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Une vieille envie de vivre

Publié le 03 février 2009 par Tecna
Une vieille envie de vivre

    Que le passé soit toujours présent, qu'il devienne le présent sans cesser d'être lui-même, Paroles rencontre le nouveau livre d'Henri Meschonnic en est la preuve. Une preuve violente, terrible. Comme le fut ce passé qui devient nôtre maintenant : un présent qui brûle. Chaque jour nous le prouve, autour de nous. On croirait ces textes écrits aujourd'hui pour témoigner que la guerre n'a jamais de fin, avec son cortège d'horreurs immenses et minuscules, parce qu'elle nous habite, parce qu'elle ne nous lâche pas : « le visage de la guerre / a pris la forme de mes os ».
    Ces poèmes d'autrefois — de l'enfance et de la peur, de la violence de la guerre d'Algérie — sont ce qu'Henri Meschonnic a peut-être écrit de plus vivant, de plus fort. Ils sont là, mêlés à sa voix d'aujourd'hui comme autant de cris soudain jaillis et qui, en lui, n'avaient jamais cessé de crier en silence : « je rouvre les doigts de mon enfance / sur des yeux couverts de cris / le bonheur a peu de place / le soleil mange des larmes... »
    Le langage de toute cette violence est simple, direct, comme dans tout ce qu'écrit Meschonnic, mais il a une force qui lui vient peut-être d'un indéchiffrable lointain qui, inscrit au plus profond du corps, lui donne son évidence irréfutable :
             je suis pris
             on me mêle
             au silence des murs    
             je n'ai plus que des nuits
             aux mains
             mes mots ont mal
             ma vie se vide

    Cette charge corporelle — ici, comme partout — elle est là au cœur du moindre phonème. C'est une sorte de murmure têtu qui confond indissolublement le moi, ses mains, les murs, le mal — me mêle-murs-mains-mots-mal — et fait du poème un seul bloc douloureux de langage. C'est pourquoi, comme le sujet, on est pris, pétrifié à chaque page et, telle la femme de Loth, brûlé par le sel de ces mots :   « ... l'horreur soude ses cristaux / dans ton regard / les voix dressées / sont le sel / que tu deviens ».
    Tout cela, — « L'exode sur les routes. La vision des corps emmêlés dans les camps d'anéantissement » évoqué dans la préface —, tout cela était resté enfoui et, incompréhensiblement, revient aujourd'hui dans la voix de celui qui parle. Toutes ces visions, ces sensations parfois inconnues, parce qu'elles arrivent à la parole, finissent difficilement par être exorcisées : « on n'a pas trop des sept doigts de la main / pour éclaircir le jour ».
    Alors, oui, cette parole est rencontre — du passé et du présent, de l'enfant et de l'homme, de la nuit et du jour : « l'enfant joue à ressembler au jour / entre les jambes de la nuit ». Et c'est pourquoi, malgré tout, ce petit livre d'obscurité et de mort est un livre de lumière et de vie. Sans doute parce quelque chose, depuis toujours, chez Henri Meschonnic, refuse de se rendre. Un indéracinable désir de vie auquel seul le poème, à travers une image bouleversante de simplicité, sait finalement donner voix :
          
              une vieille envie de vivre
             met son museau dans mes doigts
     


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