Les citoyens vaudois voteront peut-être sur une initiative visant à généraliser l'accès à l'assistance au suicide aux personnes vivant en établissement médico-social si elles font la demande. L'initiative, lancée par l'association d'aide au suicide EXIT Suisse Romande, a abouti et passera devant le peuple à moins qu'un contre-projet ne satisfasse les initiants. Elle demande l’ajout d’un article 71 bis dans la loi vaudoise sur la santé publique: «Les EMS qui bénéficient de subventions publiques doivent accepter la tenue d’une assistance au suicide dans leur établissement pour leurs résidents qui en font la demande.»
Actuellement, la plupart des EMS acceptent l'assistance au suicide dans leurs murs. Mais certains la refusent. Quels sont les enjeux du débat? A la base, entrer en EMS n'a pas pour conséquence la limitation des droits personnels. Même s'il est toujours triste de voir une personne penser sincèrement que sa vie est trop douloureuse pour pouvoir être poursuivir, vivre en EMS ou non ne devrait donc rien changer au droit-liberté qu'est le suicide assisté en Suisse.
D'autre part, il est inacceptable de contraindre qui que ce soit à participer à l'assistance au suicide si cette personne n'est pas d'accord. La Commission Nationale d'Ethique résume le cas des EMS ainsi:
Institutions de long séjour : Dans la mesure où un résident demande le suicide assisté et qu’il ne dispose pas d’un lieu de vie autre que ladite institution, il devrait pouvoir accomplir son acte en ce lieu, si cela est possible. Il en va autrement d’un établissement entièrement privé qui n’accueillerait que des résidents ayant été informés, lors de leur admission, que le suicide assisté est refusé en son sein. Le personnel des établissements de long séjour ne peut en aucun cas être contraint à participer à un suicide assisté (clause d’objection de conscience).
Il y a donc trois enjeux différents. Les résidents vivant en EMS ne sont pas privés de leurs droits, et en Suisse le droit de demander l'assistance au suicide en fait partie. La liberté des employés des établissements de long séjour de refuser la participation à l'assistance au suicide doit être garantie. Les établissements peuvent refuser l'assistance aux suicides dans leurs murs, mais à condition d'avertir leurs résidents à l'avance, et que ceux-ci aient le choix d'un autre EMS. C'est cette condition qui n'est souvent pas remplie aujourd'hui. D'où, sans doute en partie, l'initiative d'EXIT. Le 'match' entre les résidents et les EMS 'philosophiquement compatibles' est une pure question de chance dans un système à flux tendus où il est fréquent de devoir prendre la place qui se libère, quand elle se libère.
Mais il y a d'autres enjeux, moins explicites. L'assistance au suicide n'est jamais un acte banal, et doit être entouré de critères de diligence, cruciaux sur le plan éthique même s'il ne sont pas tous prévus par la loi. Une part du débat tourne parfois autour des moyens des associations d'aide au suicide à garantir le respect de ces critères.
Alors faut-il que l'état interviennent? L'essence d'un droit-liberté est justement la non-ingérence. On peut donc être gênés à l'idée que l'état réglemente l'assistance au suicide. Il ne s'agirait surtout pas de l'encourager, cette décision devant au minimum être entièrement du ressort de la personne concernée. Mais légiférer c'est aussi parfois la garantie qu'il reste possible d'exercer ce droit. Et c'est surtout parfois l'occasion d'en encadrer l'exercice. Les hôpitaux comme Lausanne, Genève, et Zurich, qui ont accepté, dans certaines circonstances exceptionnelles, l'assistance au suicide dans leurs murs ont assorti cela de conditions sans lesquelles ces exceptions ne sont pas acceptées. Si l'initiative était votée dans le canton de Vaud, les EMS pourraient avoir une occasion similaire. Ils l'auraient encore plus sûrement si c'était inclu dans un contre-projet.
Sur un autre niveau, il serait heureux que cette initiative serve aussi d'occasion pour discuter de la liberté des personnes résidant en EMS de manière plus générale. Même s'il n'est pas surprenant que ces questions cristallisent autour de la 'liberté ultime' qu'est parfois le choix de sa propre mort, il demeure profondément paradoxal d'avoir le droit de demander une potion létale, mais pas de choisir son menu du soir...