Bayard Jeunesse
Collection Millézime
Traduit de l'italien par Jacques Barbéri
Paru en Janvier 2009
Roman adolescents dès 12 ans
Mot de l'éditeur: D'origine pakistanaise, Salima est une jeune musulmane parfaitement intégrée à son pays, l'Angleterre.Au sein de sa famille et au lycée, elle a su trouver l'équilibre entre le respect des traditions et la vie moderne d'une fille de son âge. Aussi, quand ses parents lui annoncent qu'ils iront avec sa petite sœur Shazia au Pakistan, ne se doute-t-elle de rien. Son grand-père est à l'article de la mort, et une dernière visite s'impose. Mais très vite Salima va comprendre la vraie raison de ce voyage : ses parents ont décidé de la marier avec un lointain cousin, sans lui demander son avis.
Je ne vais pas vous faire un long résumé de l'histoire, je pense que le mot de l'éditeur est un excellent prémisse au roman. Sachez simplement qu'il s'agit de Salima, jeune ado d'origine pakistanaise qui vit dans une banlieue de Londres. Son histoire est poignante et renversante bien qu'elle se finisse plutôt bien pour la jeune fille. Mais toutes n'ont pas eu sa chance. Je vous livre mes impressions à chaud car je viens de finir les dernières pages et j'ai été bouleversée, incroyablement touchée par une histoire qui hélas dépasse de loin la fiction pour rejoindre la réalité.
Une réalité cruelle: celle du mariage forcé et des crimes d'honneur. Le roman est assez bien écrit. Marco Varvello est un journaliste italien. D'ailleurs les informations que l'on trouve au cours de l'histoire sont d'une excellente qualité. Tout commence dans un Londres "made in India", dans des quartiers où les familles d'origine pakistanaise, musulmane et indienne se regroupent et forment une communauté à part entière. L'auteur nous raconte cette vie où la mémoire du pays natal, des racines et des origines est forte et tenace. Les traditions et les coutumes sont transmises par les parents à leurs enfants: le respect de l'autorité paternelle, la prière à la mosquée, les plats traditionnels, la langue punjabi. Mais bien souvent les enfants, tout comme Salima sont pris entre deux mondes. Oui. C'est l'expression la plus féroce et la plus authentique pour qualifier ce roman. Entre deux mondes, autrement dit entre celui dans lequel on est né et celui dans lequel sont nés nos parents mais qui n'est pas tout à fait le nôtre. Or tout est fait pour que les nouvelles générations soient tiraillées entre ces deux pays aux valeurs complètement opposées: l'Angleterre, l'Occident et le Pakistan. Jusqu'ici rien d'alarmant! Mais l'histoire de Salima rejoint celle de milliers d'autres jeunes filles qui, emmenées au pays, se voient obligées d'être mariées à des inconnus, des cousins pour honorer la famille et les traditions. C'est de coutume, mais ces mariages arrangés par les parents font le malheur de ces jeunes filles. C'est l'histoire de Salima et de son courage, de sa volonté. L'histoire d'une fuite, d'un combat acharné pour faire valoir ses droits dans une famille qui ne valorise que les devoirs. C'est l'histoire de l'émancipation, de la liberté, du libre-arbitre, c'est aussi le choix de l'amour. Oublie les mille et une nuits, c'est ce que dicte le coeur de Salima et l'avertissement qu'elle donne à sa petite soeur Shazia. Oublie les contes de fées, les princes charmants car ce sera elle la prochaine...
Au-delà de l'intrigue, l'auteur apporte beaucoup pour ce roman jeunesse qui a les traits d'un documentaire. La description de la vie en Angleterre et celle du Pakistan regorge de contrastes. Il nous donne des détails foisonnants, intéressants qui nous permettent de comprendre bien plus de tout ce drame. La confrontation des générations révèle un profond décalage entre les traditions et la vie issue de l'immigration. Les enfants n'ont pas les mêmes aspirations que leurs parents. Décalage entre les générations mais aussi au sein des jeunes, Salima ne comprend pas toujours ses camarades anglaises, et les jeunes pakistanais qui vivent dans leur pays comprennent beaucoup mieux leurs parents. On s'aperçoit que les immigrés portent un regard très critique envers les pays occidentaux, envers nos valeurs. Ils ne respectent et n'acceptent pas les différences. Le père de Salima apparaît dès lors comme un homme borné, autoritaire et totalitaire, qui abuse d'un pouvoir humiliant et destructeur pour sa fille. La confrontation est d'autant plus privilégiée par la structure du roman: le témoignage de Salima: ses peurs, ses craintes, son pressentiment qui dès lors s'oppose aux espoirs du jeune Rashid qui nous confie ses désirs, son envie de fonder un foyer dont les valeurs pakistanaises et familiales seraient au coeur du couple marié. Les deux jeunes gens se rencontrent, l'un dit oui, l'autre refuse. C'est tout le drame. Le récit s'enflamme et le coeur des lectrices palpite: les tentatives de Salima, la révolte que l'on ressent quand son père la trahie, la résignation dissimulée derrière le masque de la souffrance et de la haine. On y croit pas une seule seconde. Une Salima prête à épouser son cousin, prête à sacrifier son bonheur pour des valeurs égoïstes.
En quoi le poids de la religion pèserait-il plus que le poids de toute une vie? En quoi la religion est-elle plus légitime que le bonheur?
Un livre qui assurément ne laisse pas indifférent, un grand coup de coeur pour un livre jeunesse qui vaut le détour car il possède toutes les vertus du genre: intelligence d'esprit, témoignage puissant. Une lecture justifiée et appréciée. A lire en mémoire de toutes ces jeunes filles, à ce combat qui reste d'actualité. Oublie les mille et une nuits est ce livre qui nous rappelle chaque jour que personne n'a le droit de décider à la place d'une autre et surtout pas en matière de sentiments. Salima, un mariage forcé, une volonté de fer, une vie volée mais en aucun cas un sacrifice mérité.