On a beaucoup parlé ces derniers temps en France du rapport Leonetti (un résumé se trouve ici), qui plaide contre "toute légalisation de l’ 'aide active à mourir' ou de 'l’exception d’euthanasie'" et pour "une meilleure application de la loi sur la fin de vie".
Si ce rapport a le grand mérite d'insister sur l'importance du développement des soins palliatifs, il commet (ou semble commettre?) à l'endroit de l'assistance au suicide et de l'euthanasie quelques confusions très répandues. Il offre donc un bon exemple pour les éclaircir.
Confusion N°1: légiférer sur l'euthanasie aurait pour conséquence que l'euthanasie serait pratiquée.
On sait que l'euthanasie est pratiquée tant dans les pays qui l'autorisent que dans ceux qui l'interdisent. En France dans les années 90, plus de 70% des intensivistes questionnés par un confrère admettaient qu'ils avaient parfois "délibérément administré un médicament pour hâter la mort d'un patient chez lequel il n'y avait pas d'espoir de retour à une vie sensée". C'était plus que leur collègues dans 11 autres pays, y compris la Hollande, la Belgique, et la Suisse. Vaut-il mieux légaliser l'euthanasie, donc admettre qu'elle puisse être justifiée, ou l'interdire, au risque de la voir pratiquée dans le silence? Lever cette première confusion ne permet pas de répondre à cette question. Mais le nécessaire souci des conséquences d'un acte législatif exige la clarté sur ce point.
Dans le meilleur des cas pourtant, légiférer sur l'euthanasie et l'assistance au suicide permet d'encadrer ces pratiques. Au passage, il est inexact que le tiers des patients assistés dans leur suicide en Suisse "ne sont pas atteintes d’une maladie grave et incurable". Ces personnes, qui n'étaient effectivement pas atteintes de maladies terminale, étaient atteintes de maladies comprenant entre autres des affections rhumatismales, des syndromes douloureux chroniques, ou encore des paralysies. On peut discuter des qualificatifs de 'grave' qui gardent toujours une part de subjectivité, mais la plupart souffraient bel et bien de maladies incurables, au sens où la médecine ne pouvait les en guérir. Il reste bien sûr possible de débattre de la justification morale de l'assistance au suicide dans de tels cas, mais la question est un peu différente. La Suisse est par ailleurs le pays le plus libéral du monde à l'endroit de l'assistance au suicide. Dans notre pays, l'assistance au suicide est légale (art. 115 Code Pénal Suisse) pour autant que trois conditions soient remplies. La personne qui souhaite mourir doit réaliser elle-même le geste fatal, et doit être capable de discernement. La personne qui accepte de l'assister ne doit pas avoir de motifs égoïstes. Et c'est tout. Si la France souhaitait une législation encadrant davantage la mort assistée, il y aurait donc une marge certaine.
Confusion N°2: autoriser l'euthanasie ou l'assistance au suicide génèrerait un droit opposable à l'obtenir, et donc l'imposition sociale d'un acte qui doit relever de la conscience individuelle.
Le rapport souligne que ce n'est pas à la société d'organiser le suicide assisté. Éviter à tout prix de faire de la mort assistée un droit opposable est un élément crucial. Le pluralisme moral sur ce sujet rendrait inacceptable toute imposition de pratiquer l'assistance au suicide ou l'euthanasie à une personne qui rejetterait ces actes. Mais, malgré certains commentaires, cela ne nous dit rien sur la justification morale d'autoriser ces actes 'entre personnes consentantes'. Tout au plus, cela doit nous rendre attentifs à un autre aspect qui devrait rentrer dans un éventuel cadre légal.
Confusion N°3: développer les soins palliatifs permettrait d'empêcher toutes les demandes de mort assistée.
C'est vrai dans beaucoup de cas. Si les avis sont partagés sur l'étendue de ce beaucoup, il y a par contre un grand consensus sur l'existence de (quelques? trop?) de cas où même des soins palliatifs bien conduits ne permettent pas de contrôler la souffrance suffisamment pour rendre la vie supportable à la personne qui la vit.
Confusion N°4: un environnement où l'euthanasie et le suicide assisté sont illégaux serait plus favorable au développement des soins palliatifs.
L'absence d'opposition entre les soins palliatifs et la mort assistée est un point qui a été souligné en Belgique, et également soulevé en France, dans une tribune où Véronique Fournier (directrice du Centre d'éthique clinique à l'hôpital Cochin, Paris) plaide également pour éviter de réduire la réalité des situations concrètes à des 'schémas simplistes'. C'est en effet cela qui, dans ces débats, est souvent le plus difficile.
Que faire une fois ces confusions levées? Avoir un débat sur des bases plus saines. Vu d'ici, celui sur les conclusions du rapport Leonetti semble largement encore à faire. Et après tout, il faut s'attendre à ce que ces débats durent longtemps et varient à travers les frontières: aucunes conclusions aux questions de la mort assistée ne sauraient être uniformes d'un pays à l'autre. Mais poser un instant ce que l'on a appelé "les oriflammes de la morale" pour aborder des questions difficiles -y compris dans leurs aspects gênants- c'est d'autant plus nécessaire que l'on estime la question importante.