Cher Jihem,
tu me disais dernièrement qu'un éditeur demandait aux auteurs candidats à la publication de joindre à leur manuscrit une note d'intention. Tout artiste, cinéaste, plasticien, chorégraphe, metteur en scène, et maintenant aussi tout écrivain, se trouve confronté à cette exigence: se fendre d'une éblouissante note d'intention justifiant de l'oeuvre qu'il propose, c'est-à-dire un discours sur, et pas seulement un discours tout court.
Autrefois, dans les années 80, me faisais-tu remarquer, pour faire un film, un budget, un CV et un synopsis d'une page suffisaient, ajoutant avec cette malice ironique dont tu as le secret que "de ton temps, on n'avait pas d'intention".
"La composition du Musée combine le cristal et le nuage, symboles respectifs du connu et de l’inconnu, clarté de l’environnement familier d’aujourd’hui et flou incertain de demain. L’ensemble repose sur un socle, le nuage semblant flotter au-dessus du jardin du Confluent à 8 mètres de hauteur. Il est revêtu d’une enveloppe métallique où se reflètent couleurs et lumière, et qui capte les multiples échos du ciel et de la ville, de l’eau et de la verdure. En contraste, la transparence du cristal marque l’entrée du Musée au Nord.
Sa forme est volontairement simple, évoquant un signal d’appel envoyé vers la ville.
Tout en mouvement, le Musée des Confluences illustre par ses formes la complexité des thèmes présentés. Il suggère aussi l’infinie diversité des connaissances et la pluralité des vocations d’un espace mixte, dédié à l’accueil de tous ses publics auquel il propose connaissance, culture et plaisir."
Mais c'est bien sûr! "le nuage, cristal du savoir"! Et pas du tout le sympathique monstre démembré à flanc d'autopont, construit dans l'un des endroits les plus bruyants et les plus piétonphobe de la ville. Pour le nuage, passe encore. Mais la "forme volontairement simple", là on se fiche de nous! Qu'on en juge par les dessins des architectes, c'est d'une sophistication extrême (et d'ailleurs pas dénuée de beauté). Sans compter que le texte explique juste après que les formes illustrent "la complexité des thèmes présentés". Il faudrait savoir...
Je pense que le cabinet d'architectes a dû embaucher un littéraire chargé de la rédaction des notes d'intention (un boulot comme un autre, après tout, et peut-être un débouché possible pour toi et moi, gens de Lettres, qui ne valons pas
Pour revenir à toi, Jihem, je pense que tu auras compris le truc: quelques métaphores bien senties, des antithèses ad hoc (même, et surtout, si elles ne veulent rien dire), des symboles en veux tu en voilà (y compris des allégories, ça donne l'air intelligent)...et le tour est joué. N'oublie pas de parler aussi d'écho, de lumière et de ciel, il paraît que ça se vend très bien. Tu vois que ce n'est pas si difficile, d'être (bien) intentionné.
Bien à toi.
Myriam
PS: la "pureté des intentions", cela ne te rappelle pas la vieille casuistique jésuite?