Malou Innocent – Le 2 février 2009. Provoquant jusqu'à la fin, le président sortant Bush a récemment défendu le bilan de son mandat. « Les décisions que j’ai prise en tant que votre commandant en chef n’ont pas été toujours populaires », déclarait Bush à l’occasion d’une cérémonie au Fort Myer à Arlington. Et d’ajouter « mais la cause que vous avez servi a toujours été juste et appropriée ». Une fois de plus, le président sortant démontre son talent pour instrumentaliser la bravoure de l’armée américaine mais en détournant l’attention de ses politiques désastreuses, à commencer par l'Irak et pour finir avec l'Afghanistan.
Pendant des années le président Bush n’a pas arrêté de marteler comment, grâce à son leadership, les américains sont désormais plus en sûreté depuis le 11 septembre. Mais, les hauts cadres de renseignements et les experts militaires et diplomatiques s’accordent à dire que la fixation de Bush sur l’Iraq n’a pas rendu les Etats-Unis plus sûrs.
Quel que soit le gain que les Etats-Unis ont pu retirer du « surge » (le renforcement des troupes en Irak), la guerre en Irak a façonné une nouvelle génération de terroristes, élargissant ainsi à la fois le nombre et la couverture géographique des djihadistes. Elle a également exacerbé la méfiance vis-à-vis des Etats-Unis à travers le Monde alors même que leurs dirigeants se complaisent à se voir comme des bienfaiteurs. L’objectif de Ben Laden était de provoquer le la part des Etats-Unis une attaque de représailles excessive et mal définie contre le monde musulman. La politique en Irak de l’administration Bush est tombée dans le piège.
Pire que l’unification des ennemis des Etats-Unis, Bush a divisé leurs alliés. A l’étranger, le penchant du commandant en chef pour la rhétorique du « nous contre eux » l’a conduit à snober ses alliés potentiels et à ignorer les voix de la prudence. Les jours suivant le 11 semptembre, l’OTAN et la Russie ont conjointement publié une déclaration sans précédent de soutien aux Etats-Unis dans sa lutte contre le radicalisme islamique. Même l’Iran avait offert son aide pour la recherche et le sauvetage des pilotes américains si jamais ils tombaient en Afghanistan. Sept ans plus tard, même les alliés de l’OTAN sont divisés au sujet de leurs engagements à envoyer des troupes dans une mission qu’ils considèrent comme ayant été mal gérée par Bush. Les experts mettent en garde contre l’émergence d’une guerre froide avec la Russie. Pire encore, l’influence du leadership clérical de Téhéran s’est répandue à travers le Moyen-Orient, à cause en partie de l’élimination, par l’administration Bush, d’un « contre-pouvoir stratégique », Saddam Hussein (quel que bourreau ait été ce dernier).
Un autre aspect de l’argument de Bush sur la plus grande sûreté aux USA depuis le 11 septembre a été sapé par le Président des chefs d’état-major, le Général Peter Pace. Celui-ci a confirmé, en 2007, dans un rapport confidentiel pour le Congrès, que les efforts déployés dans les opérations en Irak et en Afghanistan peuvent empêcher les Etats-Unis de répondre pleinement à une crise internationale. Avec une armée éparpillée, une pénurie des « premiers intervenants » à domicile, et une capacité affaiblie pour contrer les menaces internationales, il est facile de comprendre pourquoi 27% d’américains seulement approuvent le maintien de la politique étrangère de Bush, selon un sondage du Wall Street Journal/NBC en décembre 2008.
L'invasion de l'Irak restera certainement dans les mémoires pour plusieurs raisons, notamment les documents falsifiés sur l’Uranium nigérien et les allégations erronées à propos des liens de Saddam à Al-Qaida. Mais plus accablant encore que les détails de l’erreur magistrale de diagnostic de Bush a été son refus de prendre en compte les coûts d’avoir détourné l’attention et les ressources militaires américaines de l’Afghanistan vers l’Irak. En conséquence, la mission en Afghanistan est maintenant en danger puisque les conditions de sécurité dans cette région continuent de se dégrader.
2008 a été la pire année pour les États-Unis et les troupes de l'OTAN en Afghanistan. Les Taliban, bien que rongés par des divisions internes, jouissent désormais d’une présence dominante dans de nombreuses provinces du sud et de l'est du pays. Certaines d’entre elles sont devenues désormais des zones de « non droit » pour les forces de la coalition. En raison des contraintes militaires, les 70000 soldats des troupes des États-Unis et de l'OTAN sont insuffisants pour empêcher les insurgés de pénétrer dans les zones précédemment « nettoyées ».
Pire encore, des militants opérant au-delà de la frontière dans le Pakistan, doté de la bombe nucléaire, ont commencé à attaquer des camions d'approvisionnement de l'OTAN à destination de l’Afghanistan enclavé. En décembre, des hommes armés ont incendié plus de 160 véhicules destinés aux troupes de la coalition, près de Peshawar au Pakistan, où se trouve le centre administratif pour les zones tribales, et la capitale de la province de la frontière nord-ouest. Cette détérioration de l'environnement le long de la frontière afghano-pakistanaise crée un cadre idéal pour al-Qaida et les Taliban pour se développer. La menace d'Al-Qaida, qui semblait si proche de s’estomper en 2002, s’est désormais ravivée avec une ampleur inquiétante. Cette évolution ne rendra certainement pas les Etats-Unis plus « sûrs ».
Le président Bush mérite qu’on se souvienne de lui pour son erreur manifeste de calcul stratégique consistant à détourner les forces militaires US loin de ceux qui avaient attaqués les Etats-Unis le 11 septembre, pour envahir une nation qui ne leur avait rien fait, et, ce faisant, laisser le pays moins sécurisé qu’auparavant.
Malou Innocent est analyste de politique extérieure au Cato Institute à Washington DC.