Israël a « gagné » la guerre. Bien. N’épiloguons pas plus longtemps sur la définition que tous ces niais donnent au terme « gagner », réduit à son acception militaire, synonyme à peu près parfait « d’écraser sous les bombes », comme si l’issue aurait pu être autre avec une armée parmi les plus puissantes du monde ! Affaire classée, donc, n’en parlons plus, disent-ils. Cette définition nous donne pourtant, en creux, bien plus d’informations sur leur conception des choses qu’ils ne sauraient en exprimer. C’est alors que nous revient en mémoire le ridicule spectacle patriotico-clownesque offert par le Grand Dadais en chef sur son porte-avion en mai 2003, qui a dû combler d’aise les boutonneux habitués à se pâmer devant une purge de Roland Emmerich. Quand, sous la grotesque bannière « Mission Accomplished », George W. Bush bredouillait : « nous l’avons emporté en Irak » ! La suite, on la connaît… Voilà qui nous rappelle aussi cette incomparable lucidité que Dostoïevski place dans la bouche de son homme du sous-sol : « Je le répète, je répète et j’insiste : les hommes spontanés sont justement des hommes spontanés parce qu’ils sont bêtes et limités. Comment j’explique cela ? Très simple : c’est cette limitation qui leur fait prendre les causes les plus immédiates, donc les causes secondaires, pour des causes premières ; ainsi parviennent-ils plus facilement et plus vite que les autres à se convaincre d’avoir trouvé la base indubitable de leur affaire – et ça les tranquillise ; et c’est là l’essentiel. Parce que, pour se mettre à agir, il faut d’abord avoir l’esprit tranquille, il faut qu’il n’y ait plus la moindre place pour les doutes ».
« Cause immédiate », donc : le Hamas est pleinement responsable de cette nouvelle guerre. C’est tout à fait exact. Le mouvement islamiste n’a cessé d’arroser de roquettes le sud d’Israël depuis qu’il a pris le contrôle de Gaza (en massacrant les membres du Fatah, soit dit en passant…). La charte du Mouvement de la Résistance Islamique (nom complet de l’acronyme Hamas) est à cet égard sans ambiguïté : destruction
Le Hamas est donc pleinement responsable de cette nouvelle guerre. C’est tout à fait exact, disions-nous… Mais cela n’en reste pas moins une « cause immédiate », donc une « cause secondaire », prise par les « gens bêtes et limités » pour une « cause première ». Et les gens « bêtes et limités » ne manquent pas dans le cortège médiatique et sur la blogosphère. Ce sont les mêmes qui fanfaronnent : « Israël a gagné la guerre ». Quelques remarques à ce sujet. L’offensive de Tsahal a coûté la vie à plus de 1300 Palestiniens en trois semaines ; parmi eux, 800 militants du Hamas, selon la propagande des armées, 300, selon la propagande islamiste. Tablons donc sur environ 600 membres du Hamas partis rejoindre leurs 72 houris. Ce qui nous donne environ 45% des victimes. Alors que la population de la Bande de Gaza est estimée à plus d’un million de personnes, et que la densité y est parmi la plus élevée au monde, il est donc clair que Tsahal n’a pas mené une guerre « contre les civils » comme se plaisent à le marteler les éternels bouffeurs de Juifs. Mais ce qui doit nous intéresser est ailleurs : dans l’efficacité. Autrement dit : cette guerre a-t-elle servi à quelque chose (mis à part, bien entendu, à redorer le blason martial d’une équipe gouvernementale sur le départ avant une échéance législative plus que délicate pour Kadima…) ? Qu’on en juge : 600 membres du Hamas ont été tués, donc ; or, on estime à 15000 le nombre de militants islamistes. Soit trois semaines de pilonnage intensif, de destructions de bâtiments publics, d’écoles, d’infrastructures civiles pour… 4% des effectifs du Hamas envoyés ad patres ! 96% des militants du Hamas se portent donc bien, merci pour eux ! C’est ce que les demeurés appellent « gagner la guerre » ! Si l’on suit, en outre, le théorème selon lequel une guerre collective, menée par un ennemi honni, contre un territoire dominé par un prototype de parti totalitaire abreuvant matin et soir sa population de propagande, se solde toujours par un résultat opposé à celui escompté, alors on peut être certain que les quelques membres du Hamas éliminés seront bien vite remplacés… Déjà, le Hamas crie victoire et son peuple crie vengeance. Par ailleurs, à contre-courant des déclarations lénifiantes des armées, le chef de la sécurité intérieure (Shin Beth) Youval Diskin a déclaré le 19 janvier dernier : « Le Hamas va réussir à reconstruire en quelques mois les tunnels de contrebande détruits en 22 jours de guerre par l’armée israélienne, et recommencer à faire transiter les armes. L’opération n’a pas porté un coup irréversible à la construction des tunnels en dépit des coups durs que les infrastructures du Hamas ont encaissés ».
Fantastique. Voilà
donc, une fois de plus, une guerre menée par un Etat hébreu totalement à côté de la plaque, comme une répétition désastreuse de l’offensive de l’été 2006 au Liban contre le
Hezbollah. Déjà, à l’époque, des cuistres beuglaient « Israël a gagné la guerre ».
Résultat ? Le Hezbollah, censé être visé, a réuni autour de son nom une société libanaise radicalisée et mène désormais la danse au Pays du Cèdre. Bravo encore, Tsahal ! Et voilà que
les mêmes gens « bêtes et limités » nous resservent aujourd’hui les mêmes inepties à propos du Hamas ! Si ces gens « bêtes et limités » se trompent avec autant de
régularité, persévèrent à ne tirer aucune leçon des erreurs du passé, et continuent à communier dans la même autosatisfaction béate, c’est qu’ils s’entêtent à prendre les « causes
immédiates » pour des « causes premières ». C’est même l’une des spécialités d’Israël : affaiblir l’interlocuteur d’aujourd’hui en mettant sur orbite son ennemi de demain, qui
deviendra un jour l’interlocuteur privilégié contre lequel on favorisera un nouvel ennemi et ainsi de suite et ainsi de suite. Avantage de tout cela ? Ne jamais avoir à octroyer un Etat aux
Palestiniens, et gagner du temps. On s’appliquera donc à continuer à morceler le territoire cisjordanien de colonies pour rendre impossible un futur Etat
viable… Et l’ennemi d’en face étant de plus en plus radicalisé, c’est une aubaine pour
justifier auprès d’une opinion publique inquiète et amnésique le refus de céder un pouce de territoire à ces fanatiques.
Laissons, pour finir, la parole à notre collaborateur, l’humoriste et chroniqueur Frédérick Sigrist, dont la maxime favorite est plus que jamais nécessaire : « rions de tout, rien n’est sérieux ».
Un ange passe… Cette expression vous parle, non ? Une si jolie image pour une situation bien souvent embarrassante. Dans mon champ d’expertise, on appelle cela un bide ! Et un bide, je m’en suis payé un beau hier après-midi dans ma vie civile et non sur scène, Zeus merci ! Cela s’est produit dans ma boutique de comics, lieu où habituellement je suis à l’abri des aléas que la vie met sur mon chemin. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, merci Pangloss, quand soudain ! Et là je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, et aussi ne l’innocentons pas, à ma volubilité insoumise (ma grande gueule quoi !), j’ai parlé du conflit israélo-palestinien… Oui, je sais, a posteriori, ça n’était pas une bonne idée !
Avant d’aller plus loin, j’aimerais vous parler plus à fond de ce corps de métier souvent méconnu : les humoristes. Sachez le, nous autres comiques, sommes profondément cyniques ! Quoique l’on en dise, il n’y a pas grand-chose de sacré à nos yeux. Nous serions prêts à sacrifier nos proches sur l’autel de la gaudriole ! Tout pour un bon mot, une bonne vanne ! Et voyez-vous, dans ce métier, nous avons notre Graal à nous ! Le sujet magique, promesse de toutes les félicités… Preuve indéniable et incontestable de notre talent. Et ce sujet, vous l’avez deviné, c’est le conflit israélo-palestinien !
C’est ZE sujet !
On rêve tous de sortir LA vanne sur ce thème si épineux, qui fera rire tout le monde, sans distinction de religion, de genre, de nationalité ou de condition sociale. C’est notre quête à nous, les bouffons ! Mais généralement, 9 fois sur 10, comme dans Indiana Jones et la dernière croisade, on se goure de coupe et on boit jusqu’à la lie le poison du mauvais goût, face à un public consterné devant tant d’indécence ! Et c’est précisément ce qui m’est arrivé hier, à la caisse de mon dealer de BD préféré.
Je ne suis ni pro, ni anti-israélien, et je n’ai pas plus de sympathie pour la cause palestinienne, à vrai dire tout ce qui se passe dans ce pays depuis des décennies me dépasse joyeusement. Donc si tout ça n’a pas de sens, mieux vaut en rire… Mais ça ne se passe pas ainsi dans le monde réel, à peine ai-je tenté d’aborder le sujet sous l’angle de la dérision, que je suis tombé face à l’inénarrable visage de la bonne conscience occidentale !
« On ne peut pas rire avec ça, c’est trop… C’est trop… (Silence troublant, lèvres pincées, yeux embués de larme, gorge serrée comme si on allait régurgiter un sac de 10 kilos de patate, mains sur le cœur, bref la totale !). Et puis tous ces enfants qui meurent… ».
Les enfants qui meurent… Dès que l’on veut illustrer l’atrocité de tel ou tel conflit, on dégaine les enfants qui meurent ! Alors excusez-moi, mais mourir passé 18 ans n’est pas moins grave… Qu’on soit adulte, homme, femme, vieillard, jeune, blanc, noir, on n’est pas plus résistant à une bombe qui nous tombe sur la gueule ! C’est d’ailleurs la seule qualité d’une bombe ou d’une roquette, c’est qu’on peut rarement l’accuser de discrimination ! Bref, tais-toi Frédérick, tu nous fait honte ! Faut pas parler de ça dans tes spectacles, c’est pas drôle… Tu vois bien comment ça se passe pour Dieudonné ! Car si Israël/Palestine est notre Graal à nous, les comiques ; Dieudonné, c’est notre Dark Vador à nous ! Le plus grand des Jedi comiques qui, corrompu par la Force, est passé du côté obscur. Aveuglé qu’il a été et est toujours par sa quête du Graal : Rire de Tout ! C’est dingue, mais en quelques années ce type est devenu le croquemitaine de la profession, la figure dont on menace les humoristes s’aventurant trop loin sur le sentier de l’humour noir. Vous parlez d’une carrière mouvementée…
Alors quelle leçon dois-je tirer de cette anecdote ? Dois-je éviter les sujets tabous, au risque de heurter ? Dois-je être plus divertissant ? Plus « casual », comme disent les Américains ?
Vastes questions, cependant je suis convaincu qu’il n’est pas de mauvais sujets, ou de sujets dangereux, il n’est que de mauvais auteur. Une bonne vanne ne souffre aucun jugement, elle est bonne… Et c’est tout !
Et si hier j’ai eu droit à Mère Conscience, c’est que je n’ai juste pas été assez bon…
Allez, je retourne travailler !
EN SAVOIR PLUS : DOSSIER ISRAËL ET EXTRÊME DROITE DOSSIER TERREUR ET MARTYRE