Urgence, référé et éoliennes

Publié le 01 février 2009 par Christophe Buffet

Cet arrêt suggère que l’urgence est présumée en ce qui concerne la demande de suspension d’une autorisation de créer un parc éolien :

« Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 21 octobre 2004, 5 novembre et 16 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'ASSOCIATION DES CITOYENS ET CONTRIBUABLES DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNES SAANE-ET-VIENNE (ACSV), dont le siège est 7 impasse des Hêtres à Brachy (76730), M. et Mme X, demeurant ... et M. Jean Y, demeurant ... ; l'ASSOCIATION DES CITOYENS ET CONTRIBUABLES DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNES SAANE-ET-VIENNE et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 6 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté leur requête tendant à la suspension de l'exécution du permis de construire délivré le 6 juillet 2004 par le préfet de la Seine-Maritime au profit de la société Shell Windenergy BV en vue d'édifier un parc éolien et un poste de livraison sur un terrain situé route de Luneray à Brachy ;

2°) de suspendre l'exécution du permis de construire délivré le 6 juillet 2004 ;

3°) de mettre à la charge de la société Shell Windenergy BV une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le décret n° 84-453 du 23 avril 1984 ;

Vu le décret n° 2000-877 du 7 septembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Delion, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Blondel, avocat de l'ASSOCIATION DES CITOYENS ET CONTRIBUABLES DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNES SAANE-ET-VIENNE (ACSV), de M. et de M. et Mme et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Shell Windenergy BV,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'ASSOCIATION DES CITOYENS ET CONTRIBUABLES DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNES SAANE ET VIENNE, M. et Mme X et M. Y demandent l'annulation de l'ordonnance du 6 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs conclusions à fin de suspension du permis de construire délivré le 6 juillet 2004 par le préfet de Seine-Maritime à la société Shell Windenergy BV pour édifier cinq éoliennes et un poste de livraison électrique sur le territoire de la commune de Brachy ;

Considérant que, pour rejeter ces conclusions, en tant qu'elles émanaient de l'association susmentionnée, le juge des référés a relevé que l'objet statutaire de cette association était d'aider les citoyens de la communauté de communes Saane et Vienne à se protéger de préjudices de quelque nature que ce soit ; qu'en jugeant qu'eu égard à la généralité de son objet, cette association ne justifiait pas d'un intérêt suffisant pour lui donner qualité pour attaquer le permis de construire litigieux, le juge des référés a exactement qualifié les faits de l'espèce ;

Considérant que, pour dénier également cet intérêt à M. et Mme X et M. Y, le juge des référés a relevé que les éoliennes en cause ne seraient pas directement visibles de leurs propriétés ; qu'il résultait pourtant des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment des photomontages produits par la société défenderesse, que ces éoliennes seraient, après leur construction, visibles depuis le portail de la propriété de M. et Mme X ; que l'ordonnance attaquée est donc entachée de dénaturation en tant qu'elle écarte la recevabilité de la requête de ces derniers ;

Considérant, en revanche, qu'en estimant que les éoliennes ne seraient pas directement visibles de la propriété de M. Y, le juge des référés n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ; que si les photomontages retenus par le juge pour fonder son appréciation constituaient des pièces annexes au mémoire en défense de la société, lequel a seul fait l'objet d'une transmission à l'avocat des requérants, il résulte du dossier que ce mémoire précisait qu'y étaient annexées notamment les cinq photographies prises de la rue des Violettes vers le parc éolien, retenues par le juge ; qu'ainsi l'avocat des requérants a été mis en mesure de venir consulter ces pièces au greffe, et en tout état de cause de les discuter à l'audience de référé, en sorte que doit être écarté le moyen tiré par M. Y d'une méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure ; qu'ayant ainsi souverainement apprécié, sans dénaturation, que les éoliennes litigieuses n'étaient pas visibles de la propriété de M. Y, l'ordonnance attaquée a exactement qualifié les faits en jugeant que, dans ces conditions, en dépit de ce que ces éoliennes, d'une hauteur totale, pales comprises, de 120 m, étaient situées à une distance de moins d'un kilomètre de la propriété de ce requérant, celui-ci n'était pas recevable à demander l'annulation du permis en cause ; que l'ordonnance n'a pas non plus commis d'erreur de droit en écartant comme inopérante à cet égard la circonstance que cette propriété était incluse dans le périmètre retenu pour déterminer les communes concernées par l'enquête publique organisée en application de l'article L. 123-1 du code de l'environnement ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance attaquée ne doit être annulée qu'en tant qu'elle écarte les conclusions de M. et Mme X ;

Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. et Mme X ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la propriété de M. et Mme X est située en bordure d'agglomération, face à un paysage agricole plat offrant une vue dégagée, à une distance d'environ 900 mètres des éoliennes à construire, lesquelles s'élèveront, ainsi qu'il a été dit, à une hauteur de 120 mètres, pales comprises ; qu'ainsi, alors même que les nuisances sonores de ces machines sont inexistantes au-delà de 400 mètres, les intéressés justifient d'un intérêt suffisant pour attaquer le permis litigieux ;

Considérant qu'eu égard à l'importance de ces ouvrages et au caractère difficilement réversible de la construction de leurs supports, la condition d'urgence à laquelle est subordonnée la suspension de ce permis doit être regardée en l'espèce comme remplie ;

Considérant que le moyen tiré de ce que le permis a été accordé avant que ne soient transmis au préfet les résultats de l'enquête publique et l'avis du commissaire enquêteur est, à la différence de tous les autres moyens invoqués, de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ce permis ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'en ordonner la suspension ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme X, qui ne sont pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la société Shell Windenergy BV au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant, en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Shell Windenergy BV la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme X et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu cependant de faire droit aux autres conclusions présentées par les parties sur le fondement des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance en date du 6 octobre 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen est annulée, en tant qu'elle rejette les conclusions de M. et Mme X.

Article 2 : L'arrêté du 6 juillet 2004 du préfet de la Seine-Maritime est suspendu.

Article 3 : La société Shell Windenergy BV versera à M. et Mme X une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de l'ASSOCIATION DES CITOYENS ET CONTRIBUABLES DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNES SAANE-ET-VIENNE (ACSV), de M. Y et de la société Shell Windenergy BV est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION DES CITOYENS ET CONTRIBUABLES DE LA COMMUNAUTE DE COMMUNES SAANE-ET-VIENNE (ACSV), à M. et Mme X, à M. Jean Y, à la société Shell Windenergy BV et au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. »