En ce début d’année 2009, Frédéric Dabi, directeur du département Opinion et Stratégies d’Entreprise, nous a livré ses impressions sur les enjeux principaux de l’année à venir, de la crise économique aux élections européennes, en passant par l’action politique et les marges de manoeuvre de l’éxecutif par rapport à l’opinion.
Délits d’Opinion : Placée sous le signe de la crise économique mondiale, l’année 2009 s’annonce délicate pour l’opinion publique. Comment les Français vivent-ils aujourd’hui les mauvaises prévisions : montrent-ils une volonté de lutter contre ce contexte défavorable ou courbent-ils l’échine en attendant que passe le “mauvais temps” ?
Frédéric Dabi : Il est vrai que 2009 s’annonce comme l’année de tous les bouleversements, du moins de toutes les incertitudes, du fait de la crise financière et économique mondiale. Pour autant, il est réducteur voire exagéré d’appréhender l’opinion publique sous les vocables de la résignation ou de la dépression. Tout simplement parce que le rapport des Français à la crise telle qu’elle s’est abattue depuis la rentrée 2008 s’est fondamentalement transformé. La dépression des marchés financiers de septembre-octobre dernier a d’abord marqué une opinion frappée de sidération puis, avec une intensité particulière auprès de certains segments de la population (personnes âgées, catégories populaires), de panique face à un possible effondrement du système économique. Dans un second temps, après l’intervention des Etats de l’Union européenne et le plan de sauvegarde des établissements bancaires, un phénomène de réassurance a opéré : les propos anxiogènes que mesurait l’Ifop à travers ses enquêtes qualitatives sur la pérennité de l’économie hexagonale ont très nettement reflué. Aujourd’hui, c’est un attentisme inquiet qui prévaut chez des Français et non un état dépressif. La dernière livraison du baromètre Ifop / Ouest France réalisé à la fin de l’année 2008 révélait à cet égard une remontée de 6 points du moral des Français entre juillet et décembre.
En somme, l’opinion vit moins avec la crise qu’avec l’effet majeur de celle-ci, à savoir la remontée du nombre des chômeurs, tristement symbolisé en fin d’année dernière par le franchissement du cap des deux millions de demandeurs d’emploi. Cette conséquence la plus palpable par les Français de la crise a conduit à un changement de prisme dans leurs préoccupations : détrôné en octobre 2007 par le pouvoir d’achat - thème majeur de la dernière campagne présidentielle - l’emploi est spectaculairement redevenu dans la dernière période la première préoccupation dans l’opinion publique. Ce retour au schéma qui prédominait dans les années 80 et 90 pourrait se traduire par un repli sur la sphère individuelle et une modération des revendications, notamment salariales - sur le mode : préserver son emploi avant tout - et donc pour reprendre votre expression « courber l’échine » au détriment de l’action collective. Cela ne semble pas le cas : la préoccupation à l’égard de l’amélioration du pouvoir d’achat reste vive, voire intense, au sein des catégories populaires (employés et ouvriers) tandis que les mobilisations à l’œuvre actuellement qui déboucheront sur la journée du 29 janvier bénéficient d’un soutien massif de l’opinion. Une enquête Ifop pour Sud Ouest relative au mouvement du 29 janvier montre que 75% des personnes interrogées jugent cette grève justifiée, soit le plus fort score de légitimité associé par les Français depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Délits d’Opinion : Au début de l’année 2009, avec une popularité plutôt limitée, de quelle marge de manœuvre dispose le président Sarkozy auprès de l’opinion pour mener les réformes prévues et mener sa politique dans un contexte morose ?
Frédéric Dabi : La question des marges de manœuvre dont dispose le chef de l’Etat ne se pose pas spécifiquement aujourd’hui car c’est depuis un an - janvier 2007 dans le baromètre Ifop-Journal du Dimanche - que la popularité présidentielle est minoritaire dans le pays, et ce dans toutes les catégories sociodémographiques et les familles politiques, à l’exception des personnes âgées de plus de 65 ans et des sympathisants UMP.
Néanmoins, Nicolas Sarkozy bénéficie d’atouts constituant autant de marges de manœuvre. Figure d’abord ce que j’appellerai « la durée » : ayant digéré la déroute des dernières élections municipales, le Président de la République aborde les dernières échéances électorales intermédiaires de son quinquennat, européennes 2009 et régionales 2010, en position satisfaisante compte tenu du rapport de force très défavorable à la droite constaté pour ces élections en 2004. Ensuite, Nicolas Sarkozy a enchaîné au cours des derniers mois dans l’opinion de bonnes séquences, alors qu’on aurait pu pronostiquer un recul de sa popularité au moment de la crise financière et boursière. Au contraire, le volontarisme déployé par le président de la République, ses initiatives et son leadership en tant que président de l’Union Européenne ont été salués aussi bien lors de la crise entre la Russie et la Géorgie qu’au moment de l’effondrement des marchés financiers. Par son investissement sur la scène extérieure, Nicolas Sarkozy a suscité la perception qu’il « faisait le job », un sentiment d’autant plus enraciné que l’opposition, en dépit de l’élection de Martine Aubry comme premier secrétaire du PS, ne constitue pas encore une alternative crédible.
A l’heure du retour de Nicolas Sarkozy sur la scène intérieure, s’ouvre désormais une nouvelle période du quinquennat, sans doute délicate dans la mesure où la dissociation opérée par une partie de l’opinion capable de soutenir l’action sur le plan extérieur du chef de l’Etat et de critiquer sa politique intérieure n’opèrera plus. Plus précisément, l’enjeu est de savoir si les Français vont continuer à exonérer en partie le Président de la situation économique ou lui attribuer, lui qui a si efficacement géré la crise financière, la responsabilité des effets de celle-ci, à savoir la possibilité d’un chômage de masse.
Enfin, il convient de ne pas négliger une difficulté liée à l’incarnation de la fonction présidentielle et à la méthode de gouvernance de Nicolas Sarkozy. En effet, celui-ci peine à donner une lisibilité satisfaisante à son action dans un contexte de forte demande par les Français d’un cap clair. Dans ce cadre, les multiples déplacements du chef de l’Etat et son interventionnisme tous azimuts - depuis la suppression du juge d’instruction, la désignation des têtes de liste de l’UMP dans la perspective du scrutin européen jusqu’à l’annonce d’un plan pour le sport français de haut niveau - désorientent plus qu’ils ne donnent une boussole à une opinion en manque de repères.
Délits d’Opinion : Enfin, seul enjeu électoral à venir, les élections européennes nous ont habitué à une indifférence marqué de la population et des niveaux d’abstention élevés. Après six mois de présidence française, 2009 sera-t-elle en France l’année du réveil du sentiment européen ou confirmera-t-elle cette tendance au désintérêt ?
Frédéric Dabi : Depuis l’instauration d’un vote pour élire les représentants français au parlement de Strasbourg et Bruxelles, les élections européennes ont été marquées par un recul croissant de la participation. Par ailleurs, ce scrutin a été très souvent instrumentalisé par le corps électoral pour faire passer des messages, en premier lieu la sanction souvent lourde du gouvernement en place comme en 1984, 1994 ou 2004. On a également peut-être de manière un peu péjorative qualifié ces élections en terme de vote défouloir au regard de l’émergence de forces politiques, le plus souvent opposées à la construction européenne - Front National, Mouvement pour la France - ou de préférence accordée à des listes à la marge des Partis de gouvernement, Nouvelle UDF ou écologistes.
Il est aujourd’hui à près de 6 mois du vote difficile de se risquer à un pronostic. Deux éléments méritent toutefois d’être soulignés. D’abord, tout se passe comme si le formidable taux de participation constaté lors de la dernière élection présidentielle n’aura été qu’une « parenthèse enchantée» démentie par les scrutins législatifs, municipaux et cantonaux suivants. Il convient également de ne pas négliger l’affaissement de la participation aux dernières prud’homales intervenant après des progressions successives de la participation aux scrutins antérieurs. Dans ce cadre, les prochaines élections européennes ont toutes les chances de s’inscrire voire de renforcer ce cycle abstentionniste.
La deuxième inconnue réside dans l’impact de la Présidence Française de l’Union européenne. Celle-ci a eu le mérite de montrer la capacité de l’Union européenne à protéger les Français, dimension qui constitue la principale attente dans l’opinion dans son rapport à l’Europe. On connaît l’homothétie quasi parfaite entre catégories de la population sceptiques à l’égard de l’Europe et segments appréhendant la construction européenne comme une menace sur le modèle hexagonal. Dans ce cadre, le réveil du sentiment européen me semble étroitement corrélé à la fois au maintien du capital de sympathie dans l’opinion de la présidence française et à l’enracinement de ce sentiment de protection que permet l’Europe.
Propos recueillis par Mayeul l’Huillier