suite du texte de Catherine Emmerich
« Il en vit une infinité d'autres qui n'osaient pas le renier hautement, mais qui s'éloignaient avec dégoût des
plaies de son Eglise, comme le lévite s'éloigna du pauvre assassiné par les voleurs... Il vit tous ces hommes tantôt séparés de la vraie vigne et couchés parmi les raisins sauvages, tantôt comme
des troupeaux égarés, livrés en proie aux loups, conduits par des mercenaires dans de mauvais pâturages, et refusant d'entrer dans le bercail du bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Ils
erraient sans patrie dans le désert au milieu des sables agités par les vents, et ils ne voulaient pas voir... son Eglise bâtie sur le roc auprès de laquelle Il a promis d'être jusqu'à la fin des
siècles et contre laquelle les portes de l'enfer ne doivent pas prévaloir...
« Je voyais ces tableaux innombrables de l'ingratitude des hommes et de l'abus fait de la mort
expiatoire de mon fiancé céleste, passer alternativement sous des formes diverses ou douloureusement semblables devant l'âme contristée, du Seigneur, et j'y voyais figurer Satan, qui arrachait
violemment à Jésus et étranglait une multitude d'hommes rachetés par son sang, et même ayant reçu l'onction de son Sacrement. Le Sauveur vit avec une douleur amère toute l'ingratitude, toute la
corruption des premiers chrétiens, de ceux qui vinrent ensuite, de ceux du temps présent et de ceux de l'avenir. Toutes ces apparitions, pendant lesquelles la voix du tentateur répétait sans
cesse : " Veux-tu donc souffrir pour de pareils ingrats? " fondaient sur Jésus avec tant d'impétuosité et de fureur, qu'une angoisse indicible opprimait son humanité. Le Christ, le Fils de
l'homme, luttait et joignait les mains, il tombait, comme accablé, sur ses genoux, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, et sa volonté humaine livrait un si terrible combat contre la répugnance à
tant souffrir pour une race si ingrate, que la sueur en larges gouttes de sang coulait de son corps jusqu'à terre. Dans sa détresse, il regardait autour de lui comme cherchant du secours, et
semblait prendre le ciel, la terre et les astres du firmament à témoin de ses souffrances. Il me semblait l'entendre crier : " Est-il possible de supporter une telle ingratitude? Je vous
prends à témoin de ce que j'endure ! "
« Jésus, dans sa détresse, éleva la voix, et fit entendre quelques cris douloureux. Les trois
Apôtres se réveillèrent; ils prêtèrent l'oreille, levant les mains avec effroi, et voulaient aller le rejoindre; mais Pierre retint Jacques et Jean, et leur dit : "Restez, je vais aller vers lui.
" Je le vis courir et entrer dans la grotte..." Maître, dit-il, qu'avez-vous? " Et il se tenait là, tremblant à la vue de Jésus tout sanglant et frappé de terreur. Jésus ne lui répondit pas et ne
parut pas faire attention à lui. Pierre revint vers les deux autres; Il leur dit que le Seigneur ne lui avait pas répondu, et qu'il ne faisait que gémir et soupirer. Leur tristesse augmenta, ils
voilèrent leur tète, s'assirent et prièrent en pleurant.
« Je retournai vers mon céleste fiancé dans sa douloureuse agonie. Les images hideuses de
l'ingratitude des hommes futurs dont il prenait sur lui la dette envers la justice divine, roulaient vers lui toujours plus terribles et plus Impétueuses, et il continuait à lutter contre la
répugnance de la nature humaine à souffrir. Plusieurs fois, je l'entendis s'écrier : " Mon Père, est-il possible de souffrir pour tous ces ingrats? O mon Père, si ce calice ne peut
pas s'éloigner de moi, que votre volonté soit faite ! "
« Au milieu de toutes ces apparitions, je voyais Satan se mouvoir sous diverses formes
hideuses, qui se rapportaient aux diverses espèces de péchés. Tantôt Il apparaissait comme un grand homme noir, tantôt sous la figure d'un tigre, tantôt sous celles d'un renard, d'un loup, d'un
dragon, d'un serpent. Ce n'était pas la forme même de ces animaux, mais seulement le trait saillant de leur nature, mêlé avec d'autres formes hideuses. Il n'y avait là rien de semblable à une
créature complète, c'était seulement des symboles d'abomination, de discorde, de contradiction, de péché, enfin des formes du démon.
« Ces figures diaboliques poussaient, entraînaient, déchiraient aux yeux de Jésus des
multitudes d'hommes, pour la rédemption desquels il entrait dans le douloureux chemin de la Croix. Au commencement, je vis plus rarement le serpent, mais ensuite je le vis apparaître avec une
couronne sur la tête; sa taille était gigantesque, sa force semblait démesurée, et il menait à l'assaut contre Jésus d'innombrables légions de tous les temps et de toutes les races. Armées de
toute espèce d'instruments de destruction, elles combattaient quelquefois les unes contre les autres, puis revenaient sur le Sauveur avec rage. C'était un horrible spectacle; car ils
l'accablaient d'outrages, de malédictions, le déchiraient, le frappaient, le perçaient. Leurs armes, leurs glaives, leurs épieux, allaient et venaient incessamment comme les fléaux des batteurs
en grange dans une aire immense, et tous faisaient rage contre le grain de froment céleste, tombé sur la terre pour y mourir, afin de nourrir éternellement tous les hommes du pain de vie.
« Au milieu de ces cohortes furieuses, dont quelques-unes me semblaient composées d'aveugles,
Jésus était ébranlé comme s'il eût réellement ressenti leurs coups. Je le vis chanceler de côté et d'autre; tantôt il se redressait, tantôt il s'abattait; et le serpent, parmi ces multitudes
qu'il ramenait sans cesse contre Jésus, frappait çà et là de sa queue, et déchirait ou engloutissait tous ceux qui étaient renversés par elle.
Il me fut dit que ces troupes innombrables d'ennemis du Sauveur étaient ceux qui maltraitaient de différentes
manières Jésus-Christ, leur Rédempteur, réellement présent dans le saint Sacrement sous les espèces du pain et du vin, avec sa divinité et son humanité, son corps et son âme, sa chair et son
sang. Je reconnus parmi eux toutes les espèces de profanateurs de la divine Eucharistie, ce gage vivant de sa présence personnelle toujours subsistante dans l'Eglise catholique. Je vis avec
horreur tous ces outrages, depuis la négligence, l'irrévérence, l'omission, jusqu'au mépris, à l'abus et au sacrilège la plus affreux; depuis la déviation vers les idoles du monde, les ténèbres
et la fausse science, jusqu'à l'erreur, l'incrédulité, le fanatisme, la haine et la persécution.
« Je vis parmi ces ennemis du Sauveur toute espèce de personnes, notamment des aveugles, des
paralytiques, des sourds, des muets, et même des enfants. Des aveugles qui ne voulaient pas voir la vérité, des paralytiques qui ne voulaient pas marcher avec elle, des sourds qui refusaient
d'écouter ses avertissements et ses menaces, des muets qui ne voulaient jamais combattre pour elle avec le glaive de la parole, des enfants égarés à la suite de parents et de maîtres mondains et
oublieux de Dieu, nourris de convoitises terrestres, enivrés d'une vaine sagesse et dégoûtés des choses célestes, ou ayant dépéri loin d'elles et devenus à jamais incapables de les goûter. Parmi
ces derniers, dont l'aspect m'affligea particulièrement parce que Jésus aimait les enfants, je vis beaucoup d'enfants de choeur mal élevés, irrévérencieux, qui n'honorent pas le Christ dans les
saintes cérémonies auxquelles ils prennent part. Leurs fautes retombaient en partie sur la négligence de leurs maîtres et sur celle des administrateurs des églises.
« Je vis avec épouvante que beaucoup de prêtres, quelques-uns même se regardant comme pleins de
foi et de piété, maltraitaient aussi Jésus dans le saint Sacrement. Parmi le grand nombre de ceux que j'eus la douleur de voir, je n'en mentionnerai qu'une catégorie. J'en vis beaucoup qui
croyaient et enseignaient la présence du Dieu vivant dans le très saint Sacrement, mais ne la prenaient pas assez à coeur; car ils oubliaient et négligeaient le palais, le trône, la tente, le
siège, les ornements royaux du Roi du ciel et de la terre; à savoir : l'église, l'autel, le tabernacle, le calice, l'ostensoir, les vases, les ornements, en un mot, tout ce qui sert à l'usage et
à la parure de sa maison.
« Tout était abandonné, tout dépérissait dans la poussière et dans la saleté, et le culte divin
était, sinon profané intérieurement, aux moins déshonoré à l'extérieur. Je vis toutes ces offenses à Jésus dans le saint Sacrement multipliées par un grand nombre de préposés aux églises,
lesquels ne sentaient pas qu'il eût été juste de partager au moins ce qu'ils possédaient avec le Rédempteur présent sur l'autel qui s'est livré tout entier a la mort pour eux, et qui pour eux
s'est laissé tout entier dans le Sacrement. Je vis que souvent les plus pauvres étaient mieux entourés dans leurs cabanes que le Maître du ciel et de la terre dans son église. Ah ! Combien
l'inhospitalité des hommes contristait Jésus, qui s'était donné à eux pour nourriture ! Certes, il n'y a pas besoin d'être riche pour recevoir celui qui récompense au centuple le verre d'eau
donné à celui qui a soif; mais lui, qui a si soif de nous, n'a-t-il pas lieu de se plaindre quand le verre est impur et l'eau corrompue? Par suite de semblables négligences, je vis les faibles
scandalisés, le Sacrement profané, l'église abandonnée, les prêtres méprisés; l'impureté et la négligence s'étendaient jusque sur les âmes des fidèles; ils laissaient dans la saleté le tabernacle
de leur coeur lorsque Jésus devait y descendre, tout comme ils y laissaient le tabernacle placé sur l'autel...
« ... Je vis des clercs irrévérencieux, des prêtres légers ou sacrilèges dans la célébration du
saint Sacrifice et la distribution de la Sainte Eucharistie des troupes de communiants tièdes et indignes... Je vis beaucoup de personnes séduites par de mauvais exemples ou des enseignements
perfides perdre la foi à la Présence Réelle de Jésus dans le Saint Sacrement et ne plus y adorer humblement le Sauveur. Je vis dans ces troupes un grand nombre de docteurs que leurs péchés
avaient rendu hérésiarques; ils se disputaient entre eux au commencement puis ils s'unissaient pour attaquer Jésus avec fureur dans le saint Sacrement de son église. Je vis une troupe nombreuse
de ces apostats, chefs de secte, insulter le sacerdoce catholique, combattre la présence réelle de Jésus dans l'Eucharistie, nier qu'il ait donné ce sacrement à son Eglise et qu'elle l'ait
fidèlement conservé, et arracher de son coeur, par leurs séductions, une multitude d'hommes pour lesquels il a répandu son sang. Ah ! C'était un affreux spectacle, car je voyais l'Eglise comme le
corps de Jésus dont il avait réuni ensemble, par sa douloureuse Passion, les membres isoles et dispersés, et toutes ces masses d'hommes, qui se séparaient de l'Eglise, déchiraient et arrachaient
comme des morceaux entiers de sa chair vivante.
« Hélas! Il jetait sur eux des regards touchants, et gémissait de les voir se perdre. Lui, qui
s'était donné à nous pour nourriture dans le saint Sacrement, afin de rassembler en un seul corps celui de l'Eglise, son épouse, les hommes séparés et divisés à l'infini, il se voyait déchiré
dans ce corps même, car la table de la communion, de l'union dans le saint Sacrement, ce chef-d'œuvre de son amour, dans lequel il avait voulu rester à jamais parmi les hommes, était devenue, par
la malice des faux docteurs, la borne de séparation, en sorte que là où il est par-dessus tout juste et salutaire que beaucoup ne fusent plus qu'un, à cette sainte table où le Dieu vivant
lui-même est l'aliment qu'on reçoit, ses enfants devaient se séparer des incroyants et des hérétiques pour ne pas se rendre complices du péché d'autrui. Je vis, de cette manière, des peuples
entiers arrachés de son sein, et privés de la participation au trésor des grâces laissées à l'Eglise. C'était un spectacle affreux de les voir se séparer d'abord en petit nombre, puis, devenus
des peuples entiers, se diviser sur les choses les plus saintes, et se poser en ennemis les uns vis-à-vis des autres...
« A la fin, je vis tous ceux qui s'étaient séparés de l'Eglise plongés dans l'incrédulité, la
superstition, l'hérésie, la fausse Philosophie mondaine : pleins d'une fureur sauvage, ils se réunissaient en grandes troupes pour assaillir l'Eglise, excités par le serpent homicide qui
s'agitait au milieu d'eux. Hélas! C'était comme si Jésus s'était senti déchirer lui-même en mille lambeaux. Le seigneur, livré à ces angoisses, vit et sentit tout l'arbre empoisonné de la
division avec toutes ses branches et ses fruits qui se subdivisaient sans cesse jusqu'à la fin des temps où le froment sera recueilli dans les greniers et la paille jetée au feu.
« Je vis le sang rouler en larges gouttes sur le pâle visage du Sauveur; ses cheveux étaient
collés ensemble et dressés sur sa tête, sa barbe sanglante et en désordre comme si on eût voulu l'arracher. Après la vision dont je viens de parler, il s'enfuit en quelque sorte hors de la
caverne, et revint vers ses disciples. Mais sa démarche était comme celle d'un homme couvert de blessures et courbé sous un lourd fardeau, qui trébucherait à chaque pas. Lorsqu'il vint vers les
trois Apôtres, ils ne s'étaient pas couchés pour dormir comme la première fois; Ils avaient la tête voilée et affaissée sur leurs genoux, dans une position où je vois souvent les gens de ce
pays-là lorsqu'ils sont dans le deuil ou qu'ils veulent prier. Ils s'étaient assoupis, vaincus par la tristesse et la fatigue. Jésus, tremblant et gémissant, s'approcha d'eux, et ils se
réveillèrent. Mais, lorsqu'à la clarté de la lune ils le virent debout devant eux, avec son visage pâle et sanglant et sa chevelure en désordre, leurs yeux fatigués ne le reconnurent pas d'abord
tout de suite, car il était indiciblement défiguré. Comme il joignait les mains, ils se levèrent, le prirent sous les bras, le soutinrent avec amour, et il leur dit avec tristesse qu'on le ferait
mourir le lendemain, qu'on s'emparerait de lui dans une heure, qu'on le mènerait devant un tribunal, qu'il serait maltraité, outragé, flagellé, et enfin livré à la mort la plus cruelle.
« Il les pria de consoler sa mère, et aussi de consoler Madeleine. Il leur parla ainsi pendant
quelques minutes; pour eux, ils ne lui répondirent pas, car ils ne savaient que dire, tant son aspect et ces discours les avaient troublés; ils croyaient même qu'il était en délire. Mais
lorsqu'il voulut retourner à la grotte, il n'eut pas la force de marcher. Je vis Jean et Jacques le conduire, et revenir lorsqu'il fut entré dans la grotte. Il était à peu près onze heures et un
quart.
Pendant cette agonie de Jésus, je vis la sainte Vierge accablée aussi de tristesse et
d'angoisses dans la maison de Marie, mère de Marc. Elle se tenait avec Madeleine et Marie dans le jardin de la maison; elle était là, courbée en deux sur une pierre et affaissée sur ses genoux.
Plusieurs fois elle perdit connaissance, car elle vit intérieurement plusieurs choses de l'agonie de Jésus. Elle avait déjà envoyé des messagers pour avoir de ses nouvelles; mais, ne pouvant pas
attendre leur retour, elle s'en fut, toute inquiète, avec Madeleine et Salomé, jusqu'à la vallée de Josaphat. Elle marchait voilée, et étendait souvent les bras vers le Mont des Oliviers; car
elle voyait en esprit Jésus baigné d'une sueur de sang, et il semblait qu'elle voulût de ses mains étendues essuyer le visage de son fils.
« Je vis ces élans de son âme aller jusqu'à Jésus, qui pensa à elle et regarda de son côté
comme pour y chercher du secours. Je vis cette communication entre eux sous forme de rayons qui allaient de l'un à l'autre. Le Seigneur pensa aussi à Madeleine, et fut touché de sa douleur; c'est
pourquoi il recommanda aux disciples de la consoler; car il savait que son amour était le plus grand après celui de sa mère, et il avait vu qu'elle souffrirait encore beaucoup pour lui, et
qu'elle ne l'offenserait plus jamais.
« Vers ce moment, à onze heures un quart à peu près, les huit Apôtres revinrent dans la cabane
de feuillage de Gethsémani; ils s'y entretinrent et finirent par s'endormir. Ils étaient très ébranlés, très découragés, et violemment assaillis par la tentation. Je vis Jésus priant encore dans
la grotte et luttant contre la répugnance de la nature humaine à souffrir. Il était épuisé de fatigue et abattu, et il disait : " Mon père, si c'est votre volonté, éloignez de moi ce
calice. Cependant, que votre volonté se fasse et non pas la mienne. "
« Mais alors l'abîme s'ouvrit devant lui, et les premiers degrés des Limbes lui apparurent
comme à l'extrémité d'une voile lumineuse. Il vit Adam et Eve, les patriarches. Les prophètes, les justes, les parents de sa mère et Jean-Baptiste attendant son arrivée dans le monde inférieur
avec un désir si violent, que cette vue fortifia et ranima son coeur plein d'amour. Sa mort devait ouvrir le ciel à ces captifs; elle devait les tirer de la prison où ils languissaient dans
l'attente. Lorsque Jésus eut regardé avec une profonde émotion ces saints de l'ancien monde, les anges lui présentèrent toutes les cohortes des bienheureux à venir qui, joignant leurs combats aux
mérites de sa passion, devaient s'unir par lui au Père céleste. C'était une vision inexprimablement belle et consolante. Tous rangés, suivant leur date, leur classe et leur dignité, passèrent
devant la Seigneur, parés de leurs souffrances et de leurs oeuvres. Il vit le salut et la sanctification sortant à flots intarissables de la source de rédemption ouverte par sa mort. Les Apôtres,
les disciples, les vierges et les saintes femmes, tous les martyrs, les confesseurs et les ermites. Les papes et les évêques, des troupes nombreuses de religieux, en un mot l'armée entière des
bienheureux s'offrit à sa vue. Tous portaient sur la tête des couronnes triomphales, et les fleurs de leurs couronnes différaient de forme, de couleur, de parfum et de vertu suivant la différence
des souffrances, des combats et des victoires qui leur avaient valu la gloire éternelle. Toute leur vie et tous leurs actes, tous leurs mérites et toute leur force, ainsi que toute la gloire de
leur triomphe, venaient uniquement de leur union aux mérites de Jésus-Christ.
L'action et l'influence réciproque que tous ces saints exerçaient les uns sur les autres, la
manière dont ils puisaient à une source unique, au saint Sacrement et à la passion du Seigneur, offraient un spectacle singulièrement touchant et merveilleux. Rien ne paraissait fortuit en eux;
leurs oeuvres, leur martyre, leurs victoires, leur apparence et leur vêtement, tout cela, quoi que bien divers, se fondait dans une harmonie et une unité infinies; et cette unité dans la
diversité était produite par les rayons d'un soleil unique, par la passion du Seigneur, du Verbe fait chair, en qui la vie était la lumière des hommes qui lait dans les ténèbres et que les
ténèbres n'ont pas comprise.
« ... Des anges lui montrèrent sa Passion parce qu'elle était proche. Je vis toutes les scènes
s'en présenter très distinctement devant lui, depuis le baiser de Judas jusqu’aux dernières paroles sur la Croix : je vis là tout ce que je vois dans mes méditations de la Passion, la trahison de
Judas, la fuite des disciples, les insultes devant Anne et Caïphe, le reniement de Pierre, le tribunal de Pilate, les dérisions d'Hérode, la flagellation et le couronnement d'épines, la
condamnation à mort, le portement de la croix, la rencontre de la Sainte Vierge, son évanouissement, les insultes que les bourreaux lui prodiguaient, le suaire de Véronique, le crucifiement, les
outrages des Pharisiens, les douleurs de Marie, de Madeleine et de Jean, le coup de lance dans le côté: en un mot, tout lui fut présenté avec les plus petites circonstances. Je vis comment le
Seigneur, dans son angoisse, voyait tous les gestes, entendait toutes les paroles, percevait tout ce qui se passait dans les âmes. Il accepta tout volontairement, il se soumit à tout par amour
pour les hommes. Ce qui le contrista le plus douloureusement fut de se voir attaché a la croix dans un état de nudité complète, pour expier l'impudicité des hommes : il pria instamment pour que
cela lui fût épargné et qu'il lui fût au moins accordé d'avoir une ceinture autour des reins : je vis qu'il serait assisté en cela, non par ses bourreaux, mais par un homme compatissant. Il vit
et ressentit aussi la douleur actuelle de sa mère que l’union à ses souffrances avait fait tomber sans connaissance dans les bras de ses deux amies.
« A la fin des visions de la Passion, Jésus tomba sur le visage, comme un mourant : les Anges
disparurent, la sueur de sang coula plus abondante, et je la vis traverser son vêtement. La plus profonde obscurité régnait dans la caverne… Jésus, ayant accepté librement le calice de ses
souffrances il reçut une nouvelle force, resta encore quelques minutes dans la grotte, plongé dans une méditation tranquille et rendant grâces à son Père céleste. Il était encore affligé mais
réconforté surnaturellement, au point de pouvoir aller vers les disciples sans chanceler et sans plier sous le poids de sa douleur. Il était toujours pâle et défait mais son pas était ferme et
décidé. Il avait essuyé son visage avec un suaire, et remis en ordre ses cheveux qui pendaient sur ses épaules, humides de sang et de sueur et colles ensemble.
Quand il sortit de la grotte. Jésus vint vers ses disciples, ils étaient couchés, comme la
première fois, contre le mur de la terrasse ; ils avaient la tète voilée et dormaient. Le Seigneur leur dit que ce n’était pas le temps de dormir, qu'ils devaient se réveiller et prier. “ Voici
l'heure où le Fils de l'homme sera livré dans les mains des pécheurs. dit-il; levez-vous et marchons : le traître est proche : mieux vaudrait pour lui qu’il ne fût jamais né ”.
Les Apôtres se relevèrent tout effrayés, et autour d'eux avec inquiétude. Lorsqu'ils se
furent un peu remis, Pierre lui dit avec chaleur : “ Maitre, je vais appeler les autres, afin que nous vous défendions ”. Mais Jésus à quelque distance dans la vallée, de l’autre côté du torrent
de Cédron, vit une troupe d’hommes armés, qui s'approchaient avec des flambeaux, et il leur dit qu’un d’entre eux l'avait trahi… Il sortit alors du jardin des Oliviers avec les trois Apôtres, et
vint au-devant des archers sur le chemin qui était entre ce jardin et celui de Gethsémani.
« La grotte dans laquelle Jésus avait prié aujourd'hui n'était pas celle où il avait coutume de
prier sur le mont des Oliviers. Il allait ordinairement dans une caverne plus éloignée où, un jour, après avoir maudit le figuier stérile, il avait prié dans une grande affliction, les bras
étendus et appuyé contre un rocher. Les traces de son corps et de ses mains restèrent imprimées sur la pierre et furent honorées plus tard."
Mgr J. Masson