On a volé les bijoux de Cunégonde

Publié le 31 janvier 2009 par Porky

Scène unique

CUNEGONDE, LA VOIX DE LA MADONE DES DESHERITES

Un hôtel particulier à Neuilly. Salon luxueux mais dévasté. Tiroirs de meubles ouverts, collants répandus sur le parquet, bibelots à terre, bref, décor de désastre complet. Debout, au milieu de ce qui ressemble à un champ de bataille, Cunégonde, seule, mais très agitée, parcourt la scène en se tirant les cheveux.

CUNEGONDE : Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Ah l’abominable chose ! Ah l’atroce événement ! Mes culottes lacérées ! Mes collants déchirées ! Je n’en puis plus ! Ma sérénité m’abandonne, les alexandrins se font la malle ! Justice, juste Ciel ! Je suis perdue, je suis assassinée, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mes bijoux ! 500 000 euros balancés par la fenêtre ! Passe encore qu’on dégomme mes sous-vêtements, mais mes bijoux ! Qui peut-ce être ? Que sont-ils devenus ? Où sont-ils ? Où se cache le voleur ? Que ferai-je pour les trouver ? A moi, les richards, sauvez votre égérie ! Où courir ? (Elle va vers les toilettes) Où ne pas courir ? (Elle revient vers le divan) Ce salaud n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête, rends-moi mes bijoux, saleté ! (Elle se prend le bras) Ah, c’est moi ! Et si j’étais la voleuse ? Si j’étais somnambule ? Si j’avais pris l’avion nuitamment pour me rendre de Dubaï à Neuilly ? D’ailleurs qu’est-ce que je fais ici ? Où suis-je ? Où cours-je ? Que vois-je ? Mon esprit est troublé et j’ignore ce que je fais. Hélas, mes bijoux, mes chers bijoux de famille, mes seuls vrais amis au monde ! On m’a privée de vous ! Et puisque vous m’êtes enlevés, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi et je n’ai plus que faire en ce monde ! Je vais me pendre aux rideaux, m’accrocher à l’espagnolette de la fenêtre jusqu’à ce que mort s’ensuive… Mais c’en est déjà fait. Je me meurs, je suis morte, je suis enterrée… (Elle tombe, épuisée, sur le divan. Un temps. Puis elle se redresse.) Non, finalement, je ne meurs pas. Cela ferait trop plaisir à l’autre poufiasse. Je ressuscite, qu’on le veuille ou non. Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? Ah non, ce n’est rien.

LA VOIX DE LA MADONE : Quand tu auras fini de pleurer pour 500 000 euros, squelette décalcifié, tu penseras peut-être à tous les déshérités qui hantent les rues de ce pays !

CUNEGONDE (Terrifiée, elle se lève) Qu’entends-je ? Qu’ouïs-je ? Est-ce une hallucination ? J’ai cru, l’espace d’un moment, qu’une voix détestable s’élevait à mes oreilles !

LA VOIX DE LA MADONE : Tu m’as bien entendue, pétasse ! Ai-je fait autant de barouf quand on a visité mon appartement ? Je n’ai rien dit, j’ai porté fièrement mon malheur, la tête haute et le verbe bas ! La classe, quoi ! Tandis que toi, tu es là à te rouler par terre, comme une vieille avaricieuse que tu es ! C’est bien fait pour toi ! La justice immanente a frappé !

CUNEGONDE (Un peu rassurée, elle fronce les sourcils) Non, je ne rêve pas, c’est vraiment la délirante qui m’apostrophe ! C’est fou comme elle adore se mêler de ce qui ne la regarde pas ! Depuis qu’elle a joué Marie super star au Zénith avec le succès qu’on sait, elle a la tête plus grosse qu’une citrouille. (A la cantonade) Retourne dans ton cabanon, je ne t’ai pas sonnée !

LA VOIX DE LA MADONE : L’heure de la vengeance est proche ! Le vol de tes bijoux, c’est la première secousse du séisme qui t’engloutira, toi et tes pareils ! Tremble, ma fille ! (Ricanement odieux.)

CUNEGONDE : Sa fille ? Quelle horreur ! Et là, vous bien sûr, vous ne dites rien ! Je suis dépouillée jusqu’à l’os, la fausse vierge m’insulte et vous gardez le silence ! Sortons. Je veux aller chercher la justice, le commissaire, l’inspecteur, la planton de service, l’éboueur et la concierge et faire donner la question à tout le quartier, y compris à mes faux culs de voisins. Je me demande d’ailleurs si mon voleur n’est pas parmi tous ces gens assemblés, qui me regardent comme si j’étais une folle échappée de l’asile. De quoi parlez-vous, vous, là, au fond ? Debout et plus vite que ça ! Ah, vous l’êtes déjà ! Ah, c’est toi !... Je ne t’avais pas reconnu !... Qu’est-ce que tu fais ici ? Ne me dis pas que tu es venu te mêler au peuple, tu me l’as déjà sorti une fois et ça m’a beaucoup fait rire ! Regarde donc autour de toi ! Mon voleur est peut-être là, tout près !... Et ça rigole, ça rigole ! Je suis sûre qu’ils ont pris part au vol, tous ! Je vous ferai pendre, écarteler, guillotiner !...

LA VOIX DE LA MADONE : Oh ça va, l’hystérique ! Enfile-toi un suppositoire au valium, ça te calmera !

CUNEGONDE (De nouveau fort agitée) : Je ne veux pas me calmer ! Je veux mes bijoux, mes bijoux, mes bijoux ! Je veux faire pendre tout le monde ! Et si je ne retrouve mes bijoux chéris, je me prendrai moi-même. (Un moment d’hésitation). Heu… Après. (Elle sort en courant)

PS : Grand merci à Molière….