« Fluctuat nec mergitur »

Devise connue. Mais attention, ne pas traduire « fluctuat » par « elle flotte » (ce qui est bien le moins pour une embarcation), traduire : « elle est agitée par les flots », et l’on se réjouit d’apprendre (« nec mergitur ») qu’ « elle ne coule pas ». Elle ? La nef de la ville de Paris, on le sait. Elle est ballottée mais ne sombre pas. Et ainsi font : la finance mondiale, Rachida Dati, la bagnole, l’Eglise et l’hôpital public, le moral des ménages, NKM, la règle de trois et le futur antérieur. Citez-moi quelque chose aujourd’hui qui ne soit pas ballotté. Ah ! si peut-être, une spécialité française sur quoi vient se fracasser sans conséquence le flot serré des horrifiques foutaises : notre bon sens frondeur. Encore faut-il aller le chercher où il se trouve : surtout pas chez les journalistes, ces sensitives  qui nous  sonnent le tocsin pour un feu d’herbe.  Faites comme moi, repliez le journal, éteignez le poste et partez au bistrot, ou au marché, en ouvrant bien vos écoutilles. Certes, vous risquez souvent d’apprendre que le fond de l’air est frais, que l’arbitre est un vendu ou que le poireau sera bientôt plus cher que la truffe. Patientez. Une fois passée la mise en langue, vous surprendrez avec bonheur quelques saillies de la raison moqueuse. J’ai eu cette chance hier, à écouter qui vous savez entre le tripier et la crémière.

« - Ah ! ben cette fois, c’en était une ! Une vraie de vraie. Voulez-vous que je vous dise, m’ame Michu ? ça aurait fait chaud au cœur de mon pauvre Albert, qui avait pourtant cet organe plus à droite que de coutume et ça l’a tué.

-  De quoi vous parlez donc, m’ame Daube ? de la cérémonie d’Obama ?

-  Ah ! ça non, noir ou blanc, je m’en moque. Ne venez pas me vanter un pays qui refait son beurre en torpillant le roquefort !… Je vous parle, moi, d’un tapage à la bonne franquette, une belle flambée de chez nous, joyeusement sans lendemain.

- La hausse du livret A ?

- Mon Dieu, m’ame Michu, vous n’avez pas pour deux sous de romantisme… Faites un effort de mémoire. Qu’est-ce qui s’est passé en France jeudi 29 janvier de cette année, c’est pas le Déluge !

-  Non, le déluge c’était y a huit jours, et grâce à Dieu seulement dans le Sud-Ouest. Attendez voir… jeudi… j’ai bien eu la visite de Zoé pour me dire qu’elle attend des jumeaux, mais pas de quoi danser le boogy.

-  Madame Michu, vous le faites exprès ! Jeudi le pays était en grève, et vous le savez très bien. D’Abbeville à Tulle et de Belfort à Biscarosse. Une grosse grève à l’ancienne, un mouvement social comme ils disent, à vous mettre dans la rue tout le peuple en colère, les transports aux dépôts, les profs aux pancartes, la clé sous la porte, la police sur les dents et les nerfs en pelote.

- Décidez-vous, m’ame Daube  : c’ était la fête ou  c’étaient les nerfs

- Les deux.

- Plaît-il ?

- Avec un Président ricanant que les grèves en France ne se remarquent plus, des banquiers nous plumant le croupion depuis quatre mois et qu’on sermonne tous les huit jours sans oser les fesser, et je ne parle pas de  ces milliards d’euros qui se fricassent de partout pendant que je surveille la cuisson de mes rutabagas , alors oui, tiens, vlan, pas volé !  ça faisait du bien, tous ces défilés de sans-culottes criant aux soyeux d’aller se rhabiller. Voilà pour la fête, m’ame Michu, comme un bon coup de rouge quand ça pince.

- Attention, madame Daube, vous devenez vulgaire… Et les nerfs ?

- Les nerfs, c’était de voir les têtes de gauche dans le cortège. Bon, d’accord, on n’attendait pas celles de droite, mais là, ces mines de sacristains à qui on aurait chipé le goupillon, accusant le curé de se prendre pour le pape avant de jurer par tous les diables qu’il faut dire la messe autrement !… Sarkozy, ça godille pas mal mais ça tient la vague. Fluctuat nec mergitur, comme disait ce pauvre Albert en parlant de l’amour dans le mariage. Tenez, rien que d’imaginer Mme Royal à la barre par gros temps, j’enfile déjà le gilet de sauvetage… Au fait, je l’ai pas vue battre le pavé parisien, jeudi.

- Et pour cause : elle dansait la samba au Brésil. Voilà une femme-debout qui aime l’outre-atlantique ! Elle a même dit qu’elle avait inspiré Obama :  égérie !

- Et j’ai ri aussi… Au fait, elle a peut-être de l’avenir au Nouveau monde, tous ces aztèques à l’affût d’une Peron. Ce serait dommage de la perdre ici : à gauche elle relève le plat.

- Ah oui ? Moi je trouve qu’Aubry marmite très bien toute seule. De toutes les façons, depuis François, les Français ne raffolent pas de cette cuisine.

- Quand même, Obama devrait se méfier d’une femme capable de casser la Barak.

- Il lui resterait Hussein, ce qui vaut un passeport chez le mufti.

- Bon, m’ame Michu, je vois que la crise n’a pas entamé votre humour.

- Il en faudra, m’ame Daube, il en faudra pour patienter jusqu’à la prochaine kermesse !

- Et vous verriez ça quand ?

- Après le ski des vacances d’hiver. Mais pas trop près du bac. Je dirais avril. Ça vous va ?

- Je tiendrai»

Arion

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