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(suite de "terminus!")Le couloir.Aux murs sont plaqués les images pieuses de la vierge improbable et du nudiste cruxifié comme des pubs indécentes pour le grand voyage organisé, option paradis pas marrant. Moïse est là lui aussi, barbu majestueux. Il a les tables de la loi sous le bras et il file les chocottes à tous le monde. Ses sourcils fronçés sur son oeil sévère semble annonçer l'ultime comptabilité. La balance des péchés et des repentances qu'il refilera à son pote St Pierre ou à Cerbère selon les cas et les confessions. Tom progresse parmi les mourants sur les brancards et les sursitaires en déambulateurs. Il y a sans doute parmi eux des héros ou des lâches, des saintes et des catins et, plus surement, des ordinaires. Rien ne transparait dans ce monde courbé, vaincu et fatigué. Sans doute sa trouille le rend- t-elle primaire, binaire, manichéen. Dans une chambre entrou'verte il aperçoit malgré ses oeillères un squelette relié à la vie par le mince fil de la perfusion. Il gratte sa barbe de deux jours, ses joues crissent comme une biscotte que l'on beurre. Un vacarme dans ce silence: Dérangés, les glissements de ces fantômes en déplacement s'interrompent. Il controle par dessus son épaule s'il n'a pas déclenché une crise cardiaque et repart, gêné d'être vivant. Une odeur de soupe, de merde et de javel flotte dans l'air. Les femmes de service ont en permanence des seaux et des serpillères pour chasser les odeurs comme un combat symbolique et inlassable du bien contre le mal. Il a beau s'isoler dans son autisme à vocation salutaire cela ne suffit pas. Il sait qu'elle va, comme tous les jours, éteindre cette télè qui s'allume à "Derrick" et finit à "Questions pour un champion"et confondre les prénoms pour finalement le reconnaître. Pourtant, le long du couloir qui conduit à la chambre de sa mère il ressent une inquiétude étrange et nouvelle. Son esprit mystérieusement opportuniste reconstruit les premières annèes comme un échappatoire. C'était les années de la douce dèpendance celle d'avant la coupure du cordon.A 18 ans, il subissait le pouvoir de son entre-jambe, conduisait sa moto payée avec les job d'été et suivait sa queue comme un chien suit sa truffe faisant fi de l'inquiétude qu'il lui causait autant en partant enthousiaste qu'en revenant meurtri. Elle le soignaitencore et encore. Et lorsque qu'elle s'aperçevait que les griffures ne devait rien à ses chutes à moto mais plutôt aux rencontres avec quelques tigresses, la femme libre s'effaçait devant la mère, un sourire étirait ses lèvres, à la commissure pointait une légère fierté maternelle, une indulgence pour ce gamin qui croyait être un homme alors qu'il n'était qu'un marteau-piqueur. Sa vie progresse à reculons tandis que ses pas le rapproche de sa destination. Au sol, des marquages et des codes couleurs organisent la circulation entre le réfectoire et les chambres, des sanitaires jalonnent comme des cailloux le parcours de ces petits Poucet incontinents. Des lisses où s'agrippent des mains tavelées, ridées longent les murs comme le bastingage d'un navire immobile définitivement à l'ancre. Il accélère le pas et le film de son adolescence impatiente, sans succès, sans excès, disciplinèe, obéissante et boutonneuse. Son angoisse grandit, son enfance se recroqueville sur des odeurs de cannelle et de pains perdus.Il a dix ans. Ce sont aussi les tartines du quatre heures, redoutables: du pain huilé coté croûte et frotté à l'ail autant dire la solitude dans la cour de récré. Les passagers des coursives deviennent des ombres translucides. Il fait un pas de coté pour éviter de traverser ces hologrammes. L'angle du couloir, il tourne, la chambre 112 approche. Une main géante fait des noeuds avec ses entrailles.
Cinq ans. La tête dans les jupons tandis que sur le feu, la cuisiniére "tourne" le riz au lait la gousse de vanille et la fleur d'oranger. Encore quelques mètres.Trois ans, c'est sa main inquiète sur son front brulant, le Vick's et le camphre pique ses yeux.Les premiers années, les toilettes à la lanoline et les senteurs d'amande douce. Quelques fauteuils roulants sont rangés dans un recoin tel un parkinq improvisé. C'est là! C'est l'heure! Il frappe.Lorsqu'il franchi le seuil, c'est un enfant fébrile qui marche à peine:-" Maman, t' es là?"Et, c'est un embryon qui tombe sur le sol. cordon coupé. Définitivement!Elle est là.Mais elle est morte!(à suivre)Nota Bene:......l'idée du couloir, symbolique régression qui ramène vers l'enfance, vient du roman "La Mare au diable". Il faut rendre à Aurore Dupin ce qui lui appartient, son pseudo: George Sand et son idée: Germain, le personnage principal en proie au doute et à l'indécision, tourne en rond et se perd dans la nuit et la forêt autour de cette Mare ensorcelée pour finalement revenir a son point de départ Un couloir de la mort contre une "Mare au diable"