À CÔTÉ DE LA RÉSURRECTION de Hermann Maier, leurs histoires passeraient presque pour des péripéties. Leurs blessures pour des petits bobos. Leur retour à skis pour une tranquille balade sur des pistes bien balisées. Mais il n’en est rien. Combien seront-ils, exactement, sur les pentes des championnats du monde qui débutent, dimanche 2 février, à Saint-Moritz (Suisse), à avoir un jour touché le fond, jambe brisée, genou estropié, corps et âme blessés. Et à rêver de nouveau aux cimes sur les neiges des Grisons ? Difficile à dénombrer précisément, tant il est vrai que « la blessure fait partie de la vie du skieur », rappelle Marie-Philippe Rousseaux-Blanchi, responsable médical à la direction technique nationale (DTN) de la Fédération française de ski (FFS).
L’Autrichien Stephan Eberharter s’est blessé au genou en décembre 2002. Il figurera pourtant parmi les principaux favoris des épreuves de vitesse, au même titre que Hermann Maier. Leur double confrontation, programmée dès l’ouverture, dimanche, en super-G, et qui pourrait se poursuivre, samedi 8 février, en descente, sera l’un des sommets du rendez-vous suisse.
Dix mois auparavant, c’est leur compatriote Renate Götschl qui avait chuté en descente ; on l’avait relevée avec une blessure très grave au genou et des interrogations sur la suite de sa carrière. Elle sera l’une des grandes rivales de Carole Montillet en super-G et en descente. Duel qui pourrait cependant être arbitré par l’Allemande Hilde Gerg, bien revenue après une déchirure du ligament en décembre.
Qui d’autre ? L’Américain Bode Miller fut blessé lui aussi au genou, n’échappant que de très peu à l’opération. Cela ne l’empêchera pas d’être l’un des grands favoris entre les piquets des épreuves de Saint-Moritz. Janica Kostelic, quant à elle, a remporté, en 2002, quatre médailles olympiques peu de temps après avoir été opérée, pour la troisième fois, du genou. Elle sera également l’une des grandes attractions de Saint-Moritz.
Lésions anciennes ou plaies plus récentes, ils ne sont pas nombreux, en tout cas, à avoir échappé au bistouri. Spécialiste du genou, chirurgien orthopédiste et responsable médical à la FFS, Pierre Chambat préférerait presque égrener les noms de ceux et celles qui ne sont jamais montés sur une table d’opération : « Si l’on s’en tient à la liste des trente meilleurs skieurs français, 40 % des hommes et 47 % des femmes ont eu une rupture du ligament croisé antérieur. »
C’est que le genou est le point faible du skieur moderne, la rupture du ligament croisé antérieur - ou LCA, comme disent les spécialistes - est le mal du siècle chez les champions du grand cirque blanc. Une blessure apparue vers la fin des années 1970 avec l’usage des chaussures hautes. Lorsque pieds et chevilles bloqués par des tiges et des chaussons en mousse injectée firent du genou le premier point de levier du corps.
Ainsi, entre 1980 et l’an 2000, 69 skieurs et skieuses de l’équipe de France ont été victimes d’une rupture du fameux ligament. Trois ou quatre cas par an, en moyenne, avec de rares pointes à huit accidentés dans une saison, comme celle, maudite pour les Bleus, de l’hiver 1999-2000. C’est dire qu’aucune génération n’est épargnée.
A Saint-Moritz, Pierre-Emmanuel Dalcin, Carole Montillet, Mélanie Suchet (opérée à trois reprises du genou), Nicolas Burtin, entre autres, peuvent en témoigner. Vanessa Vidal, elle, devra se contenter de regarder les courses à la télévision, en raison d’un ligament qu’il faut opérer. Le ligament croisé antérieur ? « Il représente 90 % des pathologies que nous soignons ici », confirme Olivier Rachet, kinésithérapeute fédéral, exerçant au centre hospitalier de Hauteville-Lompnes (Ain).
Eberharter ? Götschl ? Gerg, Miller, Kostelic ? Ligament croisé antérieur. Et, presque à chaque fois, des retours au sommet. « Après la rupture d’un ligament, il faut à peine un an pour regagner une épreuve de Coupe du monde », juge Olivier Rachet. A condition toutefois de respecter les étapes, longues et minutieuses, qui ramènent vers les hauteurs. L’opération en premier. La reprise de l’entraînement au bout du sixième mois, de la compétition au bout du huitième.
Amélioration du geste chirurgical, amélioration de la kinésithérapie, évolution de l’électro-stimulation ont permis aux champions d’espérer une remise à niveau plus rapide. Il y a une quinzaine d’années, à la suite d’une rupture du ligament, la reprise de l’entraînement pouvait également s’effectuer après un semestre de convalescence. « Mais l’on reprenait alors avec un gros déficit musculaire, car on était resté de longs mois immobilisé », explique Olivier Rachet.
Aujourd’hui, le retour à la compétition se prépare dès le lendemain de l’opération, avec un premier réveil musculaire. Flexions et appuis sont effectués dès les premières semaines. Puis les exercices vont crescendo. Du coup, quand sonne l’heure de remonter sur des skis, le champion a déjà récupéré une partie de ses moyens physiques.
« Reste que ce délai de six mois est incompressible, martèle Pierre Chambat. On ne peut pas faire plus vite, c’est la biologie qui nous impose son rythme. Quand je vois certains skieurs qui reviennent après moitié moins de temps, je dis qu’il s’agit d’une expérimentation dangereuse pour la santé du sportif. » Oui, mais voilà : la déontologie médicale est une chose ; la carrière sportive et la pression des sponsors une autre.
Olivier Zilbertin
(Paru dans Le Monde du 1er février 2003)