"J'étais invitée au Forum social mondial de Belém la semaine où, en France, des centaines de milliers de manifestants ont clamé, eux aussi, leur colère et leur désir d'une alternative au système qui a plongé la planète dans une crise globale de civilisation.
Avec le président brésilien Lula, et Dilma Rousseff, le 30 janvier à Belém.
(Ricardo Stuckert/PR)
Dès 2001, à Porto Alegre, les altermondialistes ont affirmé les premiers qu'un autre monde était possible. A l'époque, beaucoup les raillaient au nom d'une mondialisation financière forcément heureuse... Ils avaient un temps d'avance et des refus essentiels: contre la soumission aux forces aveugles du marché et du profit à court terme, contre la destruction de l'environnement et l'exploitation des travailleurs.
Ce qui se passe aujourd'hui confirme les mises en garde des altermondialistes. La tenue du forum aux portes de l'Amazonie, lieu emblématique des dangers qui menacent les équilibres écologiques de la planète, pose avec force cette question urgente: quel autre modèle de développement pour que la crise ne soit pas une catastrophe subie mais l'occasion de faire naître un ordre juste et de nouvelles règles morales ? Le président brésilien Lula l'a proclamé dans le meeting immense qu'il a tenu avec les présidents du Venezuela, de la Bolivie, de l'Equateur et du Paraguay: "Il semblait que les pays riches savaient ce qu'ils faisaient et que nous, nous étions incompétents. Aujourd'hui, c'est leur crise, pas la nôtre. Le dieu marché s'est écroulé faute de responsabilité et de contrôle."
Une chose m'a frappée à Belém: il n'y a pas de barrière infranchissable entre ces trois composantes que sont la gauche de gouvernement, les mouvements sociaux qui luttent sur le terrain, et ce qu'on appelle en France l'extrême gauche. Bien sûr, la critique est parfois vive, mais dans l'ensemble sans sectarisme stérile. Ici, on s'écoute. Ici, on argumente. Des ONG de tous les pays, des militants politiques et syndicaux, des élus, des religieux engagés aux côtés des plus pauvres se retrouvent dans les forums dans le respect de leurs différences. Les jeunes sont massivement présents, le dialogue entre générations fonctionne, alliant transmission et rénovation de l'action politique. Les confédérations syndicales brésiliennes participent activement aux débats. Des militants de la CUT (le principal syndicat brésilien) m'ont dit les relations fraternelles nouées avec les syndicats français aux heures sombres de la dictature militaire.
A Belém se renforcent toutes les résistances contre "l'économie de casino". "C'est bien plus sérieux que Davos", m'a dit Lula lors de notre rencontre, vendredi matin. Il m'a présenté Dilma Rousseff, qu'il soutient pour l'élection présidentielle de 2010. Jadis emprisonnée et torturée par le régime militaire, elle est aujourd'hui l'équivalent d'un Premier ministre. Dilma est une de ces femmes brésiliennes qui occupent aujourd'hui des responsabilités de premier plan. Ana Julia Carepa, par exemple, ancienne militante syndicale et gouverneure de l'Etat amazonien du Para, qui m'a longuement parlé de son action contre le capitalisme sauvage et pour une croissance durable de l'Amazonie. Lula m'a dit aussi à quel point les mouvements sociaux sont nécessaires pour rappeler les gouvernements à leurs devoirs. Ici, le dialogue est constant, même s'il n'est pas de tout repos. Ce pouvoir-là n'est pas déconnecté de la société. Et cette société sait que ses dirigeants comprennent ses difficultés et se battent, à l'écoute des citoyens, pour améliorer la vie de tous."
Tribune de Ségolène Royal publiée dans le Journal du Dimanche, du 1er février 2009