Terrible mise en abyme au théâtre de la Colline où, dirigé par André Engel, Piccoli incarne Minetti, le grand comédien vieillissant hanté par le roi Lear, rôle interprété par Piccoli il y a trois ans sous la direction du même André Engel.
Un soir de la Saint-Sylvestre, Minetti-Piccoli débarque dans le hall d’un hôtel d’Ostende où il est censé rencontrer le directeur d’un théâtre qui lui a proposé de jouer « Le roi Lear », rôle que l’acteur répète tous les soirs depuis 30 ans. Le directeur ne viendra pas. En l’attendant, Minetti parle au portier de l’hôtel, à une femme ivre et seule, à une jeune fille qui attend son fiancé. Il ressasse sa vie, sa carrière brisée par son refus de jouer les classiques, il évoque le personnage de Lear qui le hante depuis qu’il le joua pour la première fois à 18 ans, il parle du masque de Lear que le sculpteur Ensor a créé spécialement pour lui, il réfléchit à sa vocation théâtrale.
Dans la pièce que Thomas Bernhard a créée en 1976 pour l’acteur Bernhard Minetti, le personnage de Minetti laisse perplexe : le directeur du théâtre lui a –t-il vraiment donné rendez-vous ? Minetti est-il génial ou fou ? Souvent les metteurs en scène ne tranchent pas cette ambiguïté. Ici, au début de la pièce surtout, Engel enlève à l’acteur déchu toute trace de sa grandeur et tire le personnage vers la médiocrité en faisant de Minetti un papi gâteux. En coupant la fin de la pièce où le vieil acteur disparaît dans la neige, Engel appauvrit le sens de la pièce.
Tant de ressemblances entre le personnage, le Minetti de Thomas Bernhardt et l’acteur Piccoli - la vieillesse, le roi Lear, le talent – troublent et embarrassent le spectateur. Quand Piccoli ressasse ses obsessions d’une voix chevrotante est-ce l’acteur ou le personnage qui semble chercher son texte? Le décor massif de Nicki Riéti, un grand hôtel vieillot, qui semble écraser le personnage ne fait qu’accroître le malaise. Ce malaise se dissipe au cours du spectacle car le débit de Piccoli se fait moins hésitant, sa voix s’éclaircit, et le vieux radoteur du début de la pièce se transforme en héros tragique. C’est dans la troisième partie, quand Minetti soliloque avec la jeune fille (incarnée par la lumineuse Julie-Marie Parmentier) qu’il semble retrouver son aura.
Minetti de Thomas Bernhardt, mis en scène par André Engel, au théâtre de la Colline jusqu’au 7 février 2009, puis en tournée à Reims, Genève, Berlin, Villeurbanne, Grenoble, Lille, Lausanne, Toulouse.