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Interview de Marc Touati

Publié le 03 février 2009 par Sia Conseil

Depuis le 1er janvier 2008, Marc Touati a rejoint Global Equities en tant que Directeur général délégué et directeur des études économiques.

Est-ce que l’Europe a véritablement joué un rôle de rempart et l’euro de stabilisateur dans la crise économique actuelle ?
Marc Touati : Sans l’euro la situation aurait été pire car il a créé un havre de protection pour les pays membres. Le bilan est tout de même très mitigé du fait du manque de dynamisme de la croissance depuis sa création.

En effet, en l’absence de monnaie unique nous aurions vraisemblablement dû faire face à des spéculations contre le franc, ce qui aurait conduit à une réaction en chaîne : la Banque de France aurait remonté les taux d’intérêts, impliquant une baisse de la croissance, tandis que les taux longs auraient augmenté générant une récession encore plus grave et limitant ainsi la marge de manœuvre de l’Etat.

Cependant, le constat de base, hors crise, est plutôt négatif car l’euro n’a pas réussi à générer une croissance forte. En effet, de 2002 à 2007, la croissance annuelle moyenne de la zone euro a été de 1,5% (1,3% pour la France) et l’on peut dire que l’Europe était en récession dès le printemps 2008. Globalement, nous avons oublié que la zone euro n’est qu’une étape car elle ne constitue pas encore une « zone monétaire optimale ». Nous pouvons ainsi noter l’absence de mobilité parfaite des personnes et des capitaux, d’harmonisation des conditions fiscales et réglementaires et enfin de politique budgétaire européenne. 

Cette crise transformera certainement en profondeur l’industrie bancaire et financière. Quelle est votre vision relative aux nouveaux modes d’organisation qui pourraient émerger ?
MT : Selon l’économiste allemand Karl Marx, le capitalisme produit ses propres crises, mais il avait omis de mentionner que le capitalisme produit aussi ses propres anticorps. Cette crise a fait prendre conscience des abus que cette industrie a pu commettre en termes de création de produits financiers et qui maintenaient l’illusion que l’on pouvait, grâce à l’utilisation de modèles mathématiques sophistiqués, à la fois offrir des rendements élevés avec des risques faibles pour l’investisseur. Cette crise rappelle aux opérateurs les principes de base de la finance…

Les banques devraient ainsi se réorienter vers leur métier initial de transformation : le crédit aux entreprises et à l’économie. Par le passé, la mathématisation des marchés financiers a permis de dégager des taux de rentabilité démesurés avec des ROE de 40 à 45 % pour les activités de marché face aux activités de la banque de détail qui réalisaient des ROE d’environ 10%. Aujourd’hui cette activité de banque de détail est indispensable. 

Cette situation ne consacre-t-elle pas le modèle de banque universelle à la française ?
MT : En effet, ce modèle de banque universelle « rationnelle » est aujourd’hui consacré. Sans la banque de détail en France il y aurait eu inévitablement de nombreuses faillites. D’ailleurs, aux Etats-Unis toutes les banques sont maintenant adossées à des banques de détail.

Le modèle de banque généraliste nous a protégé mais d’un point de vue déontologique cela est « discutable » de voir que les dérapages des activités de marché sont en quelques sortes supportés par les clients de la banque de détail. 

En comparaison avec les Etats-Unis, la réglementation bancaire et financière européenne semble être relativement performante et complète. Selon vous, quelles seraient néanmoins les évolutions à apporter ?
MT : Une des principales erreurs lors de cette crise financière a été l’excès de réglementation sur l’activité bancaire classique, mais la sous-réglementation sur l’activité financière non-traditionnelle (hedge funds, hors bilan…). Aujourd’hui, la crise ne concerne pas les banques de détail ou de réseaux mais les banques d’affaires qui n’étaient pas réglementées et dont le risque n’était plus maîtrisé. 

Afin de faire face à cette crise, les banques vont faire du rationnement de crédit qui est à opposer au phénomène de « crédit crunch » qui veut que l’on réduise fortement tous les crédits y compris les crédits valables. D’après moi, elles ne couperont pas l’accès aux crédits mais se focaliseront davantage sur les projets les plus viables car si les banques se désengagent des activités de marché et qu’elles arrêtent en même temps le crédit classique, c’est une grande partie de leurs revenus qui disparaît.

Le gouvernement a laissé Lehman Brothers faire faillite. Selon vous, est-ce justifiable ?
MT : Le gouvernement américain a souhaité faire un exemple, mais a omis de sécuriser le périmètre c’est-à-dire de s’assurer que la faillite de la quatrième banque d’affaire Américaine n’occasionnerait pas de conséquences collatérales. Ce choix restera une erreur historique, car pour avoir refusé de consentir quelques milliards de dollars, cela a conduit à une crise mondiale nécessitant des plans de relance de plusieurs centaines de milliards de dollars. Sans cette faillite il est clair que nous n’aurions pas connu une crise de confiance aussi forte.

De nombreux économistes ont régulièrement indiqué que le plus gros de la crise était derrière nous et pourtant le contexte ne cesse de se détériorer de jour en jour. Peut-on véritablement dire aujourd’hui que le plus dur est derrière nous ?
MT : Cela dépend des domaines. D’un point de vue des marchés et de l’activité bancaire, je pense que le plus dur est derrière nous. Les mois de janvier et février peuvent néanmoins rester difficiles du fait de la volatilité des marchés. 

D’un point de vue économique cela est différent : nous sommes actuellement en train de vivre le « plus dur » comme le montrent les plans de licenciement qui ont déjà commencé aux Etats-Unis et qui débutent en France. A mon avis, cette situation perdurera pendant encore environ 6 mois.

Les différentes relances comme la baisse des taux d’intérêt, les plans relatifs aux banques, la baisse du baril et la baisse de l’euro vont jouer très fortement sur l’activité à horizon du printemps-été pour les américains et vers l’automne en Europe. N’oublions pas que nous sommes en récession depuis le printemps dernier et que si celle-ci perdure jusqu’à l’été 2009, cela aura été la plus grave récession jamais enregistrée en Europe ! 

Dans le contexte actuel, est-ce raisonnable de maintenir des objectifs ambitieux en termes de développement durable alors que nombre d’entreprises luttent pour leur survie ?
MT : Cela est indispensable. Nos sociétés se transforment par révolution technologique depuis le XVIIème siècle : précédemment, ce fut les NTIC, aujourd’hui ce sont les « NTE » (Nouvelles Technologies de l’Energie). Il faut continuer à développer l’activité en ce sens car cela permettra d’augmenter la croissance structurelle. Evidemment, aujourd’hui cela n’a pas de sens parce que tout n’est pas encore crédible, mais à moyen terme cela le deviendra. 

Mais, le « Green Business » ne constituera-t-il pas la prochaine bulle spéculative ?
MT : Oui, on ne peut pas l’exclure. Comme dans toute révolution technologique il y a les aspects positifs (la croissance, l’investissement, l’emploi) et les aspects négatifs (la mauvaise valorisation dans un premier temps). C’est par la suite que l’on revient vers des modèles de valorisation plus normaux. De toute façon, il faut comprendre que les bulles s’enchaînent les unes aux autres depuis des années.

Par exemple, ne faut-il pas encore durcir le protocole de Kyoto pour aller plus vite dans la réduction des gaz à effet de serre ?
Le véritable enjeu est économique et non pas écologique. Par exemple, le secteur automobile souffre à cause du problème du baril, du pouvoir d’achat, des taux d’intérêts, mais les constructeurs automobiles n’ont malheureusement pas suffisamment joué cette révolution technologique. L’hydrogène et l’électrique existent depuis 20 ans. Ce n’est plus un enjeu écologique, mais c’est un enjeu stratégique afin de créer de nouveaux besoins et de nouveaux comportements.

Cela nécessite bien évidemment des contraintes. Mais, il aura fallu attendre d’être « au pied du mur » pour développer sérieusement ces technologies. Que de temps perdu !…

PARCOURS

Titulaire d’un DEA Monnaie, Finance, Banque de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, Marc Touati a travaillé au sein du département des études économiques des Banques Populaires de 1995 à 1997 avant de devenir directeur de la recherche économique et financière des groupes Banques Populaires et Natixis de 1997 à 2007. Depuis le 1er janvier 2008, Marc Touati a rejoint Global Equities en tant que Directeur général délégué et directeur des études économiques.

GLOBAL EQUITIES  

Secteur d’activité : Entreprise d’investissement financier agréée par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement

Date de création : 1990

Chiffre d’affaires 2007 : ~ 21 M€

Effectif : 70 personnes

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