Magazine Culture

Lettre à un écrivain (bien) intentionné

Publié le 01 février 2009 par Mgallot

Cher Jihem,

tu me disais dernièrement qu'un éditeur demandait aux auteurs candidats à la publication de joindre à leur manuscrit une note d'intention. Tout artiste, cinéaste, plasticien, chorégraphe, metteur en scène, et maintenant aussi tout écrivain, se trouve confronté à cette exigence: se fendre d'une éblouissante note d'intention justifiant de l'oeuvre qu'il propose, c'est-à-dire un discours sur, et pas seulement un discours tout court.

Autrefois, dans les années 80, me faisais-tu remarquer, pour faire un film, un budget, un CV et un synopsis d'une page suffisaient, ajoutant avec cette malice ironique dont tu as le secret que "de ton temps, on n'avait pas d'intention".

musée confluences extérieur.jpg
Rendant une petite visite au futur musée anthropologique des confluences à Lyon, je pus lire des tableaux informatifs justifiant l'architecture du futur bâtiment. Des propos métaphysico-pipeau que je devine tirés de la "note d'intention" qu'a dû produire le cabinet d'architectes pour remporter le marché. Et, mon cher Jihem, je repensai à toi. Voici la prose sans laquelle le bâtiment ne vaudrait pas tripette:

"La composition du Musée combine le cristal et le nuage, symboles respectifs du connu et de l’inconnu, clarté de l’environnement familier d’aujourd’hui et flou incertain de demain. L’ensemble repose sur un socle, le nuage semblant flotter au-dessus du jardin du Confluent à 8 mètres de hauteur. Il est revêtu d’une enveloppe métallique où se reflètent couleurs et lumière, et qui capte les multiples échos du ciel et de la ville, de l’eau et de la verdure. En contraste, la transparence du cristal marque l’entrée du Musée au Nord.

musée confluences intérieur.jpg

Sa forme est volontairement simple, évoquant un signal d’appel envoyé vers la ville.

Tout en mouvement, le Musée des Confluences illustre par ses formes la complexité des thèmes présentés. Il suggère aussi l’infinie diversité des connaissances et la pluralité des vocations d’un espace mixte, dédié à l’accueil de tous ses publics auquel il propose connaissance, culture et plaisir."

Mais c'est bien sûr! "le nuage, cristal du savoir"! Et pas du tout le sympathique monstre démembré à flanc d'autopont, construit dans l'un des endroits les plus bruyants et les plus piétonphobe de la ville. Pour le nuage, passe encore. Mais la "forme volontairement simple", là on se fiche de nous! Qu'on en juge par les dessins des architectes, c'est d'une sophistication extrême (et d'ailleurs pas dénuée de beauté). Sans compter que le texte explique juste après que les formes illustrent "la complexité des thèmes présentés". Il faudrait savoir...

Je pense que le cabinet d'architectes a dû embaucher un littéraire chargé de la rédaction des notes d'intention (un boulot comme un autre, après tout, et peut-être un débouché possible pour toi et moi, gens de Lettres, qui ne valons pas

musée confluences cigare.jpg
forcément grand chose sur le "marché du travail"). A en juger par le copieux cigare qu'arbore l'un des fondateurs du cabinet, manier ce langage poético-contemporain peut rapporter gros.

Pour revenir à toi, Jihem, je pense que tu auras compris le truc: quelques métaphores bien senties, des antithèses ad hoc (même, et surtout, si elles ne veulent rien dire), des symboles en veux tu en voilà (y compris des allégories, ça donne l'air intelligent)...et le tour est joué. N'oublie pas de parler aussi d'écho, de lumière et de ciel, il paraît que ça se vend très bien. Tu vois que ce n'est pas si difficile, d'être (bien) intentionné.

Bien à toi. 

Myriam

PS: la "pureté des intentions", cela ne te rappelle pas la vieille casuistique jésuite?


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Mgallot 60 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine