Début de semaine sous haute pression. Après le succès de la journée de protestation du 29 janvier, qui a rassemblé entre 1 et 2,5 millions de personnes, les huit confédérations (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC, FSU, Solidaires et Unsa) doivent se retrouver ce lundi pour décider de la suite à donner. Alors que plusieurs organisations plaident pour de nouvelles actions, le président de la république homme d’habitude toujours pressé, joue la montre. Nicolas Sarkozy recevra les organisations syndicales, comme prévu depuis longtemps, courant février, à une date non encore déterminée. En revanche, il s’adressera directement aux français, par le biais de la télévision, jeudi.
La CGT a prévenu. Des questions ont été posées, elles appellent des réponses. Une plate-forme de revendications a en effet été rédigée le 5 janvier par les huit syndicats qui ont appelé jeudi à la mobilisation. Une longue liste à la Prévert : l’emploi, le pouvoir d’achat, la nature des aides publiques, la situation économique, la situation des banques, les mesures de soutien avec des contreparties dans différents secteurs, la politique industrielle, les services publics…
Faute de réponse, tous les scénarios sont possibles a confirmé Jean-Claude Mailly. Selon le secrétaire général de FO, “S’il n’y avait effectivement aucune réponse, il faudra des suites, c’est évident”.
La temporisation surprenante de l’Elysée n’est pas du goût de tout le monde. “Il est urgent d’agir” proclamaient des banderoles des manifestants jeudi. Dans la tempête mondiale, les passagers du bateau France attendent du capitaine certes qu’il donne un cap, mais aussi, qu’il explique ses choix et réponde aux interrogations. Pas qu’il joue les filles de l’air.
Nicolas Sarkozy a rappelé qu’il recevrait les partenaires sociaux en février “afin de convenir du programme de réformes à conduire en 2009 et des méthodes pour le mener à bien”. Autrement dit, les derniers événements ne sauraient modifier le calendrier social initial. L’affirmation renforce le sentiment que contre vents et marées, l’omniprésident ne changera pas sa feuille de route même si elle croise un cyclone.
Tous les observateurs s’accordent sur le fait que le mouvement social constitue l’expression d’une angoisse et d’un sentiment d’injustice qui nécessite non seulement d’être entendu mais aussi pris en compte. Et c’est là où le bât blesse. “On a tout juste été écoutés, mais c’est loin d’être suffisant” explique Jacques Voisin, le président de la CFTC. Le gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de l’ampleur de la crise sociale dans le pays. On doit absolument juguler l’hémorragie sur l’emploi en reconsidérant les réformes engagées, car le pays va droit dans le mur.”
Cette situation de blocage provient essentiellement du fait que l’Elysée n’entend pas remettre en cause son plan de relance alors qu’il constitue le coeur du désaccord.
“Ce que nous voulons, c’est la relance du pouvoir d’achat”, a concrètement résumé Maryse Dumas de la CGT vendredi sur i>télé. “Nous voulons qu’on arrête de distribuer des milliards à ceux qui en ont déjà beaucoup (…) Des milliards toujours pour les mêmes et la ceinture pour les autres, et ça c’est pas normal”.
Alain Olive secrétaire général de l’UNSA se dit, “extrêmement étonné de l’analyse qui est faite”, par le gouvernement ou le patronat. “On nous dit qu’il y a ‘une grande inquiétude qui monte du pays profond’. Oui mais l’objet de la journée, c’était quand même des demandes concrètes sur l’emploi et le pouvoir d’achat”.
L’exécutif balayant d’un revers de main l’idée d’une relance de la consommation accusée un peu caricaturalement de ne profiter qu’aux importations de produits chinois, a fait de la relance par l’investissement , et seulement l’investissement, sa priorité. En dépit des paroles rassurantes de Christine Lagarde, ministre de l’Economie, les Français qui n’ignorent pas l’effondrement de l’économie américaine, devinent que non, Mme la Marquise tout ne va pas très bien, que le pire est à venir.
Ce que Jacques Marseille décrit comme une bulle dépressive est entretenue par une perte de confiance dans les élites économiques, suspectées d’immoralité généralisée mais aussi, dans le pouvoir politique dont on découvre, malgré les moulinets, toute l’impuissance.
Au delà de ce qui apparaît comme un choix binaire dans l’orientation du plan de relance, c’est toute la cohérence de l’action gouvernementale qui est pointée. Les Français sont déboussolés d’un côté par la revendication de plus d’État dans le système financier, sans réelles contreparties et, de l’autre l’affirmation qu’il faut moins d’État, avec une diminution du nombre de fonctionnaires et une réduction de voilure des services publics.
Mal a l’aise dans sa rhétorique, l’exécutif donne le sentiment de vouloir esquiver le dialogue social afin de ne pas être confronté à ses contradictions. «Il ne faudrait pas que les effets de communication se substituent au vrai dialogue social que nous souhaitons», déplore Bernard Van Craeynest, le président de la CFE-CGC. “Le gouvernement veut nous cantonner à un seul rôle d’opposition et de contestation en refusant de discuter des propositions que nous avons faites” relève Alain Olive, le secrétaire général de l’Unsa.
Selon Libération, l’avenir est écrit. Le chef de l’État ne peut apporter qu’une fin de non-recevoir aux revendications syndicales du fait d’un cahier de doléances syndical trop éloigné de l’analyse économique à l’origine du plan de relance gouvernemental. A défaut de pouvoir éviter la guerre, le gouvernement s’y préparerait en tentant de la circonscrire au secteur public. Reprenant sa vielle stratégie d’opposition des Français les uns contre les autres, Nicolas Sarkozy est tenté de dresser le secteur protégé, les fonctionnaires, contre le secteur exposé, les salariés du privé.
Le pari est risqué. Dans la tourmente, les salariés peuvent trouver la ficelle un peu grosse et préférer l’unité contre le pouvoir, conscients que le secteur public peut être le fer de lance de revendications communes. Plus que de nouvelles journées de mobilisation qui finissent toujours par générer des réflexes favorables à l’autorité, l’exécutif est fondé à craindre une cristallisation et surtout une conjonction des mécontentements parmi sa propre base électorale.
Même bateleur hors normes, il faudra à Nicolas Sarkozy plus qu’une simple émission télé pour désamorcer la bombe sur laquelle il est assis. A force de multiplier les interventions, il a fait perdre à la parole présidentielle son côté rare qui la rendait particulièrement audible et l’a au contraire banalisé dans le brouhaha médiatique. Il n’est pas ou n’est plus, ne lui en déplaise, comme Barack Obama, porteur d’une espérance dans des jours meilleurs. Nicolas Sarkozy comme médecin de la société française a perdu une grande part de son crédit. Les français doutent de son diagnostic et de ses remédes de cheval. La date du 29 janvier restera comme celle d’un tournant dans le mandat de Nicolas Sarkozy.