qu’une bonne douche, même à l’eau froide, est indispensable. Vous hissant jusqu’à la salle de bain, vous tournez les robinets frénétiquement, d’abord de la baignoire, puis du lavabo : le
néant. Mason pouffe de rire en vous tendant une facture qu’il a trouvée sur le paillasson : vous n’avez pas réglé à temps, et on vient de vous couper l’eau !
NdA :
Toutes les anecdotes relatées dans cet article sont authentiques. Je n’ai fais que les cumuler le temps du jeu. Par contre, il est important de noter que j’avais rédigé cet article en 2004, à l’époque où je publiais des chroniques au sein de feu l’excellent site Ailleurs Magazine. Je l’ai modifié conséquemment pour y faire apparaître des éléments de mon quotidien inexistants à l’époque, dont Cai Li essentiellement, que je n’ai rencontré qu’un an plus tard. Et comme les choses vont très vite en Chine, je ne serais pas surpris, sans en avoir la certitude, que le système de règlement des factures se soit simplifié en quatre ans. Egoïstement, je ne suis plus confronté au problème, l’abandonnant à Cai Li, qui paye dorénavant les charges à partir du distributeur automatique de sa banque… En deux temps trois mouvements !