La perle française des caraïbes fait le gros dos. Loin d’une simple saute d’humeur, l’actuel mouvement social est le fruit d’un profond mécontentement. C’est d’abord un véritable mouvement populaire, venu d’en bas. Une quarantaine d’organisations syndicales, associations culturelles et quelques partis politiques regroupées dans le collectif “Liyannaj kont pwofitasyon” (LKP), une dénomination au titre évocateur : “Debout contre les profiteurs”.
Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la question des produits pétroliers. La populationn’a pas supporté de voir s’envoler les prix lors de la hausse mondiale des cours mais pas le prix à la pompe baisser lorsque la tendance s’est inversée. Conscients du malaise grandissant les pouvoirs publics ont alors décidé en décembre de financer eux-mêmes la baisse du prix des carburants, sans que la raffinerie locale ne voie ses marges diminuer. Une “astuce” peu appréciée, symptomatique d’un système généralisé à de nombreuses matières premières avec au final, un coût de la vie beaucoup plus élevé qu’en métropole alors qu’une grande partie de la population est en situation précaire.
Comme l’explique Patrice Ganot de la Confédération des Travailleurs Unis, membre du collectif, dans les colonnes du JDD “la situation en Guadeloupe est très particulière, du fait de son éloignement, d’un taux de chômage plus élevé qu’en métropole, du coût exorbitant des produits de consommation courante, beaucoup plus chers qu’en France, etc. D’ailleurs les fonctionnaires français en poste en Guadeloupe bénéficient d’une prime pour compenser ce coût de la vie, tandis que les travailleurs guadeloupéens doivent se débrouiller avec des salaires très bas“.
Le LKP recense pas moins de 120 revendications notamment, une baisse du prix des produits de première nécessité, une baisse des impôts, des taxes et du prix des carburants, le gel des loyers ainsi qu’une augmentation des salaires et des minimas sociaux de 200 euros.
Là encore, il s’agit d’une grève qui se voit. De nombreuses administrations sont perturbées, pratiquement toutes les écoles de la Guadeloupe sont fermées, et surtout les stations services ne servent plus d’essence, les gérants de ces stations étant partie prenante du mouvement.
L’essence, nerf de la guerre sans laquelle rien n’est possible. La circulation sur l’île est devenue problématique. Les insulaires sont les premiers touchés mais les touristes également, contraints à ne pouvoir s’éloigner de leurs hôtels.
Face à un mouvement de telle ampleur, on pourrait craindre que sous le soleil les esprits ne s’échauffent. Et pourtant rien, ou presque. Seulement quelques débordements en marge du mouvement. Mais ce calme est trompeur. Le slogan créole omniprésent est suffisamment parlant. “La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo, yo péké fè sa yo vlé an péyi an nou” (”La Guadeloupe nous appartient, elle ne leur appartient pas, ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays”). Pointés du doigt les descendants de colons qui contrôlent l’essentiel du commerce et se font des marges astronomiques, mais aussi les métropolitains qui occupent les postes à responsabilité, les mieux payés, suspectés de laisser les emplois subalternes aux personnes de couleur.
A l’initiative du Préfet, des négociations ont débuté le 26 janvier réunissant les services de l’Etat, les exécutifs et représentants locaux, les chambres consulaires, les organisations patronales, et le LKP. Les discussions ont été ressenties comme constructives mais, il est apparu que l’extrême dépendance de la manne publique nécessitait un accord au niveau du gouvernement.
Le 28 janvier, le Préfet rendait public une déclaration du Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer, jugée comme non satisfaisante en terme de réponse aux attentes de la population. Signe que l’Etat n’entendait pas aller plus en avant, le Préfet dans la foulée, annonçait son retrait de la table des négociations. Une décision pas vraiment du goût des élus locaux qui à la quasi unanimité ont apporté leur soutien au vaste mouvement social et annoncé la fermeture de leurs administrations publiques le 29 janvier, jour de grève générale nationale.
Le 31 janvier, les présidents du Conseil régional et du Conseil général annonçaient au cours d’une conférence de presse, en quatorze points, les propositions formulées par ces deux collectivités (plan d’investissement, baisse ciblée de la taxe sur les produits importés et les produits locaux, réduction des tarifs des cantines scolaires, hausse des bourses régionales pour les étudiants, taux zéro sur la taxe régionale sur le gazole, baisse significative des taxes sur les produits de première nécessité…). Pour autant, ce plan des deux collectivités était conditionné à un geste fort de l’Etat pour répondre aux revendications des grévistes. Même sentiment du côté du LKP où si l’on se félicitait du plan des deux collectivités, on estimait que la situation ne pouvait être débloquée que si l’Etat revenait à la table des négociations et mettait la main à la poche.
Attendu comme le messie,Yves Jégo, est finalement arrivé en Guadeloupe le dimanche 1er février “pour une durée indéterminée”. Dés lundi, le déblocage des stations essence a été entériné. En revanche, malgré l’annonce du versement d’une prime de 200 euros pour soixante mille foyers à bas revenus à partir d’avril, le gel des loyers, ou la mise en oeuvre du RSA dès 2009, au lieu de 2010, le LKP a fait part de la poursuite du mouvement qui entre aujourd’hui dans sa troisième semaine. L’incendie pourrait s’étendre à la Martinique où plusieurs organisations syndicales appellent à leur tour à une grève générale à partir de jeudi. On est donc loin des déclarations rassurantes d’Yves Jego qui assure une fin du mouvement dans les 48 heures.