L’american way of life comme un iceberg…

Publié le 25 janvier 2009 par Boustoune


Dix ans après Titanic, Sam Mendes reconstitue le couple Kate Winslet/Leonardo DiCaprio et, dans Les Noces rebelles,  parle, lui aussi, d’un naufrage. Pas celui d’un paquebot luxueux et gigantesque, non, mais celui d’un couple d’américains moyen pendant les années 1950.

Vu de l’extérieur, Franck et April Wheeler ont tout du couple modèle. Jeunes, beaux, amoureux, aimables et disponibles pour le voisinage, pleins d’espoir en l’avenir. Mais les apparences sont parfois trompeuses et les façades immaculées des charmants pavillons de banlieue abritent souvent, au cinéma, une réalité beaucoup moins rutilante, faite de frustrations, de rêves brisés, d’amours morts à petit feu. Quand ils se sont installés sur Revolutionary road (titre original du film), les Wheeler s’étaient jurés de ne pas ressembler à leurs voisins, de ne pas se conformer à cette image figée des banlieues américaines, tellement représentative de l’american way of life. Non, pas eux… Ils étaient différents, ambitieux, pleins de rêves de gloire et de grandeur, pleins d’envies de voyages, de découvertes… Elle se voyait actrice, il s’imaginait bien exercer un emploi passionnant… Quelques années plus tard, ils sont devenus exactement ce qu’ils ne voulaient pas : lui, englué dans un emploi qu’il déteste, dans la même société que son défunt père, sans perspective d’avenir ; elle, femme au foyer, avec deux enfants à charge, obligée de faire une croix sur sa carrière de comédienne et de supporter les sourires mielleux de ses voisines envahissantes…

Le couple commence alors à se désagréger. A passer ses journées dans la solitude de la prison dorée que constitue le domicile familial, April déprime de plus en plus et en vient à blâmer Franck qui l’a enfermée dans ce piège et surtout qui ne fait rien pour l’en sortir. Il réplique en se montrant odieux et lâche, préférant se réfugier dans des aventures sans lendemain avec des secrétaires trop naïves. Pour sauver son couple et redonner un sens à sa vie, April propose à Franck de tout plaquer et de partir pour Paris. Là-bas, c’est elle qui travaillerait, afin de lui laisser le temps de trouver un emploi dans lequel il s’épanouirait. Il accepte, malgré les réactions interloquées de leur entourage, qui jugent le projet complètement absurde et immature. Mais l’euphorie provoquée par cette perspective ne dure qu’un temps. Il n’est pas évident de quitter ce petit confort et de tout plaquer sur un coup de tête, surtout quand d’autres bouleversements se profilent à l’horizon…

« Il faut du courage pour vivre la vie que l’on souhaite réellement » assène April à Franck. Mais du courage, en a-t-il jamais eu ? Elle est tombée amoureuse d’un jeune homme qui parlait de « vraiment ressentir les choses », de voyager, de retourner à Paris, « un endroit plein de vie », soit tout le contraire de cette société américaine figée dans le conformisme petit-bourgeois. Et depuis, rien, juste une plongée de plus en plus profonde dans les eaux de la médiocrité. Pourtant, on sent qu’au fond de lui, le jeune homme voudrait pouvoir s’extirper de la monotonie oppressante de cette vie déjà toute tracée. Il faut voir la décontraction qu’il affiche quand il s’apprête à quitter cet emploi, à dire adieux à son imbécile de patron, à ses collègues trop gris. Suprême ironie, c’est grâce à ce sentiment de supériorité, ce moral regonflé à bloc, qu’il va être plus performant dans son travail qu’il ne l’a jamais été, s’ouvrant la voie d’une promotion qui va remettre en cause tous les beaux projets d’April. Il n’est pas le seul à être attiré par une vie aventureuse, loin de la banalité du quotidien. Tout son entourage en rêve, secrètement ou inconsciemment. Leur amie Milly, par exemple, qui, après avoir appris les velléités de départ du couple, se met à pleurer sans raison. Peut-être parce qu’elle aimerait avoir ce cran de tout reconstruire, ou peut-être parce qu’elle pressent que son propre couple n’est pas aussi épanoui qu’il le devrait…

Mais voilà, tous s’abandonnent aux conventions sociales, à la facilité de règles établies – par qui d’ailleurs ?, demande April… Il est nécessaire de se ranger, de s’élever socialement, d’avoir une belle voiture, une belle maison, de fonder une famille et d’assurer son train de vie. Et, dans l’Amérique des années 1950, c’est à l’homme d’assumer ce rôle. Ce qui choque l’entourage du couple, c’est moins le déménagement du couple que la perspective de voir April assumer seule les revenus de la famille. Selon les conventions, sa place est au foyer, à assumer les tâches ménagères et l’éducation des enfants.

A noter que, dans cette histoire, ces derniers semblent curieusement absents. Dans n’importe quel film, ils seraient au cœur des priorités, partie intégrante du scénario. Mais ici, Sam Mendes se focalise sur ce couple, sur leur passion dévorante qui a finit par s’épuiser, sur les promesses non-tenues d’un amour qui s’asphyxie lentement. Les deux enfants ne sont que des éléments ajoutés au couple, sans enjeu. Pire, ils symbolisent les entraves de ce couple, ce qui les force à rester dans cet endroit qu’ils haïssent, pour y vivre ces vies qu’ils exècrent. April n’a pas désiré ses enfants, ne les a conçus que pour essayer de justifier un amour allant vers une impasse, pour cimenter son couple à la dérive…

Car le bonheur des Wheeler n’est qu’une gigantesque mascarade. April et Franck tentent tant bien que mal de sauver les apparences, de recoller ce qui peut encore l’être, alors qu’ils ne sont plus sur la même longueur d’onde depuis longtemps. Un seul homme va les percer à jour et leur balancer à la figure l’étendue de leur hypocrisie : le fils des voisins, un ancien mathématicien interné pour dépression - ou simplement parce qu’il est jugé trop différent, trop rebelle, par les siens ? Là encore, l’ironie est cruelle. En cherchant à bousculer les Wheeler, à les forcer à réagir, il ne va réussir qu’à accélérer l’explosion de leur couple, confortant Franck dans l’idée que les rêves d’April, ses envies d’ailleurs, ne sont que des manifestations de folie et faisant réfléchir la jeune femme sur l’absurdité de son mariage.

Le constat est d’un cynisme rare pour un film hollywoodien, mais loin d’être inhabituel chez Sam Mendes, qui a signé des œuvres iconoclastes comme Jarhead ou, sur le même thème, American beauty. Sauf qu’ici, le cinéaste a troqué la satire mordante et cruelle contre un drame oppressant et tout aussi cruel. Pas un de ces mélodrames à l’émotion facile qui fleurissent sur nos écrans, non. Un drame épuré, d’une sobriété exemplaire, où les silences valent plus que les mots.
Mendes respecte l’oeuvre originale dont il s’inspire, un roman de Richard Yates unanimement célébré (1), en en restituant toute l’amertume, toute la férocité.
Il a aussi l’intelligence de s’appuyer sur ses acteurs, tous très bons. Bien que son physique d’éternel adolescent ne colle pas vraiment à ce rôle d’homme mûr, DiCaprio réussit à rendre son personnage crédible et à restituer toute l’amertume du personnage, qui se déteste de n’avoir pas su réaliser ses rêves. Il lui apporte une densité et une intériorité rares. Kate Winslet, elle, est tout simplement époustouflante. Devant la caméra de son mari à la ville, elle livre la plus bouleversante prestation de sa carrière, avec une subtilité de jeu qui est l’apanage des plus grandes actrices. Elle mériterait bien de remporter l’Oscar lors de la cérémonie du 22 février prochain. (2).

Enfin, la mise en scène, précise et fine de Sam Mendès mérite d’être saluée. Le cinéaste a composé son film comme des tableaux d’Edward Hopper, ce peintre américain réaliste dont les toiles laissaient percer une certaine mélancolie (3). Certaines scènes sont absolument magnifiques, avec en point d’orgue la scène finale de Kate Winslet, magistrale.
Classique formellement, mais intelligent et atypique sur le fond, Les noces rebelles est selon moi, vous l’aurez compris, l’un des meilleurs films de ce début d’année.


Note :
(1) : « La fenêtre panoramique » de Richard Yates – Ed. Robert Laffont – 532 p
(2) En fait, Kate Winslet n’est pas nommée pour ce film, mais pour The reader de Stephen Daldry. Autant dire que j’ai encore plus hâte de le découvrir, ce film-là…
(3) J’ai déjà parlé de ce peintre, dont l’œuvre a inspiré bien des cinéastes, comme Clint Eastwood, par exemple. Vous pourrez avoir un aperçu de ses toiles en cliquant sur ce lien : Edward Hopper

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